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Henri Rousseau en 3 minutes

En bref

Il fut surnommé le « Douanier » en raison de sa profession, bien éloignée du monde de l’art. Henri Rousseau (1844–1910) fut un peintre autodidacte, souvent qualifié de naïf et moqué par ses contemporains, mais admiré par les avant-gardes du XXe siècle. Son œuvre très ambitieuse, qui recouvre aussi bien le genre historique que le portrait et le paysage, est peuplée de visions exotiques dont la poésie a séduit des personnalités comme André Breton, Pablo Picasso, Alfred Jarry ou Félix Vallotton.

Henri Rousseau dans son atelier rue Perrel à Paris
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Henri Rousseau dans son atelier rue Perrel à Paris, 1907

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© Archives Larousse / Bridgeman Images / Dornac

Il a dit

« Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je pénètre dans ces serres et que je vois ces plantes étranges des pays exotiques, il me semble que j’entre dans un rêve. »

Sa vie

Né dans un milieu très modeste à Laval, le jeune Henri est placé en pension par ses parents. Peu scolaire, il montre en revanche un amour pour le dessin. Cependant, les exigences de la vie le poussent à entrer comme commis dans une étude notariale à Nantes. Il a une vingtaine d’années, et de sérieux problèmes d’argent. Accusé de vol, il est licencié et s’engage dans l’armée, en 1863, pour échapper à la maison de correction.

Futur père d’une famille de neuf enfants (dont certains mourront), Henri Rousseau s’installe à Paris et entre à l’octroi (qui perçoit les taxes sur les marchandises pénétrant dans Paris) en 1871, juste après la guerre franco-prussienne. Il n’est donc pas véritablement douanier, mais déjà peintre amateur – ce travail lui laissant suffisamment de temps libre.

Rousseau est un esprit mystique, convaincu que des forces occultes l’assistent dans son désir de devenir artiste. Pourtant, malgré ses efforts et ses études en autodidacte des maîtres du Louvre, ses envois jugés maladroits (paysages, portraits, scènes de genre…) sont rejetés par le jury du Salon officiel.

Grâce à la création, en 1884, du Salon des Indépendants (notamment par Georges Seurat et Paul Signac), salon sans jury ni récompense, Henri Rousseau trouve le lieu où exposer ses œuvres. Celles-ci étonnent le public et les artistes. On le traite d’amateur. Lui pourtant pense à Paul Cézanne, Paul Gauguin, Vincent van Gogh… et se considère comme un novateur. Alfred Jarry le surnomme alors « le douanier » en raison de son métier. Malgré les quolibets, Rousseau reste un fidèle des Indépendants.

Son style naïf n’est pas fortuit. Le peintre fait appel à l’imagerie populaire, mais il nourrit aussi une grande admiration pour la précision des artistes académiques comme Jean-Léon Gérôme ou Jean-Auguste-Dominique Ingres. Mais, à leur différence, Rousseau n’a pas recours aux lois de la perspective occidentale. Par cette manière jugée primitive, il exalte le mythe de l’innocence à une époque où d’autres artistes, tels Gauguin, cherchent un retour à la pureté des origines.

En 1891, Rousseau débute le thème des jungles, qui occupera une place importante dans son œuvre. Trois ans plus tard, devenu veuf et retraité, Rousseau entreprend de se consacrer uniquement à la peinture, même si sa situation financière est précaire. De plus en plus d’artistes s’intéressent à ce personnage hors normes, volontiers mythomane et original : Félix Vallotton, André Derain, Henri Matisse, Robert Delaunay, Picasso… Ce dernier organisera même en son honneur un mythique banquet au Bateau-Lavoir en 1908.

Rousseau vit essentiellement de leçons de dessin qu’il donne au sein d’une association. Jusqu’à une malheureuse mésaventure qui le conduit en 1907 en prison (pour avoir baigné dans une affaire d’escroquerie). À force d’exposer, cependant, il parvient à séduire le marchand Wilhelm Uhde, et surtout Guillaume Apollinaire, poète et critique du cubisme, qui devient l’un de ses plus fervents soutiens.

Henri Rousseau décède en 1910 des suites d’une gangrène à la jambe. Sans argent, peu entouré, il est enterré dans une fosse commune. Ce n’est que bien plus tard, en 1947, que ses restes sont transférés dans sa ville natale grâce à l’aide de quelques amis artistes, tels Robert Delaunay.

Ses œuvres clés

Henri Rousseau, Moi-même, portrait-paysage
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Henri Rousseau, Moi-même, portrait-paysage, 1890

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huile sur toile • 146 × 133 cm • Coll. Národní galerie, Prague

Moi-même, portrait-paysage, 1890

Attaché aux honneurs et à une reconnaissance officielle, Henri Rousseau se prête ici, à l’âge de 45 ans, à l’exercice traditionnel de l’autoportrait, mais qu’il renouvelle selon une formule très personnelle qu’il nomme « portrait-paysage ». Ainsi, à l’image d’Épinal du peintre, béret sur la tête et palette en main, il associe des éléments emblématiques de son univers : le Paris de la modernité avec ses constructions métalliques, le quai de Seine où se situe l’octroi qui l’emploie, et une montgolfière semblable à celles qu’il a observées, ébloui, l’année précédente lors de l’Exposition universelle.

Henri Rousseau, La Guerre
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Henri Rousseau, La Guerre, 1894

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huile sur toile • 114 × 195 cm • Coll. musée d’Orsay, Paris

La Guerre, vers 1894

Tableau allégorique de grande ambition, La Guerre (également intitulé La Chevauchée de la discorde) a peut-être été inspiré à Rousseau par la Tenture de l’Apocalypse du XIVe siècle (conservée à Angers) qu’il avait vu enfant, combiné à l’actualité de la guerre franco-prussienne et à une image trouvée dans la presse. Cette thématique dramatique est rare au milieu d’une production plutôt joyeuse. En mettant en scène une femme hirsute, tenant glaive et flambeau sur un cheval noir au galop surplombant un charnier, Rousseau livre une vision universelle et tragique de la guerre – celle qui, selon ses propres mots, laisse partout « le désespoir, les pleurs et la ruine ».

Henri Rousseau, Le Rêve
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Henri Rousseau, Le Rêve, 1910

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« Le rêve est un rébus »

« Je crois que cette année personne n’osera rire », écrit Apollinaire alors qu’il découvre, médusé, au Salon des indépendants de 1910, cette immense toile envahie de jungle fantastique et de bêtes sauvages. Aucun des tableaux exotiques de Rousseau n’avait jusqu’ici atteint une telle beauté onirique. Si le contraste offert par l’insolite rencontre entre un animal féroce et une beauté sensuelle a souvent été exploité en peinture, l’atmosphère mystérieuse imposée par le flamboyant décor et le joueur de flûte transcende ici l’anecdote. L’artiste admit que la scène s’était imposée à lui par la simple puissance du rêve. Et comme dans un rêve, son tableau ressemble à un collage de motifs disparates, parfois empruntés à des œuvres antérieures, convoquant ainsi la théorie que Freud formulait quelques années plus tôt : « Le rêve est un rébus. »

huile sur toile • 298,5 × 204,5 cm • Coll. MoMA, New York • © Bridgeman Images

Le Rêve, 1910

Pour concevoir ses jungles, Henri Rousseau n’a jamais mis un pied hors de France. Son terrain d’exploration était le Jardin des Plantes, à Paris, qui possède une ménagerie et des serres tropicales. Ultime et immense chef-d’œuvre, Le Rêve associe avec originalité cet environnement exotique à un nu féminin (référence tant aux odalisques académiques qu’à une femme que connut réellement Rousseau), créant une puissante atmosphère onirique et mystérieuse où se côtoient, au clair de lune, des bêtes sauvages et un charmeur de serpent. Une œuvre tellement singulière que le marchand Ambroise Vollard s’en porta acquéreur, et qu’elle suscita l’admiration des surréalistes, en particulier d’André Breton.

Par • le 23 septembre 2019
Retrouvez dans l’Encyclo : Douanier Rousseau

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