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« Il faut qu’il paye » : au Mali, les femmes violées par des djihadistes demandent justice

Abdoulaziz Al-Hassan, commissaire de la police islamique de Tombouctou en 2012, est poursuivi par la CPI et est accusé d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a réduit les femmes à l’état d’esclaves sexuelles.

Par Anna Pujol-Mazzini (Dakar, correspondance)

Publié le 01 octobre 2019 à 18h00, modifié le 01 octobre 2019 à 18h13

Temps de Lecture 4 min.

Une femme porte son bébé lors d’une tempête de sable à Tombouctou, en juillet 2013.

C’est dans une ancienne banque transformĂ©e en commissariat islamique que des femmes de Tombouctou ont Ă©tĂ© parquĂ©es par dizaines. EnfermĂ©es de longs jours dans cette prison de fortune, elles ont Ă©tĂ© rĂ©gulièrement violĂ©es pour avoir manquĂ© aux règles imposĂ©es par les djihadistes. Les associations de dĂ©fense des droits humains parlent mĂŞme de « viols systĂ©matiques Â» pendant l’occupation de cette rĂ©gion reculĂ©e du nord du Mali, en 2012, par les groupes armĂ©s Ansar Dine et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Sept ans après les faits, la Cour pĂ©nale internationale (CPI) a annoncĂ© l’ouverture prochaine du procès de l’ancien commissaire de la police islamique de Tombouctou, le Touareg malien Abdoulaziz Al-Hassan. Lundi 30 septembre, les juges de la CPI ont confirmĂ© les charges de « crimes de guerre Â» et « crimes contre l’humanitĂ© Â» Ă  son encontre. Entre autres, il est accusĂ© d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcĂ©s qui a rĂ©duit les femmes de la ville Ă  l’état d’esclaves sexuelles.

« Celles qui ne s’étaient pas bien couvertes, celles qu’on voyait en compagnie d’un homme qui n’était pas leur mari, celles qui Ă©taient prises en train de faire le commerce des produits de beauté… Toutes ces femmes Ă©taient arrĂŞtĂ©es, battues et envoyĂ©es Ă  la prison pour femmes. Et dans cette prison, elles Ă©taient violĂ©es Â», explique Bintou SamakĂ©, la prĂ©sidente de l’association Wildaf (Women in Law & Development in Africa), qui fournit du soutien aux femmes victimes de violences.

« RĂ©compenser Â» les djihadistes

Mariama* se souvient de sa colère contre les groupes djihadistes arrivĂ©s Ă  Tombouctou, qui bouleversaient son quotidien par leur violence et leurs règles arbitraires. « Il n’y avait pas de divertissements, pas de loisirs, pas d’éducation Â», raconte la jeune femme, alors âgĂ©e de 15 ans. Un jour qu’elle part chercher de l’eau, elle dĂ©cide d’ignorer ces règles et sort tĂŞte nue. C’est une course rapide, elle espère passer inaperçue. Mais les extrĂ©mistes l’arrĂŞtent et la traĂ®nent au commissariat islamique. Pendant son emprisonnement de quarante-huit heures, deux gardes l’emmènent dans une pièce reculĂ©e, oĂą elle est violĂ©e. « Lorsqu’ils ont fini, ils m’ont demandĂ© de m’habiller. Je n’avais mĂŞme pas la capacitĂ© de me lever Â», raconte-t-elle tout bas. A son retour dans la maison familiale, elle ne dit rien de ce qu’elle vient de subir.

A Tombouctou, beaucoup ont aussi Ă©tĂ© forcĂ©es au mariage pour « rĂ©compenser Â» les soldats du djihad et autoriser des relations sexuelles « dans le respect de la religion Â», selon la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Parfois, ces mariages Ă©taient collectifs, les extrĂ©mistes se cotisant pour payer une dot Ă  plusieurs. Une fois la nuit tombĂ©e, l’époux officiel laissait place Ă  d’autres qui, tour Ă  tour, abusaient de leur « femme Â», racontent les enquĂŞteurs qui se sont rendus sur place. Dans certains cas, les mariages forcĂ©s ne duraient que quelques heures et, aussitĂ´t consommĂ©s, se concluaient par un divorce.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Mausolées de Tombouctou : le jugement historique de la CPI

En 2012 et 2013, Wildaf a recensĂ© 173 femmes victimes de violences sexuelles et dont les sĂ©quelles physiques, psychologiques ou les grossesses rĂ©sultant des viols auraient nĂ©cessitĂ© une assistance immĂ©diate. Mais le vrai nombre des victimes, selon les associations, serait de plusieurs milliers. La plupart se sont tues pendant des semaines, des mois voire des annĂ©es, de peur d’être mises Ă  l’écart et blâmĂ©es par leurs familles. Des annĂ©es plus tard, les langues se dĂ©lient peu Ă  peu, dans l’espoir que justice soit rendue.

Après l’arrivĂ©e de ceux qu’elle appelle « les occupants Â», Ada*, alors âgĂ©e de 20 ans, est restĂ©e terrĂ©e dans sa maison. Finalement sortie faire des courses pour sa famille, elle est fouettĂ©e en plein marchĂ© pour n’avoir pas portĂ© de voile. Elle doit utiliser l’argent des courses pour acheter de quoi se couvrir. Puis, après une autre visite au marchĂ©, elle reçoit deux demandes en mariage, qu’elle refuse. La troisième demande n’en est plus une. « Ils sont venus de force, parce que c’est la loi du plus fort Â», se souvient-elle. AmenĂ©e dans une nouvelle maison avec le mari qu’elle n’a pas choisi, enfermĂ©e pendant deux semaines, elle est violĂ©e tous les soirs. Puis, un matin, le djihadiste divorce et se remarie aussi vite. « Ă‡a m’a encore dĂ©chirĂ©e de l’intĂ©rieur Â», dit-elle, meurtrie Ă  l’idĂ©e qu’une autre femme vive son calvaire.

Aucun homme n’a été inculpé

Ada n’a plus revu son bourreau, qui a quittĂ© la ville au moment de l’intervention des forces françaises pour libĂ©rer le nord du Mali du joug des extrĂ©mistes, en janvier 2013. Beaucoup d’autres n’ont pas eu cette chance : aucun homme n’a Ă©tĂ© inculpĂ© pour les viols commis pendant l’occupation de Tombouctou ; victimes et agresseurs se croisent rĂ©gulièrement dans les quartiers centraux de cette citĂ© de 50 000 habitants.

Très peu de femmes ont reçu une assistance mĂ©dicale ou psychologique. La Commission vĂ©ritĂ©, justice et rĂ©conciliation (CVJR), mise en place par le gouvernement malien pour enquĂŞter sur les crimes de guerre commis depuis l’indĂ©pendance, ne dispose que d’un seul psychologue, basĂ© Ă  Bamako, pour assister des milliers de personnes affectĂ©es. Le procès d’Al-Hassan est le premier Ă  entendre des victimes de ces crimes. Au Mali, deux plaintes collectives de victimes de violences sexuelles, dĂ©posĂ©es en 2014 et 2015, n’ont jamais abouti après que les juges chargĂ©s d’enquĂŞter ont quittĂ© le nord du pays pour garantir leur propre sĂ©curitĂ©.

MalgrĂ© un accord de paix signĂ© Ă  Alger en 2015, les femmes du nord n’ont pas connu de rĂ©pit. L’annĂ©e dernière, Alioune Tine, expert indĂ©pendant sur la situation des droits humains au Mali, dĂ©clarait : « Aucune femme ne peut monter dans un bus entre Gao et Bamako sans risque de violence physique ou sexuelle. Â» A mesure que les violences contre les civils se dĂ©placent vers le centre du pays, les viols se multiplient.

Sept ans plus tard, Mariama essaye toujours de reprendre une « vie normale Â» et de retrouver l’insouciance qui lui a Ă©tĂ© volĂ©e. Le procès d’Al-Hassan, espère-t-elle, lui apportera un dĂ©but de rĂ©pit : « Il faut qu’il paye, dit-elle. S’il n’avait pas ouvert le commissariat islamique, tout ça ne serait pas arrivĂ©. Â»

*Les prénoms ont été changés.

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