Alors que l'association féministe, où les intersectionnelles ont le vent en poupe, envisage de faire retirer la laïcité de sa charte, la secrétaire d'Etat a adressé un courrier à sa présidente que nous révélons en exclusivité.
Une proposition de rencontre en forme de mise en garde. Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, a envoyé ce jeudi 3 octobre un courrier adressé à Caroline Rebhi, présidente du Planning familial, lui proposant un "échange direct" portant notamment sur "les potentielles conséquences de la suppression de la valeur 'laïcité' des statuts de l'association". Parmi ces conséquences, figure... le devenir de la subvention de 272.000 euros que le gouvernement verse à l'association. Ce faisant, le gouvernement s'implique dans le débat qui agite le Planning depuis plusieurs mois, et s'inquiète ouvertement du noyautage de ce mouvement historiquement universaliste par une tendance intersectionnelle, aujourd'hui en passe d'imposer ses vues au niveau national.
Ce féminisme d'un nouveau type, sous couvert d'examiner le "croisement des rapports de domination sans les hiérarchiser", consiste le plus souvent à instaurer un relativisme culturel aux conséquences néfastes. Car nier l'existence d'une conception universelle des droits de la femme, et considérer que chaque individu peut définir sa propre vision de l'émancipation, revient fréquemment à adouber des pratiques religieuses ou culturelles sexistes. En enfermant, au passage, chaque femme dans une "communauté" réelle ou supposée. L'antenne du Planning familial des Bouches-du-Rhône en avait donné une frappante illustration en septembre 2018, en partageant un visuel assimilant le port du voile à de la "modestie" (reprenant ainsi le vocabulaire islamiste) puis en refusant de condamner explicitement l'excision.
D'après un témoignage paru dans une enquête fouillée de nos confrères de Charlie Hebdo datant de février dernier, certaines intervenantes du Planning, acquises au féminisme intersectionnel, refusent désormais de parler de droits universels lors de leurs interventions en milieu scolaire et indiquent aux jeunes filles : "Si c’est votre tradition, vous vous soumettez à cette tradition". Il était également relaté qu'une militante du Planning de Blois, portant le voile islamique et réputée très pieuse, avait partagé sur sa page Facebook des passages du Coran condamnant l'adultère et encadrant religieusement les rapports sexuels. De nombreuses antennes du Planning ont fait le choix de s'associer avec l'association Lallab, chantre du "féminisme musulman" et de la défense du port de voile. Cet été, le Planning de l'Isère a publié un communiqué de soutien aux militantes pro-burqini de Grenoble.
La laïcité supprimée de la charte du Planning ?
Les 25, 26 et 27 octobre prochains à Niort, le Planning familial doit tenir son congrès national. A l'intérieur du mouvement, les débats sont vifs entre féministes universalistes et intersectionnelles, à tel point que l'association y consacre une large partie du document de synthèse qui sera soumis au vote des membres. "De quel(s) féminisme(s) le Planning se revendique-t-il? Du féminisme universaliste, du féminisme intersectionnel, des deux? Cette question se pose avec celle du positionnement du Planning contre le racisme, et une de ses formes particulières qu’est l’islamophobie", est-il écrit dans cette note révélée par Charlie Hebdo. En prélude du congrès, le document dégage "trois orientations" : le féminisme universaliste, le féminisme intersectionnel et "une orientation qui revendique un féminisme universaliste s’articulant avec le cadre d’analyse de l’intersectionnalité". Cette dernière approche ménage la chèvre et le chou, reconnaissant "les valeurs universalistes mises en avant dans le contexte des années 1970" (droit à l'IVG, éducation à la sexualité, égalité salariale) tout en précisant que l'intersectionnalité doit permettre aux femmes de "concevoir leur émancipation elles-mêmes et pas forcément comme on le pense pour elles" et en mettant en avant les "implications évidentes dans [les] pratiques de terrain" de l'intersectionnalité.
L'orientation ouvertement intersectionnelle, elle, ne s'embarrasse pas de circonvolutions : considérant que "l’universalisme exclut des personnes en raison de leurs croyances religieuses, de leur habillement et de leur apparence", son texte estime que "les militantes, bénévoles et salariées du Planning doivent être conscientes des crimes et des effets du colonialisme, de leurs privilèges et du pouvoir qui en découle." Il s'attaque à "l'argumentaire raciste [qui] peut souvent s'appuyer sur des valeurs féministes" - une manoeuvre classique pour empêcher par exemple la critique du voile comme symbole sexiste - et appelle à "travailler sur la blanchité de notre mouvement : qu’avons-nous à dire sur le fait que la majorité de nos associations sont majoritairement blanches?". Point d'orgue de ce raisonnement, une critique de la laïcité, "un principe d'organisation de la société, pas une fin en soi", accusée de laisser s'exprimer "le racisme et l'islamophobie". Conséquence : un vote sera organisé lors du congrès pour retirer le terme 'laïcité' de la charte du Planning familial, votée en 2016.
Alerté par ces évolutions, et par "plusieurs remontées de terrain qui vont dans le même sens", la secrétaire d'Etat à l'égalité a donc décidé d'agir et a envoyé un courrier à Caroline Rebhi, co-présidente du Planning. "Marlène Schiappa est attachée au principe de laïcité, nous ne sommes pas pour une société communautariste, explique-t-on à son cabinet. Il existe une possibilité de modification philosophique au Planning qui est préoccupante et nous inquiète, nous avons besoin d'éclaircissements sur le sujet." Le courrier, que Marianne s'est procuré, rappelle que le Planning familial "perçoit une subvention de l'Etat d'un montant de 272.000 euros chaque année au niveau central", et précise que s'il "n'appartient pas au gouvernement d'arbitrer des débats de courants internes aux associations partenaires", il "lui appartient en revanche de garantir la défense des valeurs de la République". Mettant en garde contre le "relativisme culturel ou religieux qui tend trop souvent à justifier les inégalités femmes-hommes", et "eu égard aux positions exprimées par certaines des antennes locales [du Planning familial]", Schiappa réclame de "pouvoir échanger directement avec [Caroline Rebhi] sur les engagements du Planning familial, et notamment les potentielles conséquences de la suppression de la valeur "laïcité" des statuts" de l'association fondée en 1960.