Aida Muluneh : quand l'eau est un combat pour les femmes

EXPOSITION. La photographe éthiopienne expose à Londres ses photos prises pour l'ONG Water Aid dans la ville la plus chaude du monde, Dallo.

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Série « Water life » d'Aida Muluneh

Série « Water life » d'Aida Muluneh

© AIDA_MULUNEH

Temps de lecture : 5 min

Dans l'historique Somerset House de Londres, où se tient jusqu'au 6 octobre la septième édition de la Foire d'art contemporain africain 1-54, les murs jaune éclatant du sous-sol accueillent l'exposition Water life d'Aida Muluneh. Les photos de cette artiste et entrepreneuse culturelle ont été prises à Dallo dans son pays natal, l'Éthiopie. C'est la ville la plus chaude du monde : il y fait en moyenne 45 degrés.

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« Venez chez moi »

Mais que diable la photographe est-elle allée faire dans cette région ? Shooter la série de 12 photos pour la campagne de l'ONG Water Aid, alertant sur le manque d'accès à l'eau potable dans le monde. Et de femme en femme, dans ce décor onirique où elle fait entrer la modernité, elle imprime immédiatement sa marque pour raconter une histoire en douze tableaux : celle de l'accès à l'eau aujourd'hui dans certains lieux de la planète, et comment cet enjeu repose, du moins sur le continent africain, sur les épaules des femmes.

« Depuis que je voyage dans mon pays, je vois ces femmes transporter l'eau sur des kilomètres, sans que jamais un homme soit là pour s'en charger. » Très concernée par le sujet, c'est, plutôt que la reportrice photographe, l'artiste en elle qui est montée au créneau pour ce projet dans ce désert du Danakil où elle avait déjà tourné un clip pour l'album Fenfo de Fatoumata Diawara. « Quand Water Aid est venu vers moi, je leur ai aussitôt dit venez chez moi, dans ce paysage incroyable. »


Afrofuturiste

Comme toujours, Aida Muluneh a fait ses croquis et a minutieusement préparé les séances de photo avant d'emmener son équipe dans ces conditions extrêmes : « On avait des ombrelles, et tout ce qu'il fallait pour résister à la chaleur, j'avais quelque inquiétude sur le matériel, mais rien n'a fondu ! » Pour cette série, l'artiste a de nouveau fait travailler une des trois modèles avec lesquelles elle œuvre le plus souvent. Ces femmes sont son double, les projections de sa personnalité dans la photo, composant « une sorte de journal visuel de [s]on expérience ». Elles ont les visages et les corps peints, et sont vêtues et entourées de matières aux couleurs vives qui donnent à son travail cette dimension qualifiée souvent d'afrofuturiste.

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© AIDA_MULUNEH">

Série "Water Aid" d'Aïda Muluneh.

© AIDA_MULUNEH

Body painting

« La dimension du corps peint remonte à une tradition en Afrique, mais pas seulement, on en trouve aussi au Brésil, et je l'utilise dans le présent tout en la projetant dans l'avenir. Quant aux couleurs, je me suis rendu compte qu'inconsciemment, elles provenaient de mon héritage culturel, puisqu'en Éthiopie les églises sont peintes de couleurs primaires. Certains disent que mon travail est pop, mais ces bleus ou ces rouges vifs expriment surtout l'intensité de ce que je veux montrer, de ce que je ressens. Mes photos contiennent aussi une certaine noirceur, mais elle est moins visible. »

Ce « bodypainting » ou « facepainting », Aida Muluneh l'a pratiqué pour la première fois alors qu'elle était étudiante aux États-Unis, pour l'affiche d'un défilé de mode, en s'inspirant des tatouages que les Éthiopiennes portent en signe de beauté. Son entrée dans le monde de la photo vient de cette « première » et à partir de la Biennale de Bamako où elle a été sélectionnée en 2007 par Simon Njami, elle a su imposer dans son art cette vision de la femme africaine débarrassée de tout exotisme ou sexualisation, d'une exposition à l'autre.

<p>Série « Water Aid » d'Aida Muluneh, à Dallo en Éthiopie.</p><section class=
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Série « Water Aid » d'Aida Muluneh, à Dallo en Éthiopie.

© AIDA_MULUNEH

Née en 1974 à Addis-Abeba, d'une famille originaire de la province de Wollo, Aida Muluneh a grandi au Canada, étudié aux États-Unis. C'est la photographie, via le rendez-vous de Bamako, qui l'a ramenée sur le continent où elle vit et travaille aujourd'hui. Dans sa ville natale, elle a créé en 2010 le Addis Foto Festival, inspirée par la manifestation malienne avec laquelle son festival alterne une année sur l'autre. Elle a fondé Desta (Developping and educating society through art) qui veut dire bonheur en amharique, sa langue maternelle, pour poursuivre ce que sa mère et le Canada lui ont donné de plus précieux : l'éducation et des outils pour la vie. Son engagement permanent, son combat pour que le secteur de la photo et plus généralement des arts devienne un axe prioritaire de développement, partagé notamment avec Angélique Kidjo, ne faiblissent pas depuis presque dix ans.


À voir le film qui a été tourné à Dallo par Michael Adeyemi lors du shooting de cette série sur l'eau, on pressent déjà que celle qui voulait faire du cinéma et que la photo a embarquée sur son navire reviendra à ses premières amours. Elle le confirme, mais donne du temps au temps. Son travail fait lentement mais sûrement bouger les choses. « La force et la dignité des femmes, voilà ce que montre mon travail », dit Aida Muluneh, qui avance avec des convictions profondes, de quoi parfois effrayer ceux qui la croisent. « Quand je suis arrivée à Dallo pour tourner le clip de Fatou, les gens étaient sidérés de voir que c'était une femme qui menait l'équipe, mais quand je suis revenue pour Water Aid, une étape avait été franchie. Je suis très proche des gens, j'aime les rencontres, et ce retour m'a montré qu'on pouvait briser les conventions, non que ce soit mon but, mais en faisant mon travail, c'est bien ce qui arrive. Les gens de la région souhaitaient même m'y offrir une terre ! »

Aida Muluneh vit désormais avec son plus jeune fils de 7 ans à Abidjan, où elle avait été accueillie au départ par la fondation Donwahi et où elle forme de jeunes photographes ivoiriens. L'Afrique est sa base, mais elle est toujours en mouvement. Amsterdam, Londres, ses reportages, les 9 000 photos qui l'attendent pour la sélection de la prochaine édition de AFF en décembre 202O, mais encore les jeunes étudiants de son atelier ivoirien, qui la suivent sur des sites pré-coloniaux, son projet au long cours. Elle rêve de se mettre sur « pause » et viendra, un jour, le temps de la vie simple, en harmonie avec la nature. Comme à Dallo, « ce lieu désertique où il est si difficile de vivre mais où le silence même est visuel ».

Jusqu'au 20 octobre à la Somerset House, Londres.

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Commentaires (2)

  • NAJIA.76

    Les drames de la sécheresse et de la condition féminine sont visible à l'œil, mais pas à l'attention. Le génie d'Aïda Muluneh et de les incarner dans une création belle pour éveiller les consciences.

    On est à la fois émerveillé et ému.

  • philippine81

    Superbes photos !
    Mais duagt va râler un article sur une femme ! Non mais cela ne va pas ! Il y a tellement d hommes dont on ne parle pas !