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Pollution : faut-il interdire le marathon de Paris ?

50 000 personnes devraient courir dimanche. Après les derniers épisodes de forte pollution, est-ce une bonne idée en termes de santé publique ?

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Publié le 04 avril 2014 à 15h37, modifié le 04 avril 2014 à 15h47

Temps de Lecture 6 min.

Des coureurs lors du marathon de Paris, le 6 avril 2008.

Courir, c'est la santé. Ne rien faire, la conserver ? Cette libre adaptation de la chanson d'Henri Salvador, un brin provocatrice, résumerait-elle le dilemme proposé aux quelque 50 000 inscrits du marathon de Paris qui s'élanceront des Champs-Elysées, dimanche 6 avril au matin, pour franchir la ligne d'arrivée, quelques heures plus tard, sur l'avenue Foch, au terme de 42,195 kilomètres d'efforts ?

Côté pile, un message martelé depuis des années par les scientifiques, les médecins et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : la pratique sportive est bénéfique. Mardi 1er avril, lors d'un colloque -qui n'avait rien d'un poisson- organisé à Paris et intitulé « Activités physiques et sportives : un enjeu pour la santé », plusieurs spécialistes ont pris la parole pour évoquer les bienfaits du sport. Martine Duclos, chef de service de médecine du sport au Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand et conseillère scientifique pour le ministère des sports, a ainsi souligné, études à l'appui, que « l'activité physique permet de diminuer significativement les risques de maladies cardio-vasculaires », de réduire la mortalité chez les personnes atteintes de cancer ou encore d'améliorer les performances cognitives.

Côté face, un message répété depuis quelques années par les scientifiques, les médecins et l'OMS : en cas de pollution, il est recommandé de ne pas pratiquer d'activité physique intense. L'OMS a revu à la hausse ses statistiques : la pollution atmosphérique aurait contribué à la mort prématurée de 7 millions de personnes dans le monde en 2012, soit plus que le tabagisme. Or les sportifs, et particulièrement les marathoniens, sont de gros consommateurs d'oxygène. En cas de niveau d'alerte de pollution, les instructions du ministère de la santé sont très claires : « réduisez et reportez les activités physiques et sportives intenses, en plein air ou en intérieur jusqu'à la fin de l'épisode si des symptômes sont ressentis (fatigue inhabituelle, mal de gorge, nez bouché, essoufflement, palpitations...) et prenez conseil auprès de votre médecin ».

CONTRE-INDICATION POUR LES ASTHMATIQUES ET LES ALLERGIQUES

Or l'air de la capitale atteint régulièrement des niveaux élevés de pollution. En 2014, le niveau d'alerte sur les particules fines (PM10) a été franchi trois fois, et une fois sur le dioxyde d'azote (NO2). Le mois de mars a été marqué par un pic de pollution aux particules fines, contraignant la préfecture de police à imposer la circulation alternée. Se pose dès lors une question : courir le marathon de Paris peut-il être dangereux, en cas de pollution ?

« Les coureurs ont une condition physique et un état métabolique et cardio-vasculaire qui est bien meilleur que la population moyenne française, nuance Martine Duclos. C'est sûr que la ventilation augmentant pendant cette période, ils vont inhaler un peu plus de polluants. Sauf que la pollution est moins importante le dimanche que le reste de la semaine, et c'est sur une durée courte, 3-5 heures. Ce sont des gens qui ne sont pas à risque. »

Sauf que sur les 50 000 participants au marathon, tous n'ont pas la même condition physique, le même entraînement, et certains dépasseront largement les 5 heures d'efforts. Pour Martine Duclos, la contre-indication doit s'appliquer «  pour les asthmatiques, en cas de forte pollution ».

Et « pour les personnes sensibles au pollen », ajoute Jocelyne Just, spécialiste en pneumologie et allergologie à Paris. L'allergie au pollen concernerait 30 % des adultes en France selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Sur un peloton de 50 000 coureurs, cela représenterait donc 15 000 personnes. « On a pu montrer que le fait d'être exposé d'une façon chronique à des polluants pouvait prédisposer à des maladies cardio-vasculaires, voire agir sur le pronostic vital à l'échelle de quelques mois, précise Jocelyne Just. « Comment apprécier l'impact d'un marathon sur la durée d'une vie ? Il est difficile d'évaluer le risque à long terme. »

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Pollution et course à pied : le sujet fait polémique depuis plusieurs années. En 2008, l'Ethiopien Haile Gebresselassie, recordman du monde du marathon, annonce qu'il renonce à disputer l'épreuve aux Jeux de Pékin, se reportant sur le 10 000 mètres. Son explication ? « La pollution en Chine est une menace pour ma santé et il serait difficile pour moi de courir 42 kilomètres », explique celui qui est asthmatique. Déjà, en 1984, le demi-fondeur britannique Steve Ovett, champion olympique en titre, perturbé par une bronchite, avait expliqué ainsi l'une des raisons de son échec en finale du double tour de piste : « La pollution avait réactivé un asthme dont je n'avais plus souffert depuis vingt ans. »

UNE PÉTITION POUR LA « RÉDUCTION DU TRAFIC »

Les effets de la pollution, Julien Lucas dit en souffrir parfois lors de ses footings. Ce coureur de 38 ans, qui a déjà bouclé deux fois le marathon de Paris et participé plusieurs fois au semi-marathon de la capitale et prendra le départ de la course dimanche, a lancé une pétition sur Internet pour réclamer une « réduction du trafic du vendredi 4 avril 22 heures au dimanche 6 avril 18 heures ». « Le marathon de Paris, c'est hyper médiatique, il y a beaucoup d'argent en jeu, ils ne vont pas l'annuler. Les organisateurs ne parlent absolument pas de ce problème de pollution, estime cet habitant de Vincennes. Ils vendent le marathon comme la fête, la santé, le sport. Mais quand on court dans un air qui saturé en particules, ce n'est pas du tout la fête, ni la santé. »

En 2013, Julien Lucas avait renoncé à disputer la course, alors qu'il avait réglé les frais d'inscription : le seuil d'information de pollution dû aux particules fines avait été atteint vendredi 5 avril, à l'avant-veille du marathon de Paris. Lors du week-end suivant, la vitesse maximale autorisée sur le périphérique avait même été abaissée. Le marathon, lui, avait eu lieu, comme chaque année depuis 1976. Une seule édition a été annulée, en 1991, pas à cause d'un excès de particules fines mais de la guerre du Golfe.

Julien Lucas déplore le manque de communication d'ASO [Amaury Sport Organisation], l'organisateur du marathon de Paris, à ce sujet : « L'organisateur est tenu de donner toutes les informations : le type qui vend des cigarettes, ou de l'alcool, il doit mettre que ce n'est pas bon pour la santé. » Une des difficultés réside dans le fait que « le niveau de pollution est très dépendant des conditions météorologiques », précise Jocelyne Just.

Lors d'une réunion entre les organisateurs de la course et la préfecture de police de Paris, mercredi 2 avril, le sujet de la pollution a été « très brièvement » évoqué, selon Joël Lainé, directeur du marathon de Paris. « Nous nous plierons à la décision de la préfecture de police » , explique M. Lainé, en ajoutant que les organisateurs n'ont « pas les moyens d'évaluer les dangers ». Il assure avoir reçu très peu de courriers de coureurs inquiets et se montre confiant : il ne devrait pas y avoir de pic de pollution dimanche, malgré un beau temps persistant.

Julien Lucas, lui, souhaiterait surtout que ce type d'événement soit un bon moyen de sensibiliser sur la question de la qualité de l'air. « Je ne vois pas comment on peut ne pas avoir envie que l'air soit meilleur dans les villes », dit-il. Mais il a parfois l'impression que sa volonté se heurte à un mur d'indifférence plus dévastateur encore que celui, mythique, du 30e kilomètre : sa pétition, lancée il y a quelques jours, n'avait recueilli, vendredi 4 avril, qu'une quarantaine de signatures.

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