Le gouvernement japonais a lancé une vaste campagne pour encourager la population à délaisser les espèces comme mode de paiement. Pour assurer le succès de leur opération, les autorités ont mis en place pour 9 mois des rabais en magasin destinés aux Japonais qui utilisent une alternative à l’argent liquide. Résultat, les inscriptions pour les services de paiement dématérialisés ou de cartes prépayées ont explosées.

80% des achats au Japon sont faits en liquide

Le Japon est un pays pionnier dans le secteur du paiement sans contact. Il y a une quinzaine d’années sortait la première carte de paiement sans contact, développé par Sony, Felica. Pourtant, pour reprendre une formule éculée, le Japon, coincé entre tradition et modernité, est un pays plein de paradoxes. Les consommateurs japonais sont extrêmement attachés au règlement en liquide. En 2016, selon le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie 80% des paiements étaient en liquide.

À titre de comparaison, en France, selon les chiffres de la Banque de France pour 2018, 68% des règlements ont été faits en espèce. Mais c’est surtout du côté de leurs voisins et concurrents que les Nippons regardent. Selon la Payments Japan Association, qui milite pour une économie débarrassée des vieux billets froissés, 65,8% des paiements effectués en Chine l’ont été par un autre moyen que par monnaie sonnante et trébuchante. En Corée le taux est vertigineux, 96%.

Ce goût japonais pour les liquidités a un coût, et il n’est pas anodin. Selon une étude du Boston Consulting Group, la gestion de l’argent liquide, entre les distributeurs et le transport, coûterait 2 000 milliards de yens, 16 milliards d’euros.

C’est une raison bien suffisante pour pousser un gouvernement à agir. Quoi de mieux pour changer les habitudes de sa population que de toucher les portefeuilles. Le 21 juillet, le Premier ministre Shinzo Abe, fort de sa victoire électorale à la Chambre des conseillers (la chambre haute du Japon) a augmenté de 8% à 10% la TVA. La mesure est entrée en vigueur le 1er octobre.

Pour compenser cette hausse significative, le gouvernement a mis en place, pour une durée de 9 mois, un programme de rabais pour les consommateurs effectuant leurs achats avec d’autres moyens de paiement que le liquide. L’investissement représente 279,8 milliards de yens, soit 2,4 milliards d’euros, pour toute la durée de la campagne.

Dans les petits commerces, ce rabais est de 5%, dans les magasins franchisés de grands groupes il est équivalent à 2%. En tout, 2 millions de commerces pourront proposer cette offre. Le premier septembre un demi-million de commerçants s’étaient inscrits.

La frilosité de ces derniers pour les modes de paiement par carte ou dématérialisés est due aux frais qu’ils engendrent, entre 3% et 5% de chaque vente. Le gouvernement a demandé aux entreprises de limiter les frais de traitement à 3,25% sur les 9 mois de l’opération.

Le moins que l’on puisse dire c’est que la campagne a mal commencé. La chaîne de supermarché 7-Eleven avait sorti le 1er juillet une application de paiement pour ses clients, 7pay. En seulement trois jours, l’application a été piratée. 55 millions de yens (450 000 euros environ) ont été dérobés à 900 clients. De quoi effriter la confiance des consommateurs japonais envers ces solutions dématérialisées.

Paypay, entreprise de paiement par smartphone, a gagné 5 millions d’utilisateurs

Pourtant, les premiers résultats sont là. La plupart des acteurs du paiement dématérialisés signalent une forte hausse des inscriptions à leurs services. Rakuten, entreprise majeure du commerce en ligne, connu en France pour avoir racheté PriceMinister, a signalé que le nombre de nouveaux clients de leur carte prépayée a quintuplé par rapport aux trois mois précédents.

Paypay, entreprise de paiement par smartphone gérée par SoftBank et Yahoo Japon a gagné 5 millions d’utilisateurs depuis le 1er août, portant son total à 15 millions de clients. La plateforme de paiement sécurisé LinePay a vu ses abonnements grimpés de 180% le 1er octobre par rapport au mois précédent. La carte prépayée des services de transport japonais, Suica, a eu 480 000 nouveaux inscrits en septembre, 14 fois plus qu’en août, etc. D’ailleurs, cette carte destinée aux transports en commun peut être utilisée pour payer dans les points de vente.

Ces chiffres doivent faire saliver d’envie les acteurs mondiaux du paiement par carte ou dématérialisé. Le gouvernement de Shinzo Abe est peut-être en train de réussir son pari. À voir si les Japonais vont continuer à utiliser ces moyens de paiement lorsque le programme de réduction prendra fin en juin 2020.