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Billet de blog 3 avril 2014

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Au bord du monde

Un cri magnifique …Paris la nuit. La ville lumière, la ville splendeur et, à la périphérie de la vie, presque invisibles à qui ne veut les voir, des hommes et des femmes survivent dans la rue à deux pas de notre opulence. Le documentaire de Claude Drexel leur redonne la parole en les filmant au plus près tout en optant pour un parti pris esthétique. Le décor en arrière-plan est somptueux ; la capitale brille de ses mille feux puis soudain le regard se porte sur ceux qu'on ne voit jamais.

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Un cri magnifique …

Paris la nuit. La ville lumière, la ville splendeur et, à la périphérie de la vie, presque invisibles à qui ne veut les voir, des hommes et des femmes survivent dans la rue à deux pas de notre opulence. Le documentaire de Claude Drexel leur redonne la parole en les filmant au plus près tout en optant pour un parti pris esthétique. Le décor en arrière-plan est somptueux ; la capitale brille de ses mille feux puis soudain le regard se porte sur ceux qu'on ne voit jamais.

Et c'est alors le coup de poing dans nos certitudes, la fin d'un mythe confortable. Ce sont des êtres de raison et de conscience qui se tiennent là, à l'écart de notre monde, qui observent sans juger, qui nous disent leurs vies, en longs monologues, sans rancœur ni plaintes. C'est bien là le plus troublant de ces histoires, livrées par minuscules fragments comme si la pudeur était l'unique rempart de ceux qui n'ont plus aucune intimité.

Soudain, nous sommes happés par des récits bouleversants. Ne croyez pas qu'ils se racontent, qu'ils versent ici leur sac à misères. Point de récriminations ni de propos larmoyants. C'est bien ce qui nous trouble et nous interpelle. Ils se placent en marge d'une vie qui se refuse à eux, d'un flot quotidien dans lequel ils n'ont pas su ou pas voulu prendre leur place.

Ce sont leurs silences et leurs regards qui en disent le plus ; non qu'ils aient perdu l'usage de la langue mais plutôt l'habitude d'être écoutés. C'est dans le poids d'un souffle, dans la brûlure d'un sourire en décalage, dans la fissure d'un regard qui s'enfuit vers un ailleurs inaccessible que nous percevons le poids d'une vie comme rétractée autour des fonctions vitales : manger, dormir, se protéger.

Leur quotidien, on le devine bien plus qu'ils ne nous le racontent. Leurs discours prennent de la hauteur, jugent avec une acuité sidérante cette société en marge de laquelle ils nous observent. Ils sont aux premières loges, observateurs sidérés par notre folie, notre vitesse et notre absence d'humanité. « La société recule aussi vite que le progrès avance » nous lance l'un de ces philosophes du bitume. Je crains qu'il n'ait raison.

La caméra se perd alors dans les lignes de fuite du métro et des rues, des bâtiments et de la Seine. Nous nous perdons nous aussi dans cette géométrie abstraite, froide, lugubre où la vie, paradoxalement, est portée par cet homme , par cette femme qui, à ras le sol, sont plus grands et plus civilisés que nous. Ils nous fascinent et nous déstabilisent. C'est nous ces passants qui filons à toute vitesse sans même un regard, c'est encore nous ces employés qui exigent de ne pas voir de tentes face à leurs bureaux ; c'est toujours qui venons hurler à leurs oreilles alors que nous sortons d'un lieu de fête …

Les valeurs se renversent ; nous sommes scrutés par ces êtres que nous nous refusons de considérer. C'est notre vie qui devient absurde, notre pauvre repli égoïste sur l'argent et des soucis si matériels. Eux, ils savent la solidarité et le courage, la persévérance et l'opiniâtreté. Ils sont au-dessus de notre condition de furieux de l'égoïsme.

Alors, nous les écoutons enfin nous dire leurs failles et leurs fulgurances. Ce sont des philosophes et des poètes, des gens de bien et des cœurs purs. Nous sommes emportés par l'absurde, le magnifique, le dérisoire, le sublime, le tendre et le sordide. Sans révolte ni méchanceté, ils nous affirment qu'ils ont une âme et nous font douter que nous ayons su garder la nôtre.

Paradoxalement, eux qui habitent au bord de notre monde, qui sont, par ou pour nous, cachés, rejetés, écartés, eux seuls placent encore l'humain au centre de leur discours avec une générosité d'une incroyable force, avec des propos parfois christiques, toujours humbles, toujours porteurs de compassion. Le décor est renversé, les rôles ont été inter-changés. Les clochards, les sans-abris, les exclus, les sans domicile, les marginaux sont les seigneurs de cette superbe ville nocturne.

Le film se termine et vous laisse sans voix, sans force, touchés par une incroyable tempête intérieure. Comment ne pas sortir différent de cette projection qui devrait être déclarée de salubrité publique ? Dans la salle, nous ressentons la honte ineffable d'être dans une ville qui interdit la mendicité, qui fait la chasse au bivouac, qui poursuit la misère au lieu d'y apporter des réponses humaines.

Puis nous comprenons que c'est d'abord notre regard qui doit changer, que les agitations sécuritaires d'une municipalité ne sont rien en comparaison de notre indifférence, de notre gêne, de notre fuite, de nos lâchetés. Chacun se promet de ne plus jamais fuir le regard de celui qui est à terre, de lui dire un mot en passant, de le considérer comme frère devant l'humanité.

Voilà la leçon magnifique que nous ont offerte Claus Drexel et ceux qu'il a filmés avec une telle générosité. Je ne peux que vous inviter à remuer ciel et terre pour que passe dans votre ville ce film remarquable. C'est si rare une œuvre qui vous rend meilleur ! Ne passez surtout pas à côté de ce cadeau magnifique !

Ontologiquement leur. 

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