Interview

Journaliste marocaine emprisonnée : «Il n'y a probablement pas eu d'avortement provoqué»

La journaliste Hajar Raissouni, détenue en prison pour «avortement illégal» et «relation sexuelle hors mariage» au Maroc, n'aurait pas avorté, explique le gynécologue obstétricien et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, Chafik Chraïbi.
par Dounia Hadni
publié le 27 septembre 2019 à 16h45

L’affaire de la journaliste Hajar Raissouni, poursuivie pour «avortement illégal» et «relation sexuelle hors mariage»,

contre les lois liberticides. Gynécologue obstétricien et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac), Chafik Chraïbi explique à

Libération

pourquoi la jeune femme de 28 ans n’a probablement pas avorté et ce que cette affaire dit du climat répressif ambiant.

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Une expertise médicale récente montre qu’Hajar Raissouni n’a pas subi d’avortement. Comment en est-on arrivé là ?

Il y a eu deux expertises sur demande de la police judiciaire. La première a eu lieu juste après son arrestation. Ce sont des jeunes médecins en formation qui s’en sont chargés à la maternité Souissi de Rabat. Ils ne disent à aucun moment s’ils constatent des traces d’avortement sur le col de l’utérus. Le lendemain, d’autres examens sont faits par le chef de service qui relève des stigmates d’anciennes infections sans préciser s’il voit, ou non, l’existence de lésions dues à un avortement. Au lieu de porter sur l’avortement, l’expertise dévoile à tout le monde toutes sortes de détails sur le col de l’utérus d’une femme. Lors de la deuxième expertise, le dosage de l’hormone de grossesse est beaucoup plus bas que ne le présuppose l’âge de grossesse. Ce qui montre que la grossesse s’est arrêtée 48 heures plus tôt et qu’il n’y a probablement pas eu d’avortement provoqué. Dans ce cas, la fausse couche est vraisemblable.

L’équipe médicale a-t-elle pu être instrumentalisée par la police judiciaire ?

Non, je ne pense pas. Ils ne seraient pas capables d’aller jusque-là. Pour moi, tout cela démontre surtout un manque grave de professionnalisme.

Qu’il y ait eu avortement ou pas ne change rien à l’urgence de légaliser l’avortement au Maroc…

Evidemment. Je suis scandalisé que le Maroc applique une loi qui date des années 60 et n’a plus rien à voir avec la société actuelle. La répression se durcit : en 2018, il y a eu 73 personnes poursuivies pour délit d’avortement quand on avait l’habitude de compter trois à quatre arrestations par an maximum. L’Etat laissait faire.

Normalement, une arrestation dans ce genre de cas nécessite une plainte d’une tierce personne. Par ailleurs, c’est le médecin qui est souvent arrêté, pas la femme avortée. Si c’est le cas, elle est presque toujours acquittée et écope, dans le pire des cas, du sursis. Pareil pour les Marocaines ayant eu une relation sexuelle hors mariage, on a décidé de ne plus les arrêter quand on s’est retrouvé face à des femmes célibataires qui refusaient d’accoucher dans les hôpitaux. L’article 490 pénalisant ces relations n’était utilisé qu’en cas d’adultère ou de drame. Aujourd’hui, les poursuites se multiplient.

Quelle est la singularité de l’affaire Hajar Raissouni par rapport aux autres ?

A ma connaissance, Hajar Raissouni est la première femme emprisonnée pour avortement au Maroc. Il n'y a même pas eu de plainte contre elle pour expliquer ces poursuites. Hajar Raissouni, le gynécologue, l'anesthésiste, l'infirmière et la secrétaire, détenus depuis un mois, n'ont même pas droit à la liberté provisoire. En quoi ces personnes représentent-elles un danger public ?

D’où vient l’article 453 du code pénal qui interdit l’avortement excepté en cas de danger pour la santé ou la vie de la mère ?

Comme tout le code pénal marocain, cette loi est calquée sur le protectorat français.

Y a-t-il une volonté de réformer cette loi ?

Le roi du Maroc a ouvert le chantier concernant l’avortement en 2015 avec un projet de loi qui a même été adopté en Conseil de gouvernement. Et puis, plus rien entre 2016 et 2018.

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Pourquoi ça coince ?

Avec l'Amlac, on a fini par apprendre que ce retard était dû à l'intégration du projet au sein d'un projet beaucoup plus large de réforme du code pénal. Le roi devrait s'enquérir de ce qu'il en est quatre ans après… Le fait qu'un gouvernement islamiste (le PJD) viscéralement opposé à l'avortement et hostile aux libertés individuelles soit au pouvoir a sans doute un impact sur le climat répressif actuel.

En tant que militant sur le terrain pour la légalisation de l’avortement, observez-vous une évolution des mentalités ? 

Les mentalités changent peu à ce sujet. Une part importante de la population analphabète est convaincue que la légalisation de l’avortement est un péché qui va mener au libertinage et à la débauche. La population est divisée mais la société civile se mobilise de plus en plus. Après cette affaire, il nous reste une seule solution pour que ça change : sortir dans la rue en masse.

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Liez-vous le combat pour la légalisation de l’avortement à la lutte pour l’abolition de l’article 490 qui criminalise les relations sexuelles hors mariage au Maroc ?

Je ne veux pas les lier.

Pour rappel : le code Penal au Maroc prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour une femme ayant recours à l’avortement de manière illégale et d’un à cinq ans pour les médecins pratiquant un avortement.

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