Une nécropole antique exceptionnelle sort de terre à Narbonne

Des archéologues de l'INRAP sur le site de Narbonne  ©Radio France - Sophie Bécherel
Des archéologues de l'INRAP sur le site de Narbonne ©Radio France - Sophie Bécherel
Des archéologues de l'INRAP sur le site de Narbonne ©Radio France - Sophie Bécherel
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À l'endroit où seront bientôt construits des immeubles d'habitation, des archéologues ont mis au jour une nécropole antique de plus de 1000 tombes. Des esclaves et des affranchis y ont été incinérés pour la plupart au Ier et IIème siècle de notre ère. Une fouille inédite par son importance.

Narbonne, première fille de Rome hors d'Italie : au carrefour sud de la ville, le panneau rappelle au visiteur qu'ici, en 118 avant notre ère, l'empire romain a établi sa première colonie. La Narbonnaise, au carrefour de deux voies commerciales d'importance, fait aujourd'hui l'objet de fouilles archéologiques préventives. Une quarantaine de spécialistes s'affairent, truelles, aspirateur et balayette en main depuis deux mois afin de dégager l'une des plus vastes nécropoles antiques en Gaulle. 

D'ici quelques mois, un projet immobilier aura fait disparaître toute trace de ces tombes dont aucune n'est tout à fait semblable à sa voisine. "C'est un peu du bricolage" juge la responsable de la fouille Valérie Bel. Ici un muret qui semble délimiter une concession, là une plaque de recouvrement, partout du réemploi de matériaux. Les techniques sont de qualité mais, au fur et à mesure que la rivière toute proche déborde et déverse des sédiments, les sépultures se superposent. C'est désormais un mille-feuilles que fouillent les archéologues. Il pourrait y avoir plus de 1000 tombes.

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D'étonnants "conduits de libation"

Les premiers objets sont déjà sortis de terre : du mobilier modeste qui était ajouté à la tombe comme des récipients en verre bleutés, des lampes à huile en terre cuite, une amulette en or représentant les attributs d'un petit garçon ou encore des jetons. 

un biberon antique en terre cuite (à gauche) et d'autre mobilier trouvé dans les tombes
un biberon antique en terre cuite (à gauche) et d'autre mobilier trouvé dans les tombes
© Radio France - Sophie Bécherel

Selon les exemples déjà mis au jour ailleurs (Pompéi, Ravenne, tous deux en Italie), le plus étonnant est ce conduit de libation qui servait à garder le contact avec le défunt. Une sorte de tuyau en terre cuite, souvent des cols d'amphores recyclés qui étaient littéralement plantés sur la tombe au ras du sol. Par ce "tube" étaient déversés nourriture et breuvages pour alimenter le mort. "Il y avait une volonté d'atteindre le corps enterré ou les cendres issues de la crémation" affirme Valérie Bel. En lieu et place des fleurs qu'on dépose aujourd'hui dans les cimetières, ces hommages permettaient d'honorer la mémoire des disparus. Les pots étaient retrouvés tête en bas, comme pour signifier la différence entre le monde des vivants et des morts, entre le présent et l'au delà. "I_l y avait aussi des plaques de marbre avec épitaphes qui attestent du niveau social de ces personnes"_ ajoute l'archéologue. Selon les inscriptions, la plupart des défunts devaient être des esclaves ou des affranchis, peut-être des commerçants dont les revenus n'étaient pas dérisoires. La qualité du marbre blanc (dont la provenance n'est pas encore connue) laisse penser qu'il y avait une certaine forme d'aisance. 

Au carrefour de deux voies commerciales importantes

La situation de la nécropole, à quelques centaines de mètres de ce qui fut l'un des deux ports de la Narbonnaise, incite les équipes à penser qu'il s'agit peut-être de familles de commerçants. Le vin, les céréales mais aussi les huiles ou les fruits, comme les dattes ou les figuiers, arrivaient en Gaule par deux voies : la voie Domitienne, qui croise à Narbonne la voie d'Aquitaine, laquelle remonte vers Toulouse et Bordeaux et par où transitaient les marchandises à destination de l'Angleterre.

Une plaque de marbre funéraire placé sur le coté d'une sépulture
Une plaque de marbre funéraire placé sur le coté d'une sépulture
© Radio France - sophie becherel

La fouille doit durer 13 mois. Elle fera intervenir plusieurs spécialistes qui tenteront de faire parler les restes brûlés des défunts. On devrait ainsi découvrir quelles essences de bois ont été utilisées pour la crémation, qui parfois avait lieu sur place. Si les vestiges le permettent, des analyses ADN seront faites et le fonctionnement de la nécropole dans son ensemble sera reconstitué. 

A ce jour, ce sont les crues consécutives de l'Aude au Haut Empire qui ont permis la conservation dans les limons de ces sépultures successives, qui désormais s'empilent comme un mille-feuilles.  Ce sont ces mêmes inondations qui ont conduit ces romains à abandonner le site après le IIeme siècle de notre ère car on n'y trouve pas de tombes postérieures. 

Par son ampleur, les rites qu'elle dévoile et parce qu'on est dans une cité stratégique pour la Rome antique, cette fouille est exceptionnelle selon le président de l'INRAP, Dominique Garcia. Au delà du mobilier, des objets, du bâti, elle donne accès à l'identité des morts et à la mentalité des vivants. Véronique Canut, responsable de secteur à l'INRAP se dit "chanceuse" de pouvoir participer à une fouille où on a affaire à l'humain et à son quotidien. 

Le chantier doit durer jusqu'à l'été prochain. Le musée qui jouxte le site et ouvrira l'an prochain pourrait accueillir, une fois achevés, les résultats des recherches. Au total, l'état, la région Occitanie, le département, l'agglomération du Grand Narbonne, le maître d'ouvrage et la ville ont financé ensemble à hauteur de 6, 2 millions d'euros cette fouille d'exception.  

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