Le récit de notre impossible quête du bilan carbone du stade climatisé de Doha au Qatar

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Le récit de notre impossible quête du bilan carbone du stade climatisé de Doha au Qatar

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Ces impressionnantes bouches d'aération envoient l'air froid pour rafraichir le stade Khalifa de Doha.
Ces impressionnantes bouches d'aération envoient l'air froid pour rafraichir le stade Khalifa de Doha.
© AFP - Peter Kneffel/DPA

Les Mondiaux d’athlétisme se déroulent jusqu’au 6 octobre, à Doha, dans un stade climatisé, où il fait 25 degrés sur la piste, alors qu’il fait 40 dehors, une aberration. Nous avons retrouvé les caractéristiques techniques des 18 unités de refroidissements du stade. Mais son bilan carbone est très difficile à dresser.

L’autre jour, un collègue m’a dit qu’il avait froid dans le stade et qu’il allait se réchauffer dehors… C’est vrai qu’on a presque froid dans les tribunes”, témoigne Vincent Pellegrini, journaliste du service des sports de France Inter, envoyé spécial aux Mondiaux d’athlétisme de Doha. “Dans les coursives du stade, il fait très chaud et quand on entre dans le stade on a l’impression d’entrer dans une salle fermée et climatisée." Des écarts de températures dénoncés sans ménagement par certains athlètes et plusieurs fédérations.On nous prend pour des cons”, s’indignait dimanche le marcheur Yohann Diniz, encore tout transpirant, alors qu’il venait d’abandonner l’épreuve du 50 km.

Au Qatar, les championnats du monde d’athlétisme se déroulent en grande partie dans le stade Khalifa, rénové il y a deux ans, et dont l’intérieur est entièrement climatisé. Alors qu’à l’extérieur, il fait entre 40 et 45 degrés, 75 % d’humidité, le thermomètre affiche à l’intérieur de l’enceinte environ 25 degrés. Un moyen de rendre (presque) acceptable l’accablante chaleur de la péninsule qatarienne pour les athlètes, mais (certainement) pas de préserver l’environnement. 

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18 unités de refroidissement

Curieux de connaître l’impact environnemental et de tenter de dresser le bilan carbone de ce qui nous semblait être une infrastructure de refroidissement d’une ampleur quasi inédite, nous nous sommes mis en quête des données sur ces climatiseurs géants. Et nous avons fait feu de tout bois.

Les premiers à nous répondre sont des experts en climatisation. Nous apprenons que le groupe mondial Daikin, leader dans le secteur du froid, s’est chargé d’équiper le stade Khalifa en unité de refroidissement. L'un des experts que nous contactons nous renvoie vers un collègue qui a de bonnes informations pour nous, mais qui souhaite rester anonyme. Cet indépendant, qui travaille avec Daikin, assure que l’entreprise, qui produit ses machines près de Rome (Italie), a livré 18 unités de refroidissements pour l’installation du stade Khalifa de Doha.

Notre source s'est rendu dans cette usine près de Rome, où il a vu ces unités de refroidissement. Selon lui, ces unités marchent en couple, et seraient d’une puissance d’une dizaine de méga-watt chacune, représentant ainsi une puissance restituée totale de 190 MW. Elles fonctionneraient en pompant de l’eau, réfrigérée. C’est cette eau froide qui est réfrigérée et utilisée pour rafraîchir l’air, ensuite propulsé dans le stade à travers 3 000 bouches d’aération. “On nous a raconté que pour tester l’une de ces machines, il avait fallu installer un nouveau transformateur électrique particulier pour absorber la puissance réclamée par la machine” raconte encore cet expert.

La quête continue

Cela va sans dire : ces quelques données en poche, nous avons tenté de contacter la marque Daikin pour les confirmer. La branche France n’a pas pu répondre à nos questions : “Ça ne nous dit rien”, explique une attachée de presse. La branche Europe et les antennes au Qatar n’ont pas donné suite à nos différents e-mails. Pas plus de succès du coté des organisateurs de la compétition d’athlétisme. Ni du coté de la FIFA, qui organisera la Coupe du monde dans trois ans et qui nous oriente vers le Supreme Committee for Delivery & Legacy, organisme en charge des stades en vue du mondial de 2022.

Parallèlement, malgré le manque de caractéristiques techniques sur l’installation, nous nous tournons vers plusieurs experts, non plus de la climatisation mais de l’énergie, du développement durable ou du bilan carbone.

Les ONG telles que le WWF ou Greenpeace ont bien une position de principe sur le sujet mais n’ont pas mené plus de recherches : “La climatisation autour des stades n’est pas respectueuse de l’environnement, elle ne fera qu’ajouter aux émissions” dit par exemple Greenpeace. Auprès du CNRS, nous faisons chou blanc. Marc Clausse, professeur à l’INSA et spécialiste du département “génie énergétique et environnement” nous répond qu’il est, à son avis, “extrêmement difficile de répondre à cette question” sans en savoir plus sur les charges en climatisation du stades, autrement dit le régime exact auquel le système fonctionne et les autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Bref, il nous manque encore (beaucoup) d’infos.

“Malheureusement, on a trop d’inconnues.”

Une collègue du service environnement d’Inter vient à notre secours : “Bilan carbone ? C’est la partie de Jean-Marc Jancovici, non ?” En effet, il est le principal développeur de la notion. Mais il reconnaît en nous répondant “ne pas avoir regardé la chose”.

Nous trouvons enfin une oreille attentive à la question auprès de Thierry Salomon, spécialiste de l’association négaWatt qui promeut la sobriété énergétique. Au téléphone, nous décrivons la configuration du stade et de ses installations. Et, le temps de faire un calcul, il nous revient avec une réponse. Le stade climatisé de Doha consommerait autant d'électricité qu'une ville de 15 à 20.000 habitants. Il prend toutes les précautions nécessaires - c'est très incertain - mais nous tenons un chiffre ! Et il est impressionnant. 

Las, le lendemain, ce spécialiste nous rappelle et nous demande de ravaler notre chiffre : "Il y a énormément d'incertitudes, et avec le peu de données qu'on a, il est difficile de sortir un chiffre sérieux : il peut y avoir des écarts de 1 à 10 à l'arrivée, ce n'est pas raisonnable. Ça n’empêche pas de dire que c’est quelque chose de complètement aberrant".

“Aberrant”

Aberrant, c’est le mot qui est finalement le plus revenu parmi nos interlocuteurs. “C’est vrai que là, l’empreinte écologique, on n’en tient pas compte”, concède l’ancien président de la Fédération française d’athlétisme, Bernard Amsalem, lorsque notre envoyé spécial sur place l’interroge. Ce dernier n’avait pas voté pour l’attribution de ces Mondiaux au Qatar : “On est tout à fait dans le sens contraire, on est à des années-lumière de ce qu’il faudrait faire compte tenu de l’urgence”, constate-t-il.

S’ils regrettent de ne pas avoir assez de données pour analyser la consommation du stade, tous citent pêle-mêle les facteurs “impactants” qu’il faudrait prendre en compte dans un éventuel calcul. La fabrication des machines (et les matériaux nécessaires), d’abord, puis leur transport ; les éventuels fluides frigorifiques utilisés ; la consommation des pompes et turbines qui envoient l’air ; la possibilité que l’eau ait besoin d’être désaléiné avant d’être utilisée. Le fait aussi que le stade est à ciel ouvert : “C’est comme si vous climatisiez votre maison avec les fenêtres ouvertes”. Thierry Salomon insiste aussi sur la source de l’électricité utilisée pour alimenter les machines : au Qatar, l’électricité est, en effet, principalement issue de centrales thermiques.

Et au fait, le Qatar ? Le “Supreme Committee for Delivery & Legacy” ne nous a fourni que des informations très floues. Plusieurs documents envoyés parlent d’une technologie “révolutionnaire” et “40% plus durable que les techniques existantes”, qui ne génère “qu’un cinquième des émissions produites pour refroidir des halls d’aéroports de taille similaire” mais utilisant toutefois “une bonne quantité d’énergie” et des générateurs diésels en cas de coupure de courant. Ce Comité suprême n’a en revanche pas donné suite à la liste de questions techniques que nous lui avons adressé.

À propos des Mondiaux d’athlétisme, l’expert de NegaWatt conclut, fataliste : “Dans ce cas de figure, l’homme transforme finalement quelque chose de très simple, la course à pied, en quelque chose d’immensément compliqué”. 

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