Luc Frémiot : "Arrêtons d’affirmer qu’on peut être un bon père et un mari violent"

  • Luc Frémiot : "Le Grenelle, c’est de l’affichage. Le Premier ministre a déjà fait des annonces."
    Luc Frémiot : "Le Grenelle, c’est de l’affichage. Le Premier ministre a déjà fait des annonces." MAXPPP - COURBE
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Midi Libre

L'ex-procureur de la République est devenu un inlassable combattant des violences conjugales. Il est l'invité des Rencontres d'Occitanie ce jeudi 26 septembre au siège de Midi Libre.

Vous êtes engagé depuis longtemps dans la lutte contre les violences faites aux femmes au point d’en devenir l’une des voix. Pourquoi avoir fait de ce combat le vôtre ?

Dans l’exercice du métier de magistrat, on côtoie bien évidemment des affaires de ce type. On est en proximité immédiate de la douleur et de la violence que peuvent subir les femmes ainsi que leur famille. Plusieurs affaires m’ont touché parce que je me suis rendu compte, notamment lorsque j’étais aux Assises, qu’il y avait bien souvent eu des appels au secours en vain. Certaines victimes s’étaient confiées à leur famille, d’autres avaient déposé des plaintes qui n’avaient pas été suivies d’effet. Et malheureusement ces appels au secours laissés dans l’ombre les ont conduites directement sur une table d’autopsie. Aussi, lorsque je suis devenu procureur de la République, en 2003, à Douai (Nord), j’ai décidé de mener une véritable politique pénale de lutte contre les violences faites aux femmes. Ça marche.

On le sait. Surtout qu’aujourd’hui, contrairement à mes débuts, on dispose d’un arsenal législatif.

Ce qu’il faut, c’est que la loi soit appliquée.

Que voulez-vous dire ?

Il y a trop de fonctionnaires de police, de gendarmes qui ne prennent pas les plaintes, renvoient les femmes chez elle, au mieux avec une main courante, sous prétexte qu’il n’y a pas de certificat médical ou que la personne ne présente pas de stigmates de coups sur le visage. Un fonctionnaire n’a pas le droit de refuser une plainte. De même, vous avez encore trop de procureurs de la République ou de substituts qui n’apportent pas les réponses nécessaires. Il y a trop de classements sans suite, trop de rappels à la loi.

Comment expliquez-vous qu’on en soit toujours là ?

On est encore dans l’idée que les conflits dans un couple font partie de l’intimité, du secret, voire d’un sanctuaire.

Or si sanctuaire il y a, cela doit être un sanctuaire de paix où les violences ne rentrent pas. De plus, ce sont des contentieux qui sont chronophages, compliqués parce qu’il n’est pas rare que ces femmes retirent leur plainte.

Décision qui pourrait avoir aucun effet sur la procédure sachant que le procureur peut s’autosaisir. Mais dans des juridictions surchargées…

Doit-on y voir un problème de formation ?

La formation existe. Le problème est qu’avec l’absence d’instruction, les troupes ne suivent pas. Le jour où vous aurez un commissaire de police qui donne des ordres précis et qui vérifie que ces ordres sont suivis, notamment pour les dépôts de plainte, le jour où le garde des Sceaux décidera, car cela fait partie de la politique pénale, de donner de véritables instructions, et bien là on avancera. Et puis il y a toute une série de grands principes dont il faut se débarrasser une fois pour toutes.

Vous pensez à quoi ?

Arrêtons d’affirmer qu’on peut être un bon père et un mari violent. C’est juste monstrueux de dire de telles choses sachant que les enfants sont à la fois des témoins, des otages, et des victimes. Du coup, vous avez encore des juges aux affaires familiales (JAF) qui acceptent que les enfants pour maintenir le lien parental fassent l’objet d’hébergement chez leur père violent ou de droit visite. C’est extrêmement grave. Car vous pensez bien que ces auteurs de violences continuent.

Il faut donc remettre tout ça en cause. Il faut des vraies politiques de juridiction. Il faut que les parquets parlent avec les autres magistrats. Surtout qu’on peut s’appuyer sur le Civil avec les ordonnances de protection pour protéger les victimes.

Mais ces ordonnances sont-elles efficaces ?

Créée en 2010, l’ordonnance de protection permet à un JAF d’exfiltrer l’auteur des violences du domicile pour une première période de trois mois, renouvelable tous les trois mois, mais aussi de statuer sur les conditions d’allocations du domicile à la femme. C’est-à-dire prévoir par exemple que c’est l’auteur des violences qui continuera à payer les loyers. Il peut aussi régler le problème de droit de visite des enfants ou d’hébergement.

C’est une procédure qui est parfaite, presque du clé en main. Le problème est que dans certaines juridictions cela fonctionne très bien alors que dans d’autres, on ne le fait pas et on ne sait pas pourquoi.

Comment expliquez-vous ces disparités ?

Je dirai une question de sensibilité des magistrats. Et cela est grave parce que c’est une véritable rupture dans l’égalité de la loi. Et quand vous entendez régulièrement que "le parquet n’est pas le bureau des pleurs" ou quelqu’un aux responsabilités affirmer qu’"il faut arrêter car qu’est-ce que signifient 121 femmes décédées dans l’année (chiffres 2018 ) par rapport au nombre de tués sur les routes", on s’interroge. Doit-on comprendre qu’il faut comptabiliser le même nombre de victimes pour mener de vraies politiques ?

Mais que faites-vous du Grenelle des violences conjugales, dont les conclusions sont attendues fin novembre ?

C’est de l’affichage. Dans son discours d‘ouverture, le Premier ministre a déjà fait ses annonces.

On pense aux 15 000 places supplémentaires d’hébergement, au bracelet antirapprochement géolocalisé, à la généralisation du dépôt de plainte à l’hôpital et autre création des procureurs référents dans les tribunaux.

Mais cela existe déjà. En revanche, rien sur le problème de la récidive et de la réitération. Non, on ne traite pas correctement le problème des violences conjugales.

Justement qu’elle serait pour vous la bonne politique ?

Travailler en amont des violences pour éviter la réitération. Et non pas arriver en fin de course pour constater les dégâts.

Que pensez-vous de l’émergence du mot "féminicide" ?

Le côté fourre-tout du terme féminicide, qui regroupe aussi bien les meurtres et les assassinats, me gêne. Car entre les deux, il y a une grande différence : la préméditation.

Bio Express

L’ancien procureur de Douai (Nord) Luc Frémiot, 68 ans, se bat depuis de nombreuses années contre les violences faites aux femmes. Outre le fait d’avoir lancé avec un certain succès, en 2003, une des premières politiques de lutte contre ces violences, marquée par un dispositif d’éloignement et de traitement du conjoint violent, il est connu pour son rôle dans l’acquittement d’Alexandra Lange en 2012, poursuivi pour le meurtre de son mari violent. Aussi ses critiques répétées sur l’organisation du Grenelle agacent au plus haut lieu. D’autant que cet été encore, le magistrat lançait avec la comédienne Ève Darlan, une pétition pour "exiger" des réponses sur les manquements de l’État. Il publie début octobre son troisième livre “Au clair de la lune”, chez Michalon.

 

Féminicides : les cinq annonces du Premier ministre au Grenelle

Début septembre, Édouard Philippe a détaillé des premières mesures avant de nouvelles en novembre.

1. Plus de places pour accueillir les victimes

Si la France compte actuellement 5 000 places en centre d’accueil dédiées aux femmes victimes de violences conjugales, ce nombre devrait croître de 20 %. 750 seront ouvertes en logement temporaire pour une durée de six à douze mois et 250 dans des centres d’hébergement d’urgence

2. Des personnels de justice davantage spécialisés

Chacun des 172 tribunaux de France comptera un procureur référent spécialisé et des chambres dites d’urgence, afin d’accélérer le traitement des dossiers. Le tribunal de Créteil sera un lieu d’expérimentation.

3. Des procédures plus rapides au plan judiciaire

Avant une condamnation dans une affaire de violences conjugales, la justice aura la faculté de suspendre l’exercice de l’autorité parentale par le conjoint violent. Cette suspension ou cet aménagement sera automatique dans les cas d’assassinat et interviendra au stade même de l’enquête pour soustraire sans délai les enfants à un parent dangereux. Avant une condamnation, le port d’un bracelet électronique pourra être imposé à la personne poursuivie pour des violences conjugales si une ordonnance de protection est décidée.

4. Un dépôt de plainte possible à l’hôpital

Dès le 25 novembre, une victime qui viendrait soigner des blessures à l’hôpital, après des coups de son conjoint, y trouvera les moyens de déposer plainte sur place, sans devoir retourner à son domicile en attendant de pouvoir se déplacer à un commissariat.

5. 400 commissariats et gendarmeries passés au crible

Dans le but d’examiner "très précisément la façon dont les femmes sont accueillies, les dysfonctionnements, et les corriger", 400 postes de police et gendarmeries seront audités.

 

Luc Frémiot sera notre invité le jeudi 26 septembre

Ce sera la vingt-cinquième édition des Rencontres d’Occitanie. L’ex-procureur de la République de Douai interviendra le jeudi 26 septembre de 8 h à 9 h 30 à Midi Libre, au siège de notre journal à Saint-Jean-de-Védas. "Non-assistance à femmes en danger", ce sera le thème de la conférence en public animée par Luc Frémiot. Il reviendra sur son parcours, défendra ses convictions, expliquera ses différences avec la parole portée par Marlène Schiappa et répondra à vos questions. Il reste encore quelques places, pensez à vous inscrire sur le site www.rencontres-occitanie.fr. L’objectif de ces rendez-vous mensuels, organisés par le Groupe Dépêche du Midi (La Dépêche du Midi, Midi Libre, l’Indépendant, Centre Presse), est d’offrir "un éclairage sur l’ensemble des grands défis pour notre territoire" comme de susciter un débat sur les sujets d’actualité. 

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Les commentaires (2)
danilo Il y a 4 années Le 25/09/2019 à 11:34

UN PROCUREUR qui reconnaît qu'il y a beaucoup trop de classements sans suite et beaucoup trop de rappels à la loi, ENFIN, il était temps !!!

Que dire sinon ... Il y a 4 années Le 25/09/2019 à 10:36

Merci M Frémiot de ces courtes paroles.
Mais ...
Maintenant il faut passer aux actes, arrêter 40 ans de laxisme de la pensée.