Prison : comment l'administration scrute les surveillants radicalisés

Le simple fait que des surveillants soient fichés « S » ne suffit pas à les évincer de leurs fonctions. Des faits précis doivent être constatés en prison.

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Sur quelles lois s'appuie l'administration pour lutter contre la radicalisation en prison ? (Photo d'illustration)

Sur quelles lois s'appuie l'administration pour lutter contre la radicalisation en prison ? (Photo d'illustration)

© DOMINIQUE FAGET / AFP

Temps de lecture : 4 min

C'est le cauchemar qui agite les nuits de l'administration et de bien des surveillants. Et si l'un d'entre eux participait, un jour, à un attentat ? « C'est ce que nous redoutons le plus, qu'un surveillant radicalisé puisse aider un détenu à commettre une attaque de plus grande envergure », affirme ainsi dans Le Point de cette semaine (n° 2459) Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO-Pénitentiaire (majoritaire). Selon nos informations, un peu moins d'une dizaine d'agents pénitentiaires sont surveillés de près par les services pour leur pratique radicale de l'islam.

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Mais le simple fait pour certains d'entre eux d'être fichés « S » ou d'apparaître dans le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ne suffit pas pour les évincer de leurs fonctions. « Ces fiches ne renseignent pas, en soi, sur le niveau de dangerosité d'un individu », signale un bon connaisseur. L'administration, qui s'est essayée ces derniers mois à sanctionner ses agents radicalisés, s'est ainsi cassé les dents à plusieurs reprises devant le tribunal administratif. La justice, à chaque fois, a estimé que les faits reprochés n'étaient pas suffisamment précis et tangibles, et constatés sur le terrain. Plusieurs décisions disciplinaires ont été contestées avec succès par les agents, qui ont argué de mesures discriminatoires fondées sur leur religion.

Un aumônier à Marseille gagne contre l'administration

« Il faut trouver le bon indice de radicalisation et distinguer entre un simple comportement prude et des velléités dangereuses », soutient Me Sefen Guez Guez, avocat du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), une association qui s'était récemment illustrée dans le combat en faveur du burkini et qui est régulièrement taxée de servir de vitrine à l'islam politique. En 2017, l'avocat a obtenu l'annulation de la décision de l'administration pénitentiaire, qui avait retiré à un aumônier du culte musulman la possibilité d'intervenir en prison.

La direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille avait pourtant versé aux débats une note blanche des services de renseignements, qui suffit souvent dans le contentieux des assignations à résidence. L'aumônier était soupçonné d'avoir tenu des propos radicaux et d'avoir refusé de serrer la main des femmes. Le religieux avait également été entendu, en tant que simple témoin, dans une enquête ouverte sur un projet d'attentat visant des établissements de nuit en Corse.

Il refuse de serrer la main des femmes, mais ne peut pas être sanctionné

Me Guez Guez, pour sa part, avait signifié que cette audition n'avait été suivie d'aucune garde à vue ni mise en cause ; et avait produit plusieurs attestations de moralité, dont celle du président du Conseil régional du culte musulman, pour montrer que l'aumônier exerçait sa charge depuis de nombreuses années. Surtout, le juriste avait pointé les faits imprécis qui étaient reprochés à son client. Résultat : le tribunal administratif a tranché en sa faveur, bientôt suivi par la cour d'appel.

L'administration pénitentiaire, elle, se retrouve dans l'embarras, mais bataille toujours sur ce dossier pour éviter que le religieux ne retourne en prison. Au fait de ces problèmes, les services de renseignements ont fait un intense lobbying pour faire passer une nouvelle législation fin 2017. L'article L.114-1 du Code de la sécurité intérieure permet désormais aux administrations (pas seulement pénitentiaire) de mettre en place une enquête administrative destinée à s'assurer que le comportement de personnes occupant des emplois publics relevant du domaine de la sécurité n'est pas devenu incompatible avec, notamment, les fonctions exercées. Si le résultat de l'enquête n'est pas satisfaisant, l'administration peut prendre des mesures de radiation ou de reclassement. Mais les faits reprochés, une fois encore, doivent être précis.

Lire aussi Attaque au couteau à la préfecture de police : les failles des RG au cœur de l'enquête

Des enquêtes avant d'entrer en fonction

C'est ainsi que l'utilité de l'article L.114-1 reste encore à démontrer. Il n'existe actuellement, deux ans après l'entrée en vigueur du texte, quasiment aucune jurisprudence sur le sujet, explique Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme. Parallèlement à cette législation, l'administration pénitentiaire procède, depuis un moment déjà, à des vérifications systématiques, via le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), avant toute embauche d'un agent. Enfin, le Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) siège dans chaque groupe d'évaluation départemental (GED) de la radicalisation, des structures mises en place au niveau du département, pour assurer un suivi serré des personnes radicalisées.

« Le SNRP est donc systématiquement informé en cas de fichage d'un agent de service public pénitentiaire au titre de la radicalisation », souligne la Direction de l'administration pénitentiaire. Laquelle ajoute que les cours théoriques dispensés à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) sur l'évaluation de la radicalisation, l'emprise mentale, ou encore les techniques d'embrigadement ne concernent pas que les prisonniers, mais l'ensemble des gens circulant en prison (bénévoles et agents pénitentiaires, compris).

Enfin, un décret, en cours d'examen par le Conseil d'État, doit être pris dans les tout prochains jours pour élargir la mission du renseignement pénitentiaire, lequel pourra à l'avenir, au titre de la lutte antiterroriste, enquêter non seulement sur les détenus, mais aussi sur les surveillants. Une évolution qui devrait permettre d'avoir à l'œil, espère-t-on, la poignée de fonctionnaires problématiques.

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Commentaires (23)

  • Timéo Danaos

    Les juges ne bougeront pas, tant que l'un "des leurs" ne sera pas victime d'un attentat : ils sont du bon côté de la barrière, protégés partout, et savent se protéger aussi eux-mêmes, à l'occasion : qui les a poursuivis pour le "mur de c... S" ?
    Personne de chez personne, c'est tout dire.

    D'ailleurs, il n'est pas sûr qu'ils soient du même côté de la barrière que les policiers, qui eux militarisés, n'ont aucune latitude d'initiative, ils auraient fissa tous les juges sur le paletot.
    Tous les policiers sont tenus de protéger et seconder les juges : la réciproque est-elle encore vraie ?

    Voilà que je deviens jugeophobe intoxiqué... Ça doit être l'atmosphère irrespirable de Lubrizol.

  • syrcins

    À l'image d'un médecin qui peut être poursuivi pour une erreur de diagnostic...

  • Pasidouqueça

    Et alors qu est ce que tu as ? Moi rien...