« Il faudra s'entraider ou s'entretuer » : interview apocalyptique avec Yves Cochet

ENTRETIEN. L'ex-ministre de l'Écologie devenu collapsologue est formel : l'effondrement aura lieu d'ici à 2030. On a parié avec lui, rendez-vous dans dix ans.

Propos recueillis par et

Temps de lecture : 10 min

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En le retrouvant dans un café du 14e arrondissement parisien, on ne sait pas si on va tomber sur un Paco Rabanne collapsologue ou un Philippulus de l'anthropocène. Mais Yves Cochet, 73 ans, a l'air parfaitement sain d'esprit, et même fringant avec ses yeux bleus de séducteur et sa marinière de Breton. L'ancien ministre de l'Écologie reconverti en « historien du futur » publie Devant l'effondrement (Les liens qui libèrent), essai qui ferait passer l'intégrale des Mad Max pour une ode au progrès. Ce « millénariste laïc » est formel : le monde tel que nous le connaissons se sera effondré d'ici à 2030, entraînant la mort brutale de la moitié de la population mondiale. Un scénario qu'il juge regrettable, mais parfaitement « rationnel ». Contrairement à d'autres écologistes, cet ancien mathématicien mène une vie conforme à ses idées : installé dans une ancienne ferme près de Rennes, où il s'apprête à s'essayer à la permaculture, il n'a plus fréquenté d'avion depuis le sommet de Copenhague de 2009 sur le climat. Durant une heure, nous l'avons un peu titillé, nous avons frémi en l'écoutant dérouler sa vision d'un futur proche sans électricité et sans gendarmes, avant de finir par nous donner rendez-vous dans onze ans pour savoir qui, des optimistes tempérés ou du pessimiste radical, aura eu raison. Entretien.

Le Point : Vous annoncez que le grand effondrement se produira en 2030. Sans dire, d'ailleurs, quelle forme il prendra exactement : pandémie, famine, crise financière...

Yves Cochet : Il n'y aura pas une cause unique, l'effondrement de notre civilisation thermo-industrielle sera systémique et global, car aujourd'hui tout est connecté. L'un des dominos, qu'il s'agisse d'une forte hausse du baril de pétrole, d'une faillite de grande ampleur du système bancaire ou d'une raréfaction brutale de la biodiversité, entraînera les autres avec lui. Mais, aux alentours de 2030 – je ne suis pas à quelques années près –, il n'y aura en effet plus d'États sur cette planète. Ni d'ONU.

Privés d'électricité, les survivants ne mangeront plus qu'un poulet par trimestre...

Entre autres choses. Mais ça, ce sont des détails, c'est « the big picture » qu'il faut considérer, la grande histoire, pas ce qui concerne 3 millions de Bretons, mais ce qui affecte 7,5 milliards d'êtres humains. Soit la nature, les énergies fossiles, les États, les services de santé ou la sécurité, les transports, les télécommunications... Il faut regarder les chiffres, lire les rapports du Giec, du PNUE, de l'IPBES. Ils ne cessent d'augmenter leurs prévisions vers le pire, ce n'est pas moi qui invente  ! En trente ans, on a perdu 75 % des insectes. En quinze ans, 30 % des oiseaux. Et on croit que ça va durer comme ça jusque 2050  ? Non, on va mourir.

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En 2005, dans Pétrole Apocalypse, vous annonciez la fin du pétrole à bon marché pour les années 2010. Vous vous êtes trompé, puisque le pic pétrolier a été repoussé...

Oui, mais comme tout le monde. Je parlais du pétrole conventionnel. Il y a eu entre-temps l'exploitation du pétrole de schiste. Là encore, c'est un détail dans l'histoire, un délai de quelques années. Il est très probable que ce peak oil, ou pic de Hubbert, pour tous les liquides hydrocarbonés soit atteint vers 2025.

Vous pronostiquiez aussi, en 2008, que les JO de 2012 à Londres n'auraient pas lieu, et ce fut une édition mémorable... Pourquoi est-ce que vous auriez raison cette fois-ci  ?

Vous pouvez penser que j'ai tort. C'est même pour cette raison que l'effondrement va arriver, parce que le déni est absolument universel. Chez M. Trump, chez M. Bolsonaro, même chez M. Macron. Ces gens n'ont pas cessé de se tromper, beaucoup plus que moi d'ailleurs, et continuent de penser qu'avec plus de marché, plus de technologie, plus de croissance on va régler les quelques problèmes écologiques et sociaux qui se posent à nous. Plus ils croient à la croissance, plus on court vers le pire.

La disparition en moins de dix ans de la moitié de la population mondiale.

Vous parlez du Giec, mais ses rapports n'aboutissent pas du tout aux mêmes conclusions que vous. Son ancien vice-président, le climatologue Jean Jouzel, vous désavoue, estimant qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter dans le catastrophisme...

Évidemment : ce sont des consensus de savants, des gens qui ont besoin qu'on continue de financer leurs recherches. Il y a de l'autocensure, aussi.

Vous êtes un malthusien assumé, expliquant qu'il faut une réduction massive de la population mondiale...

Un néomalthusien ! Je n'en ai rien à faire de Malthus, qui était un vieux curé réactionnaire du XIXe siècle. Ce n'est pas « il faut », mais « il va y avoir » une réduction massive de la population, avec la disparition en moins de dix ans, je pense, de la moitié de la population mondiale, ce qui laissera environ 3 milliards d'êtres humains sur Terre. Pendant un temps, c'est vrai, j'ai dit que j'étais pour la grève du troisième ventre européen. Européen, uniquement, et non pas africain, car la question n'est pas le nombre d'habitants, mais ce nombre multiplié par l'empreinte écologique. À Paris, il y a 2 millions de personnes. Or leur empreinte n'est pas équivalente à 100 kilomètres carrés, la surface de la ville, mais à 10 000 kilomètres carrés et plus  ! (Il montre notre smartphone.) Rien dans ce téléphone n'est produit ici à Paris.

This time, it's different.

L'apocalypse a été annoncée maintes fois. Un néomalthusien comme Paul Ehrlich annonçait en 1968 dans La Bombe P qu'il y aurait des centaines de millions de morts de famines dans les années 1970. Ce n'est pas arrivé, tout au contraire. Ça ne vous fait pas réfléchir, l'échec systématique des prévisions catastrophistes  ?

Non, parce que, « this time, it's different ». Le géographe et biologiste Jared Diamond, auteur de Collapse, a observé des situations locales d'effondrement dans l'histoire, comme la chute de la civilisation maya ou celle des habitants de l'île de Pâques. Mais, cette fois-ci, l'effondrement sera systémique et global.

Mais que fait-on alors du présent  ? Vous écrivez, par exemple, que le problème du logement dans les grandes villes est un faux problème puisque, dans 15 ans, nous serons tous en train d'essayer de survivre par petits groupes dans la forêt de Fontainebleau. Ne fait-on plus rien  ?

Si, on se prépare  ! On organise le rationnement des denrées alimentaires et de l'énergie. 50 litres d'essence par tête et par mois, une bouteille d'huile d'olive, 2 kilos de semoule. On divise par dix tout ce qu'on a, y compris dans le transport et l'habitat. On me rétorque que les gens n'accepteront jamais une telle politique. C'est vrai. On ne peut pas imposer une économie de guerre avant la guerre. Donc il y aura la guerre.

J'espère de tout mon cœur me tromper.

Vous dites que vous n'espérez pas la catastrophe, mais, tout de même, vous seriez un peu déçu si vos prévisions se révélaient fausses, non ?

J'espère de tout mon cœur me tromper, mais mon scénario est le plus rationnel et le plus probable qui soit. Vous raisonnez par induction : ça n'est jamais arrivé, donc ça n'arrivera jamais. Mais les raisonnements par induction ne valent rien en histoire. Vous connaissez la dinde de Russel  ? Bertrand Russell, grand philosophe, grand logicien, raconte qu'un 1er janvier naît une dinde. Elle batifole dans les champs, elle mange des graines. Même chose le 2 janvier, et le 3, et au mois de février, et au mois de mars. La dinde trouve cela formidable, évidemment : elle pense que demain sera toujours comme aujourd'hui (c'est l'induction). Et, le 24 décembre, elle meurt, assassinée. Elle n'avait pas prévu le coup. Voilà, nous sommes tous des dindons parce que nous ne pouvons ni ne voulons imaginer notre propre fin.

Vous insistez beaucoup sur la rationalité, soyons donc rationnels. Avec le réchauffement climatique, l'urgence est aujourd'hui la réduction des émissions de CO2. Or il existe une énergie vertueuse sur ce plan : le nucléaire...

Le nucléaire, c'est toute une chaîne, de la mine d'uranium au retraitement. Il demande du pétrole, d'abord, et surtout il nécessite une société très technologique, très sûre, très démocratique. Pensez-vous que le XXIe siècle, y compris en Europe, sera absolument pacifique ? Qu'il n'y aura pas de guerre  ? Moi, je pense que l'humanité n'est pas raisonnable à ce point-là. Qui peut prédire que, dans 50 ans, la société française sera stable  ? Imaginez un épisode comme l'ouragan Katrina, mais étendu au monde entier. S'il y a une défection générale des fonctionnaires, avec des réacteurs nucléaires laissés à l'abandon, il peut y avoir 250 Fukushima en 2030  ! Encore une fois, je ne suis ni pessimiste ni optimiste : je regarde les chiffres, et les chiffres disent qu'on va vers le pire. On ne veut pas y penser : on veut vivre, on veut jouir.

Même chez EELV, ils me prennent pour un vieux fou.

Vous-même, êtes-vous heureux dans votre ancienne ferme près de Rennes  ?

Bien sûr, très heureux. Je parle beaucoup avec ma fille, qui a 45 ans, mes petits-fils, qui ont 13 et 19 ans. Je discute aussi avec mes voisins paysans, nous avons des échanges non monétaires : ils nous prêtent leur tracteur, par exemple, et ma fille, qui est ostéopathe, soigne les lumbagos. La solution n'est pas nationale ni internationale, elle est locale. Car l'effondrement marquera la fin de l'État central qui détient le monopole de la violence physique légitime. C'est avec nos voisins géographiques qu'il faudra créer des réseaux de solidarité. Il n'y aura pas le choix : il faudra s'entraider ou s'entretuer. Il faut donc créer des biorégions, des écolieux, des biotopes de guérison humaine.

Mais que pensent vos voisins campagnards de tout cela  ?

Ils n'y croient pas, évidemment. Je ne suis pas un prêcheur, même si j'ai un côté Philippulus dans L'Étoile mystérieuse : « Repentez-vous, la fin du monde est proche  ! » Je suis Philippulus. Mes voisins ne me croient pas, donc, mais commencent à être troublés. Les médias commencent à s'intéresser à ces questions aujourd'hui.

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La collapsologie est très à la mode : c'est vous qui avez gagné sur le plan médiatique contre ceux qui croient encore à l'idée de progrès...

Mais non, les effondristes restent très minoritaires  ! Même chez EELV, ils me prennent pour un vieux fou. Mélenchon vient de la gauche productiviste. Il a été très étonné quand je lui ai dit il y a quelques années que le capitalisme sera bientôt vaincu non par la lutte des classes, mais par la géologie. Partout, on nous dit « plus de croissance, plus de technologie ». Si j'avais gagné sur le plan des idées, je serais aujourd'hui à la place de Macron. On m'appellerait au pouvoir, un peu comme de Gaulle en 1957.

La vie locale post-effondrement que vous décrivez dans votre livre est tout de même un peu effrayante : des milices tournantes de citoyens, de grandes fêtes où on gaspille ensemble pour purger les tensions... Est-ce ça, une démocratie désirable  ?

On ne peut plus lutter contre l'effondrement, on ne peut qu'essayer de minimiser les conséquences, réduire le nombre de morts de 50 à 49 % de la population. S'il reste un peu d'humanité civilisée après cela, oui, je pense que cela pourra ressembler à ça. Certains pensent que les riches s'en sortiront en se réfugiant dans des forteresses, comme dans le film Soleil vert, mais je n'y crois pas. L'élite ne sera pas plus protégée de l'effondrement.

Le principal moyen de transport en 2030, ce sera le cheval.

Vous faites partie d'une génération bénie qui a largement profité de la vie, et vous vieillissez. N'est-ce pas votre propre crépuscule que vous projetez sur le reste de l'humanité  ?

C'est une hypothèse psychanalytique digne du café de commerce dans lequel nous nous trouvons (rires). Lévi-Strauss estimait d'ailleurs que l'on devenait pessimiste en vieillissant, et lui-même l'est devenu. Pouvez-vous penser que c'est le livre d'un vieux qui perd la tête  ? Mais j'espère être encore là en 2030 et alors... rira bien qui rira le dernier.

Seriez-vous prêt à faire un pari avec nous sur le fait qu'en 2030 l'effondrement aura bien eu lieu  ?

<p>Yves Cochet et son cheval Viking.</p> ©  DAMIEN MEYER / AFP

Yves Cochet et son cheval Viking.

© DAMIEN MEYER / AFP
Bien sûr. Mais, si je gagne ce pari, nous aurons du mal à nous revoir, il sera difficile de se déplacer. Tout le monde rit quand je dis ça, mais le principal moyen de transport en 2030, ce sera le cheval. L'automobile ne servira plus à rien. Si j'étais Mme Borne, d'ailleurs, je multiplierais dès aujourd'hui les grands haras nationaux et je développerais les élevages privés. Il y a un million de chevaux en France, c'est très insuffisant. Il faudra en tout cas que vous trouviez un moyen de me rejoindre. Je ne sais pas où vous serez, mais il est certain que Paris sera devenue complètement inhabitable. Si je perds, nous boirons du champagne dans la capitale.

Nous accorderez-vous l'asile dans votre refuge breton en cas de catastrophe  ?

Vous n'êtes pas sur la short list, malheureusement. Pour paraphraser Rocard, je ne pourrai pas accueillir toute la misère du monde, il faut être raisonnable (rires).

Devant l'effondrement d'Yves Cochet (Les liens qui libèrent, 251 p., 18,50 euros)

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Commentaires (196)

  • Bouki100

    Tout le monde tombe sur Yves Cochet, mais les Français continuent à aduler Nicolas Hulot, un autre effondriste qui prédit la fin du monde si on ne fait pas immédiatement tout ce qu'il réclame.

  • bourgeounours 22

    Ce qui nous confortera dans l'idée que plus c'est gros plus ça marche.

  • vmax

    Justinien10. Je me sens fainéant à côté de vos textes élaborés et documentés. Merci pour le partage de vos connaissances.