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Aéronautique

Taxer les avions Airbus à 100%, le projet fou de Washington

S’appuyant sur la décision de l’OMC sur le différend Boeing-Airbus, attendue vers le 30 septembre, les Etats-Unis veulent taxer à 100% les avions Airbus importés sur le sol américain. Cette décision ouvrirait la voie à une guerre commerciale d’une violence inédite.

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Un A320 produit sur le site américain d'Airbus à Mobile (Alabama)

S’appuyant sur la décision de l’OMC, les Etats-Unis veulent appliquer des surtaxes douanières sur des milliards de dollars d’importations européennes. La taxe sur les avions Airbus atteindrait 100%.

Tad Denson, Airwind.com / Airbus

Guerre nucléaire en vue pour le commerce mondial. Après quinze ans d’une procédure kafkaïenne, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’apprête à rendre sa décision définitive, probablement dans la semaine du 30 septembre, sur la plainte américaine contre les subventions européennes à Airbus. Les détails du jugement ne sont pas encore connus, mais l’issue ne fait guère de doute : l’OMC devrait confirmer la persistance de subventions illégales versées à Airbus, et autoriser les Etats-Unis à imposer des taxes douanières sur des milliards de dollars d’exportations européennes. Washington, qui assure vouloir taxer pour plus de 11 milliards de dollars de produits européens, est déjà dans les starting-blocks. Le Bureau du représentant américain au commerce (USTR) a établi deux listes de produits importés d’Europe, qu’il taxera dès que l’OMC lui en donnera l’autorisation. 25 milliards de dollars d’exportations européennes vers les Etats-Unis, dont l’huile d’olive espagnole, le gouda néerlandais, le vin, les articles en cuir… et les avions Airbus, que Washington veut carrément taxer à 100%.

Ce scénario, insensé, serait un cataclysme pour l’industrie aéronautique mondiale. Première conséquence : un avion acheté 100 millions de dollars à Airbus par une compagnie américaine lui reviendrait en fin de compte à 200 millions de dollars. Le scénario le plus probable verrait les compagnies refuser de prendre livraison des avions commandés, menaçant des milliers de vols, et donc d’emplois. Plusieurs gros bonnets du secteur, dont American Airlines, Delta, JetBlue et Hawaiian, ont tiré la sonnette d’alarme auprès de l’USTR, évoquant des risques pour l’emploi et pour leur compétitivité. "Imposer des taxes sur ces avions va toucher Delta, ses employés et ses clients, sans impacter Airbus et l’UE, car ces ventes ont déjà été faites", écrit ainsi Delta dans un document transmis à l’USTR.

La deuxième conséquence serait une réaction en chaîne incontrôlable. La Commission européenne a déjà annoncé qu’en cas de surtaxes douanières sur ses produits, elle répliquerait en taxant des milliards de dollars d’exportations américaines sur son sol. Là aussi, la liste est déjà prête : la Commission vise les avions Boeing, mais aussi le poisson surgelé, les citrons ou le ketchup made in USA. La commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström estimait le montant total de ces exportations sujettes à une surtaxation à 20 milliards d’euros. “Si les Etats-Unis devaient nous imposer des sanctions, ils doivent savoir que nous serions prêts à réagir, là encore dans le cadre de l’OMC et des possibilités qu’elle nous donnera d’ici quelques mois”, prévenait le 19 septembre le ministre de l’économie Bruno Le Maire.

Scénario du pire

Dans cette guerre commerciale totale, personne ne serait gagnant. Airbus ne pourrait plus vendre d’avions aux Etats-Unis, zone qui a représenté 112 appareils livrés en 2018, soit 14% des livraisons totales du groupe. Même les avions livrés de son usine américaine de Mobile (Alabama) n’échapperaient pas aux surtaxes : celles-ci seraient appliquées sur les tronçons d’avions importés d’Europe. Le scénario d’une guerre commerciale totale serait encore pire pour Boeing. Ce dernier ne pourrait plus vendre un appareil en Europe, alors que le Vieux continent a représenté plus de 20% de ses livraisons l’année dernière (165 appareils livrés). D’autre part, les surtaxes américaines risqueraient de braquer l’UE, alors même que Boeing a besoin de l’aval de l’EASA, l’agence de sécurité aérienne européenne, pour autoriser le retour en vol de son 737 MAX.

Pour éviter le scénario catastrophe d’une guerre commerciale totale, la Commission européenne a proposé à Washington, sans succès pour l’instant, d’ouvrir des négociations pour établir un nouveau cadre commun sur les subventions aux avionneurs. L’idée est de revenir à un accord du type de celui signé par l’UE et les Etats-Unis en 1992. Celui-ci prévoyait un plafonnement des avances remboursables accordées par les gouvernements européens à 33% des investissements R&D d’Airbus. Les Etats-Unis s’engageaient quant à eux à ce que les aides de la NASA et du Pentagone à Boeing ne dépassent pas 3% du chiffre d’affaires du géant de Chicago.

La Chine grande gagnante

Cet accord avait été dénoncé par les Etats-Unis le 6 octobre 2004. A la surprise générale, Washington avait déposé une plainte auprès de l’OMC contre les subventions de l’UE à Airbus. La Commission européenne avait répliqué le même jour, en déposant une plainte contre les aides de Washington à Boeing. Manque de chance pour Airbus et l’UE, la procédure européenne a pris beaucoup de retard. La décision finale sur la plainte de Bruxelles n’est attendue qu’au printemps 2020, soit six mois après le jugement sur la plainte américaine, ce qui offre un avantage tactique indéniable au camp américain.

A bien y regarder, les deux procédures n’ont fait que deux gagnants : les avocats des deux camps, qui ont pu facturer des dizaines de millions de dollars d’honoraires ; et la Chine, qui doit regarder ces bisbilles occidentales avec un plaisir certain. Pékin, tout comme Moscou d’ailleurs, subventionne en effet à fonds perdus son industrie aéronautique. Sans que personne n’ait osé porter plainte contre eux devant l’OMC.

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