La mode, deuxième industrie la plus polluante du monde ? Que l’affirmation soit exagérée ou non, il n’empêche que les volumes générés par le textile sont colossaux : le secteur émet 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année, autant que les transports aériens et maritimes réunis. Trouver un modèle plus respectueux de l’environnement tient de l’urgence.

Ce changement de paradigme épouse une logique d’âge : la génération Z née au tournant du siècle commence à se faire une place dans les classes des écoles, sur le marché du travail. Et y amène avec elle ses préoccupations : d’après une étude publiée en juin 2018, 80 % de 14-17 ans estiment que les entreprises ont l’obligation de s’occuper de problèmes sociaux et environnementaux.

Les écoles rattrapent le retard

Le secteur de la mode ne fait donc pas exception. Albane Forestier, directrice des programmes à l’école de mode IFA-Paris, « constate depuis deux ou trois ans un changement de mentalité chez les étudiants, surtout avec l’été qu’on a passé… ». Amazonie en flamme, contre-G7 de Biarritz et banquise en fusion ont jeté la question environnementale sur le devant de la scène et dans les salles de classe.

L’IFA a donc pris la vague verte et mis en place une série de réformes : professeurs et élèves sont désormais formés à concevoir leurs pièces avec des imprimantes 3D pour limiter les chutes ; des alumni viennent présenter leurs initiatives éco-durables ; des partenariats sont créés avec des entreprises du textile pour récupérer leurs chutes… « L’important, c’est de montrer aux étudiants que la mode éthique, c’est du concret », continue Albane Forestier qui note que « certains sont très volontaires et d’autres n’en ont rien à faire, c’est une question d’éducation ».

Anna prend la question à cœur : « Aujourd’hui, impossible de ne pas s’intéresser à l’environnement, c’est tellement urgent ! », s’exclame cette jeune étudiante pendant sa pause déjeuner, devant l’Institut français de la mode (IFM). L’élève en design dit se fournir en coton bio auprès de son école pour certains de ses travaux. Sa démarche a un coût : ce coton peut coûter quatre fois plus cher que le standard. Alors, Anna trouve un compromis et fait un mélange de matières, bio et non bio.

Pour d’autres, l’éco-durable est un enjeu quotidien mais aussi une barrière à la créativité. Thomas, béret rouge sur la tête, veut travailler dans une grande maison du luxe français dont l’activité reste très polluante : « Cela me préoccupe, mais certains produits nocifs pour l’environnement sont malheureusement nécessaires à la préparation des tissus. Et puis, le souci du bio peut être un frein à ma créativité ».

Les écoles de mode entendent ces attentes de la nouvelle génération et se mettent au « green », avec un certain retard à l’allumage. Thomas Ebélé, co-fondateur de la plate-forme SloWeAre, label d’une quarantaine de marques engagées, se réjouit de cette prise de conscience : « Cette année, nous recevons beaucoup de demandes d’écoles qui veulent que l’on intervienne dans leurs classes pour pousser l’éco-durable ». Cependant, pour lui, elle arrive un peu tard : « Il y a dix ans, les écoles étaient à l’avant-garde sur les tendances, mais elles commencent seulement à rattraper leur retard sur la question écologique ».

« Les profs m’ont recalée »

À l’IFM, une partie des projets doit ainsi être réalisée en upcycling, (surcyclage » en français), tendance qui consiste à récupérer d’anciens vêtements pour en créer de nouveaux. Une technique de niche et riche de sens, qu’il est encore difficile à appliquer aux contraintes temporelles et financières de la très polluante « fast fashion », production massive de vêtements d’entrée de gamme selon des collections renouvelées à un rythme effréné.

L’upcycling et sa dimension éthique trouvent aujourd’hui leurs lettres de noblesse jusqu’à un certain point. Ancienne étudiante en design à Esmod, autre école parisienne réputée, Cynthia raconte les obstacles rencontrés au cours de son cursus : « En 2017, j’ai voulu faire ma collection de fin d’études 100 % recyclée à partir de vêtements trouvés en friperie, pour les transformer en d’autres pièces différentes. Les profs m’ont directement recalée en disant que ça faisait trop poubelle et que personne ne voudrait acheter ça. »

« C’est juste choquant ! Ça démotive des élèves qui ont envie de changer les choses », s’offusque Thomas Ebélé lorsqu’on lui relate l’anecdote. Pour lui, la transition écologique du secteur viendra de l’intérieur, à mesure que cette génération sensibilisée se fera sa place dans l’industrie. En attendant, pense Catherine, jeune designer, « la haute couture ne peut pas être complètement green, la mode éco-durable n’est pas au niveau… pour l’instant ! »