François Hollande : «Nous avons une dette envers les Kurdes»

L’ancien président de la République, qui décida en 2015 l’intervention de l’aviation française contre Daech en Syrie, appelle à une réaction urgente pour stopper l’offensive turque contre les Kurdes.

 « Les Kurdes ont été et sont des alliés », rappelle François Hollande.
« Les Kurdes ont été et sont des alliés », rappelle François Hollande. LP/Arnaud Journois

    Prévisible depuis la décision irresponsable de Donald Trump de retirer les soldats américains de la zone tampon entre la Turquie et le nord de la Syrie, l'offensive militaire — baptisée « Peace Spring » — contre les Kurdes a été déclenchée ce mercredi par le président turc Erdogan.

    Des bombardements aériens ont frappé la ville de Ras Al-Ain, ainsi que plusieurs villages, faisant plusieurs morts et blessés civils dans la population kurde. L'ancien président de la République, François Hollande, qui avait décidé l'envoi de forces françaises dans la région pour lutter contre Daech, appelle à une ferme réaction pour stopper Ankara.

    La Turquie d'Erdogan a lancé une offensive contre les Kurdes de Syrie : comment réagir ?

    FRANÇOIS HOLLANDE. Comme président de la République, j'ai eu à travailler, dans le cadre de la coalition, avec les Kurdes de Syrie. Ils étaient nos principaux points d'appui au sol pour lutter contre Daech, nos avions ont pu manœuvrer grâce à cette action conjointe. Et par cette coopération discrète, sur le terrain, nous avons contribué avec les Kurdes à l'éradication de Daech dans le nord du pays, jusqu'à Raqqa. C'est de Raqqa, je le rappelle, que les attentats qui ont frappé la France avaient été menés, décidés, organisés. Les Kurdes ont été et sont des alliés.

    Nous avons une dette envers eux ?

    Non seulement une dette, mais un « devoir » de suite. Nous devons faire en sorte qu'ils puissent rentrer dans le processus de règlement du conflit syrien, ce que le régime de Bachar al-Assad continue de leur contester. J'ai aussi conscience que ces Kurdes détiennent dans leurs camps de prisonniers des djihadistes, dont certains sont Français. Or, il est à craindre qu'à la faveur de cette offensive, ces djihadistes puissent s'échapper et commettre d'autres forfaits, dans la région mais aussi en Europe. C'est donc pour notre propre protection que nous avons intérêt à ce que les Kurdes continuent de tenir le territoire du nord de la Syrie et de lutter contre Daech.

    Comment stopper la Turquie ?

    Son offensive n'a été rendue possible que parce que Donald Trump a lui-même commis la faute de fournir une opportunité au président Erdogan : il a retiré les soldats américains qui étaient dans la zone de sécurité, faisant tampon entre la Turquie et le nord de la Syrie. Ses revirements successifs ont fait le reste.

    Que peut-on faire ?

    Il y a trois décisions à prendre. La première, c'est de rétablir la zone tampon, avec le retour des soldats américains. Cela relève de l'administration américaine. Deuxièmement, le Conseil de sécurité qui se réunit ce jeudi doit décider de sanctions contre la Turquie, si l'offensive se poursuit, et l'Union européenne doit faire immédiatement de même. Troisième décision, majeure : les Kurdes sont nos alliés, ils ont mené le combat contre Daech. Or, la Turquie est membre de l'OTAN. Comment admettre qu'un pays qui est dans une alliance avec nous puisse attaquer une force qui a été notre principal partenaire contre Daech. Donc la question de la relation de la Turquie avec l'Otan est posée.

    Il faut l'exclure ?

    Non mais suspendre sa participation. C'est une décision qui relève du conseil de l'OTAN. Le statu quo serait intenable car le traité de l'Alliance Atlantique dispose que quand un de ses membres est attaqué, il y a une réaction automatique des autres pays. Ce qui reviendrait en cas de riposte des Kurdes de Syrie à soutenir les forces turques : ce serait indéfendable et immoral.

    Il y a des soldats français, des forces spéciales, sur le terrain syrien. Ils ne pourraient pas jouer un rôle ?

    Non. Il peut y avoir des forces spéciales présentes en Syrie, mais pas sur la zone de sécurité, concernée par ces combats. Je n'ai jamais décidé durant ma présidence d'envoyer des forces françaises au sol. Nous n'avons jamais été présents sous cette forme pendant le conflit, il n'y a pas de raison de l'être aujourd'hui.

    Clairement, pas question de défendre les Kurdes avec nos forces spéciales ?

    Non. Mais la France ne peut laisser les Kurdes être massacrés par les forces d'Erdogan et leurs supplétifs, qui sont pour beaucoup des groupes islamistes. Car au-delà de la solidarité que nous devons avoir avec les Kurdes de Syrie, c'est notre propre sécurité qui est en cause.

    Le président Macron doit faire entendre sa voix, fortement ?

    Oui. Je ne doute pas qu'il le fera. Mais aujourd'hui, je m'exprime en tant qu'ancien président qui sait ce que les Kurdes de Syrie ont apporté pour notre propre sécurité dans la lutte contre Daech. Je m'en sens personnellement et politiquement redevable.