Opticienne en région parisienne, Samira (1) ne prie que très rarement à la mosquée, seulement lorsqu’elle y accompagne sa mère. C’est sur la page Facebook Les Algériennes qu’elle a entendu parler de Kahina Bahloul – présentée dans les médias comme « la première femme imame » en France – et de son projet de mosquée mixte. Elle a même convaincu son mari – encore plus « méfiant » – de venir à cette première conférence publique sur le thème « Islam : pour une théologie à la lumière des sciences humaines et sociales ».

« L’idée que les femmes prient à côté des hommes et non derrière, et même qu’une femme puisse guider la prière, me convient très bien », assure ce courtier en assurance. Que le colloque ait lieu dans une église, en l’occurrence la paroisse luthérienne Saint-Jean à Paris, est également bon signe à ses yeux. « Même si c’est pour des raisons financières et parce que les organisateurs n’ont pas encore de quoi financer leur mosquée, précise-t-il. Tous les musulmans ne le feraient pas. »

Collecter des fonds

Comme eux, une petite centaine de participants ont répondu à l’invitation lancée par la future mosquée Fatima sur les réseaux sociaux. Fondée en janvier par Kahina Bahloul et Faker Korchane, tous deux enseignants et théologiens, l’association cherche actuellement à élargir son audience… et à collecter des fonds. « Nous aider à financer la mosquée Fatima permettra de remettre en lumière les fondements de l’islam dans un espace respectueux et ouvert », affirme l’appel aux dons, qui a permis de récolter un peu plus de 4 000 € en un mois.

« Mixte », « libérale » ou « progressiste », l’association se donne surtout pour objectif de « faire sortir le discours musulman réformiste de l’université pour le ramener à l’intérieur de la mosquée », explique Faker Korchane, lui-même issu du courant néo-mutazilite (rationaliste). Parmi les milliers de hadiths, ces courts récits attribués par la tradition au prophète de l’islam ou à ses compagnons, jugés parfois fantaisistes par les historiens mais que les salafistes prétendent appliquer à la lettre, la mosquée Fatima ne retiendra par exemple que « ceux qui ne contredisent ni le Coran, ni la raison ».

Professeur de mathématiques, « amateur de poésie et de Kant », Sofiane se définit comme « un musulman qui cherche ». « Mes parents ne m’ont pas parlé de religion, alors j’ai dû me renseigner moi-même », raconte-t-il. C’est dans les cercles de discussion de l’association pour la Renaissance de l’islam mutazilite qu’il a « trouvé (s) on islam ». « Tout seul, on peut prier mais nous sommes des êtres sociaux : c’est magnifique de pouvoir partager sa spiritualité avec d’autres. Lorsque je fais l’expérience de la prière mixte, je me sens sincère avec Dieu : je respecte l’être humain comme il l’a créé, homme ou femme. »

Récits merveilleux

Les questions posées aux intervenants tout au long de l’après-midi témoignent toutefois du long chemin qui attend la mosquée Fatima pour s’imposer aux côtés des autres courants traditionnels : que s’est-il passé depuis la naissance de l’islam réformiste au XIXe siècle pour qu’il fasse si peur aujourd’hui ? Faut-il rester bienveillant avec un musulman traditionaliste qui croit au Coran incréé ou lui raconter l’histoire de l’apparition de ce dogme ?

Toutes deux membres de l’association « féministe » d’inspiration musulmane Lallab, Sofia et Sarah se sont retrouvées par hasard au colloque (1). La première s’est toujours « posé des questions dans sa pratique de l’islam » mais elle hésite : « Le dogme dominant, très conservateur, me pose problème mais je ne veux pas abandonner ma foi », avoue l’étudiante. « J’aimerais trouver une mosquée dans laquelle je me sente à l’aise, je ne sais pas si ce sera Fatima. Leur démarche est quand même très audacieuse : il faudrait que je prenne mon courage à deux mains pour oser faire le pas et suivre une femme imame ! » Coiffée d’un turban, Sarah, elle, se sent prête. « Mes parents savent que je suis féministe. Mon père m’a dit : “Fais ce qui est bien pour toi”. »« Pour certains parents, la mosquée Fatima sera “mieux que rien”, commente un de leurs amis qui a assisté a l’échange. Car il ne faut pas oublier que beaucoup de jeunes ne vont jamais à la mosquée. »

C’est le cas de Hafida, éduquée dans une famille traditionaliste et qui a rompu avec la pratique et même sa religion : « Si je suis membre de la mosquée Fatima, c’est parce que je sais les ravages que peut causer certaines formes d’islam. Je tiens à ce qu’il existe des mosquées comme celle-ci pour les autres musulmans, et peut-être un jour pour mes enfants, s’ils souhaitent s’intéresser à leur religion. »

(1) La plupart des prénoms ont été changés.