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Après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, des intox en série

De nombreuses publications mensongères et alarmistes ont été relayées sur les réseaux sociaux, quatre jours après l’accident de l’usine chimique Lubrizol.

Par  et

Publié le 30 septembre 2019 à 17h05, modifié le 01 octobre 2019 à 11h43

Temps de Lecture 8 min.

Depuis l’incendie de l’usine Lubrizol survenu le 26 septembre à Rouen (Seine-Maritime), les autorités se sont montrées rassurantes et le gouvernement a promis une « transparence totale » sur les résultats d’analyses de la pollution engendrée par l’incendie. Sans convaincre.

En effet, les inquiétudes demeurent. Bon nombre d’entre elles se sont exprimées sur les réseaux sociaux, avec des allégations parfois douteuses, voire complètement inventées. En voici quelques exemples pour ne pas tomber dans le panneau.

1. Le faux communiqué préfectoral

« Nuage de fume traversant la zone nord, suite à l’incendie de Rouen : des effets secondaires dangereux pour la santé à court et long termes ne sont pas à exclure. » (SIC)

Au lendemain de l’incendie, un communiqué de presse inquiétant a très largement circulé sur les réseaux sociaux. Daté du 27 septembre, ce texte d’une dizaine de lignes est censé émaner de l’agence régionale de santé (ARS) et la préfecture du Nord. On y lit, notamment, que « des analyses réalisées, ce jour, en Normandie montrent que les effets de ce nuage peuvent se révéler irritants et odorants avec une toxicité aiguë ».

Ce communiqué est un faux assez grossier. Plusieurs éléments permettent de s’en apercevoir assez rapidement. Tout d’abord, le texte est truffé de fautes d’orthographe. Ensuite, de flagrantes incohérences géographiques décrédibilisent un peu plus ce texte. Il est signé à Lille, mais cite la préfète de Normandie et de Seine-Maritime. En pied de document, seule la préfecture du Nord est mentionnée, alors que celles de Seine-Maritime et de Normandie auraient dû l’être également. Enfin, c’est le logo de l’ARS des Hauts-de-France qui figure en tête du communiqué, alors que les analyses réalisées sont supposées être en cours en Normandie.

Le préfet de Seine-Maritime, Pierre-André Durand, a confirmé auprès de France Bleu qu’il s’agissait bien d’un faux : « C’est évidemment un montage qui a été réalisé à partir des logos de l’Etat et de l’ARS avec des informations erronées et malveillantes visant à diffuser de la fausse information. (…) » Il ajoute : « Cette attitude est inadmissible et nous envisageons de saisir l’autorité judiciaire et de déposer plainte. »

2. Les photos décontextualisées d’animaux morts

Plusieurs photos d’animaux morts présentées comme prises à Rouen ou ses alentours ont énormément circulé ; elles sont censées illustrer les dangers des fumées noires de l’incendie. Une photo, en particulier, est devenue extrêmement virale.

Voici deux exemples de messages faisant le lien entre des morts d’animaux et la catastrophe de Lubrizol (le compte intitulé « Aurore Bergé », à gauche, n’est pas celui de la députée LRM mais un profil qui se dit « parodique »).

Selon le site RouenInfo, qui a diffusé initialement l’image, ces deux oiseaux morts ont été photographiés par un Rouennais prénommé Alexandre, au lendemain de l’incendie. Faut-il, pour autant, lier le décès de ces deux volatiles avec les substances émises par l’usine chimique ?

Interrogé par Paris-Normandie le 27 septembre, le préfet a affirmé ne pas avoir eu « connaissance de tels événements ». Le site de la chaîne LCI a, pour sa part, contacté, le Centre d’hébergement et d’étude sur la nature et l’environnement (Chéne), à Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime). Il appelle à la prudence concernant les causes qui ont pu entraîner la mort des deux oiseaux. Le centre ajoute n’avoir « constaté aucun surcroît d’activité » depuis l’incident.

S’il est donc prématuré de tirer une quelconque conclusion concernant ces oiseaux, on peut en revanche affirmer facilement que d’autres photos sont mensongères. Cette image, publiée par plusieurs internautes, montre une route jonchée de volatiles morts. Elle date de janvier 2011 et a été prise en Louisiane (Etats-Unis).

Prudence également avec les images de poissons morts. « Des milliers de poissons ont été retrouvés morts cette nuit ! Leur mort serait dû à la pollution de l’eau dû à l’incendie de l’usine #Lubrizol à Rouen. Plus aucun bateau ne passe dans le canal depuis des années ! A Lallaing dans la Scarpe près de Douai » (SIC), écrit par exemple cet internaute. D’une part, l’une des images d’une base de données de photos d’illustrations. D’autre part, il est bien trop tôt pour conclure quoi que ce soit. De nombreux poissons ont effectivement été retrouvés morts dans une écluse à Lallaing (dans le Nord, à plus de 200 km de Rouen) dans la nuit du 26 au 27 septembre, mais il faudra attendre plusieurs semaines pour connaître le résultat des analyses et la cause des décès.

3. L’intox de l’arrêt de la mesure de l’air

Selon @tprincedelamour, multirécidiviste de l’intox sur Twitter, il y aurait eu « une grave opération de dissimulation » sur la mesure de la qualité de l’air à Rouen. Il n’est pas seul à affirmer cela. Quelques heures après le début de l’incendie, de nombreux internautes se sont émus de l’arrêt de la diffusion de l’indice Atmo. Cet indicateur journalier décrit la qualité de l’air dans les agglomérations françaises de plus de 100 000 habitants, en se basant sur la mesure de dioxyde de soufre, d’ozone, de particules fines et de dioxyde d’azote.

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L’indice quotidien de la qualité de l’air pour Rouen n’a pas été diffusé, car il était jugé non représentatif de la situation. Mais les mesures ont tout de même été effectuées. Dans un communiqué publié le 27 septembre, Atmo Normandie a précisé les choses :

« Contrairement à ce qui a été cru hier durant l’incendie, Atmo Normandie n’a pas stoppé ses mesures qui étaient consultables en permanence dans l’onglet mesures[du site Internet]. Seule a été temporairement suspendue la diffusion de l’indice Atmo synthétique lié à la pollution quotidienne car son mode de calcul ne prend pas en compte ni les odeurs ni les polluants atypiques émis lors d’un accident. Pour évaluer ces derniers, Atmo Normandie a mis en place durant la journée d’hier, jeudi 26 septembre, des mesures complémentaires dont l’analyse complexe ne peut être en temps réel car faite en laboratoire de chimie. »

4. L’alerte mensongère sur l’eau non potable

« Ne buvez surtout pas l’eau du robinet, y a des substances toxiques qui sont présentes. » Ce message alarmiste s’est répandu comme une traînée de poudre sur Facebook, quelques heures seulement après la catastrophe.

Un CHU aurait déconseillé aux habitants de Rouen et de ses alentours de boire l’eau du robinet. Certains indiquent même avoir trouvé cette information sur France Bleu ou le site local 76Actu. Ces messages sont tout bonnement inventés. Le centre hospitalier de Rouen n’a émis aucun avertissement. Il a d’ailleurs été contraint de démentir cette information sur Twitter à plusieurs reprises le 26 septembre. « Nous sommes en lien direct avec la cellule de crise du préfet de la Seine-Maritime : l’eau du robinet est potable. (…) Nous n’avons reçu aucune consigne nous disant de ne pas boire l’eau du robinet », a-t-il clarifié.

Des vidéos montrant une eau noire coulant du robinet de plusieurs habitants ont été massivement relayées aussi. Le préfet de la Seine-Maritime a assuré, le 30 septembre, que la métropole de Rouen et l’ARS de Normandie n’avaient pas constaté d’« anomalie » sur le réseau d’eau potable.

La métropole de Rouen a également indiqué que, suite à l’incendie, elle a procédé « immédiatement à des mesures complémentaires des analyses quotidiennes habituelles » et qu’« aucune trace de contamination n’a été relevée ». Elle précise « que les réseaux de distribution d’eau potable sont interconnectés et sécurisés de manière à pouvoir isoler toute nappe potentiellement impactée et ainsi assurer la distribution de l’eau potable au robinet des usagers ».

5. La fausse vidéo de l’explosion

Cette vidéo, qui a été massivement relayée quelques heures après l’incendie, a été en réalité prise en Chine en août 2015. Le compte Twitter de l’auteur à l’origine de cette intox a été suspendu depuis.

6. Le témoignage douteux d’un technicien de laboratoire

« J’ai honte… je travaille au labo chargé de l’expertise. On m’a demandé de falsifier les résultats. Je n’ai pas eu le choix. En fait le désastre est tel qu’il faudrait évacuer… département dans son entier ! » Ce témoignage relayé sans source est peu vraisemblable.

Partagée pour la première fois sur Facebook le 28 septembre, cette déclaration a, en fait, été publiée dans les commentaires d’un article du Figaro. L’auteur du témoignage, le supposé laborantin, est un habitué du site et a tendance à raconter tout et n’importe quoi.

Le 30 septembre, il expliquait : « Notre fille a déjeuné hier d’un œuf à la coque et d’une tartine de pain beurré recouverte de miel, le tout comme d’habitude des environs de Rouen où nous vivons. Une irruption de plaque purulentes a rapidement recouvert son corps alors que son visage enflait. Ses cheveux étaient tous tombés quand nous sommes arrivés au CHU. » (SIC)

La veille, le 29 septembre, il déclarait pourtant : « J’ai transféré ma famille à l’autre bout du pays… quant à moi après ces révélations je vais demander l’asile à l’ambassade d’Equateur à Londres ou bien à la Russie. Mais je continuerai de dire ce que je sais dans l’intérêt de mes compatriotes. » Bref, il s’agit d’un troll.

7. La présence de matières radioactives questionnée

Des publications alarmistes, comme celle du collectif Rouen dans la rue, ont voulu mettre en garde contre la présence de matières radioactives dans l’usine, en se basant sur des informations du ministère de l’écologie.

De fait, il y avait bien des matières radioactives dans l’usine, mais scellées dans des outils de mesure qui n’ont pas été touchés par l’incendie. Le préfet de Seine-Maritime, cité dans cette publication, le dit d’ailleurs très clairement : « L’usine ne stocke pas de produits radioactifs à des fins de production. Quelques instruments de mesure, sous scellés, comportaient des éléments radioactifs et n’ont pas été exposés au feu ni dégradés. Ils ont été vérifiés ensuite. » D’ailleurs, dans la fiche de risque Seveso du site, le risque radiologique n’est pas évoqué.

Comme le précise Libération, citant un syndicaliste du secteur, « des appareils comprenant des éléments radioactifs sont utilisés pour mesurer la densité des liquides, comme de l’huile, dans certains milieux agressifs. L’élément radioactif de ces instruments est enveloppé dans du plomb ».

De son côté, France TV ajoute que ces appareils « servent à mesurer le niveau dans les bacs [de produits] et renvoient l’information à leur PC de contrôle », reprenant les explications de Jean-Yves Lagalle, colonel des sapeurs-pompiers et directeur du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), qui gère les pompiers de Seine-Maritime. Selon Jean-Yves Lagalle, les doutes ont été levés grâce à « un véhicule spécialisé en risque radiologique, qui est venu avec ses appareils pour confirmer qu’il n’y avait aucun élément de source scellée qui ait été pris dans l’incendie, et qui pourrait éventuellement émettre des radiations ».

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