La mode, plus inquiétante que Black Mirror ?

Lil Miquela, instagrammeuse brésilienne virtuelle créée par images de synthèses. - Lil Miquela - Instragram
Lil Miquela, instagrammeuse brésilienne virtuelle créée par images de synthèses. - Lil Miquela - Instragram
Lil Miquela, instagrammeuse brésilienne virtuelle créée par images de synthèses. - Lil Miquela - Instragram
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La déréalisation de la mode atteint le stade ultime du simulacre ce qui provoque une sensation de vertige proche de la série "Black Mirror". Mais est-ce vraiment un dystopie?

Impossible d’aborder la Semaine de la mode sans entendre parler de "tendances" ou encore de "visions", les défilés constituant une sorte d’art divinatoire censé nous révéler de quoi sera fait le Printemps/été 2020. Mais plus que le vert cactus ou la touche éco-responsable, la vraie tendance, la prospective de la mode, se joue ailleurs que sur les podiums, dans les mailles du virtuel. 

Et si, alors qu’elle est entrée dans le stade ultime du simulacre, la mode était plus sincère que jamais ? C’est ma théorie.

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Révéler les corps et les époques, c’est ainsi que s’est écrite en partie l’histoire de la mode. L’art de l’habillement est un dévoilement, c’est son paradoxe. Cela dit, au début du XXIe siècle, cette promesse est entrée dans un jeu de miroirs encore plus complexe. Avec les nouveaux outils du numérique, le vrai et le faux, comme partout ailleurs, se sont entremêlés davantage. 

L'influenceuse virtuelle, apogée de l'empire du fake ?

Déjà les photos retouchées sur Photoshop - et les mannequins de 14 ans qui mangent deux fois par semaine - avaient contribué à cette atmosphère de déréalisation profonde. La confusion s’est accélérée avec l’arrivée de blogueurs et blogueuses sponsorisés pour faire de la publicité déguisée en conseils, puis avec le règne des influenceurs/ceuses, c’est-à-dire de personnes choisies par les marques pour leur nombre de « K » (followers) sur les réseaux sociaux, et leurs capacités à recueillir du like dans la mise en scène filtrée des différents "produits".

En somme, l’industrie de la mode est passée progressivement du rêve "révélateur" - comme son nom l’indique - à la mystification.

Après les faux conseils, les faux partages et les faux sourires robotisés, l’étape d’après ce sont désormais les mannequins et influenceurs virtuels. Des êtres totalement numériques qui deviennent des égéries de grandes maisons, comme Balmain qui a présenté sa "Virtual army" l’année dernière. Ou encore des influenceuses qui n’existent par mais qui sont élaborées spécialement pour le réseau Instagram avec un profil, un physique bien sûr, une personnalité, des convictions politiques, et bien sûr des contrats de collaboration avec des grands noms de l’industrie. Exemple : la fausse instagrammeuse brésilienne Lil Miquela.

Avec ces avatars, la mode rendue à ses fondamentaux ?

Passée une première sensation de vertige, devant l’étendue de cet empire du fake, passée l’impression de voir s’écrire en temps réel un épisode de la série Black Mirror sur les dérives potentielles des nouvelles technologies, cette déréalisation de la mode atteint un stade très intéressant. Comme le soulignait récemment la revue i-D pourquoi "l’avatarisation de la mode ne pourrait-elle être que dystopique ?"

Bien sûr, financièrement ces modèles virtuels sont plus rentables et l’on pourrait dénoncer, selon la logique binaire du grand remplacement des humains par des machines, leur concurrence déloyale. Mais lorsqu’il s’agit de vrais-faux assumés, c’est à dire de créations virtuelles qui n’entretiennent pas la confusion avec le réel et s’en démarquent manifestement, le procédé a du bon. C’est ce qu’avait fait Balenciaga avec des créatures mutantes, en pleine métamorphose.

La mode revient alors au rêve et à l’esthétique de l’illusion. Elle cesse de promouvoir un faux socle de réalités dans lesquelles personne ne se reconnaît. Elle libère aussi les yeux du public des identifications impossibles et mortifères. Comme le disait Guy Debord qui détournait et renversait lui-même une citation d’Hegel "Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux."

par Mathilde Serrell

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