Publicité

Cinq expressions que, franchement, nous n’avons jamais vraiment comprises

Rue des Archives/Rue des Archives/BCA

«Depuis belle lurette», «peu ou prou»... Nous les employons tous les jours sans vraiment connaître leur histoire. Le Figaro vous propose ainsi, grâce à l’éclairant ouvrage Bayer aux corneilles et 99 autres expressions qu’on n’a jamais (vraiment) comprises de Julien Soulié, de (re)découvrir leur origine.

Ce sont des expressions de tous les jours et que tous comprennent. Dans nos conversations quotidiennes, sérieuses ou légères, intimes ou publiques. Qu’importe! «Au temps pour moi», «faire tout un pataquès», «tomber dans le panneau»... Nous avons tous, un moment ou à un autre, eu recours à ces locutions charmantes. Cependant, nous sommes peu nombreux à connaître leur histoire. Ainsi, Le Figaro vous propose de la découvrir grâce à l’éclairant ouvrage Bayer aux corneilles et 99 autres expressions qu’on n’a jamais (vraiment) comprises (First) de Julien Soulié.

» LIRE AUSSI - Comment donner aux enfants le goût de la lecture

Depuis belle lurette

Pour saisir complètement cette charmante expression, il faut comprendre qu’elle est le produit de ce que les linguistes nomment l’«agglutination». De quoi parle-t-on? «Disons simplement qu’un petit mot (déterminant, article, préposition...) se retrouve soudé, par la magie corruptrice d’une mauvaise coupure, au mois suivant». Exemples: «l’ierre» est devenu «lierre» ; «poule d’Inde» a donné naissance à «dinde».

Il en va de même pour «lurette» qui vient du terme «hurette», une déformation de «heurette» attesté dès 1119. «Heurette», donc, qui est le diminutif du mot «heure» et signifiant «petite heure». Ainsi que le raconte Julien Soulié, l’expression «il y a belle lurette» naît vers 1877.»Son sens littéral est donc: ‘‘Il y a une bonne petite heure’’». Un «euphémisme» utilisé pour «exprimer un temps que l’on trouve bien long...»

Battre à plate(s) couture(s)

L’expression dont il est ici question nous vient du monde de la couture et apparaît au XVe siècle. Et plus précisément, issue du lexique des tailleurs. «Ceux-ci devaient écraser, battre avec vigueur les coutures neuves et raides avec une latte afin de les aplatir et ainsi de les assouplir.» Ainsi, l’on disait: «rabattre les coutures». Au sens figuré, la locution a fini par s’employer au sens de «vaincre complètement, battre définitivement».

Bayer aux corneilles

Notons d’abord ceci: «bâiller» et «bayer» sont de vrais «jumeaux étymologiques». En effet, le premier verbe désigne «l’ouverture de la bouche accompagnée d’une aspiration et provoquée par la fatigue». Le second s’emploie lorsque «la bouche est grande ouverte par rêvasserie niaise»... C’est ainsi que l’on est «bouche bée», du verbe «béer», «être largement ouvert». D’ailleurs les deux verbes sont nés à un siècle d’intervalle: «bâiller» au XIe siècle et «bayer» au début du XIIe.

Quant à l’expression qui nous occupe, il est vrai qu’elle comporte la notion de béance. Mais c’est bien le terme «bayer» qu’il convient d’écrire. «La confusion des verbes, raconte Julien Soulié, se rencontre chez les meilleurs auteurs». En effet, nous pouvons lire dans «Le Renard, le Singe et les Animaux» de La Fontaine : «Le nouveau Roi baaille après la Finance». Allons bon, personne n’est infaillible!

» LIRE AUSSI - Dix mots anciens à utiliser (urgemment) au quotidien

La locution «bayer aux corneilles» apparaît au XVIIe siècle. À l’époque, «l’animal ou le monstre n’est d’ailleurs pas bien fixé». Victor Hugo parle de chimères: «Les songe-creux, qui vont aux chimères bayant» (La Légende des siècles). Villiers de l’Isle-Adam, lui, associe le verbe à des grues: «Une fille qui a jeté son bonnet par-dessus les moulins!... qui baye aux grues...» (Contes Cruels). C’est Molière qui, dans Tartuffe, finit par écrire: «Allons, vous, vous rêvez et bayez aux corneilles / Jour de Dieu! je saurai vous frotter les oreilles.»

Mais alors, pourquoi ce choix ornithologique? «Cet oiseau étant banal et de petite taille, il en est venu à désigner au XVIe siècle, un objet insignifiant: bayer aux corneilles, c’est donc avoir la bouche béante pour des futilités.»

Peu ou prou?

«Que je me couche tard ou tôt, que je mange à dîner peu ou prou, boive du vin, de la bière ou de l’eau, c’est tout de même», lit-on dans le Journal de Gide que l’auteur cite ici en guise d’exemple. Ainsi comprenons-nous que «peu ou prou» est l’équivalent, plus élégant sans doute, de la locution «plus ou moins». Mais d’où vient ce charmant «prou»? Préparons-nous à un joli voyage linguistique.

Il nous faut d’abord parler du verbe latin prodesse, «être utile, être profitable» qui fournit «dans la langue populaire l’adjectif prode (‘‘utile’’), qui a lui-même donné notre médiéval preux». Ce dernier a donné, en ancien français, le nom de proud qui apparaît au Xe siècle. Puis, au XIIIe siècle, le terme prou. On le trouve ainsi chez La Fontaine avec la «notion de bien et d’avantage»: «Bon prou vous fasse!» Peu à peu, il inclut l’idée d’abondance. «Prou est alors devenu adverbe avec le sens de ‘‘beaucoup, très’’ comme l’atteste l’expression aujourd’hui disparue ni peu ni prou (‘‘en aucune manière’’).»

Vouer aux gémonies

Âmes sensibles, vous êtes prévenues: l’origine de cette expression est assez morbide. Il fut une époque où les Romains avaient installé «sur le flanc nord-ouest du Capitole un escalier qu’ils appelaient gemoniae scalae». À savoir: les escaliers des gémissements. Pourquoi? Eh bien, parce que c’était en ce lieu qu’étaient exposés les cadavres des suppliciés «après leur exécution par strangulation, avant qu’ils ne fussent traînés à l’aide de crocs et jetés dans le Tibre». Il faut néanmoins attendre le XIXe siècle pour que l’expression que nous connaissons naisse. On peut alors «traîner» ou «vouer» quelqu’un aux gémonies. C’est-à-dire: «vilipender, accabler publiquement de mépris».

Cinq expressions que, franchement, nous n’avons jamais vraiment comprises

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
4 commentaires
  • fort alarmant

    le

    Je suis étonnée car toutes les expressions citées ici sont courantes et employées fréquemment, peut être par une ancienne génération, mais elles sont usitées, on les écrit aussi. Autrefois, l'institutrice employait "bailler aux corneilles"..... "Avoir maille à partir", "le torchon brûle", "laver son linge sale en famille", "pis que pendre", "se faire sonner les cloches", "se bouffer le nez" etc.…...il y a l'excellent livre de Claude Duneton "La puce à l'oreille" un régal à lire

À lire aussi