J’ai testé… une semaine sans Gafa

LE PARISIEN WEEK-END. Pillage des données, évasion fiscale… Malgré les polémiques, les consommateurs continuent d’utiliser Google, Apple, Facebook et Amazon. Alors, peut-on s’en passer ? Notre reporter a essayé.

 Renoncer aux services et produits développés par les mastodontes du Web : un casse-tête pour notre journaliste !
Renoncer aux services et produits développés par les mastodontes du Web : un casse-tête pour notre journaliste ! LP/Olivier Corsan

    La France a décidé de taxer certains géants du Web, soupçonnés d'évasion fiscale, de pillage de données … Connus dans le monde entier, Google, Apple, Facebook et Amazon (les Gafa), certains utilisés par des millions voire des milliards de personnes, agacent. Mais est-il possible aujourd'hui de s'en passer? Pour le savoir, nous avons essayé.

    Lundi, retour aux basiques

    Vivre sans les Gafa implique de changer bon nombre d'habitudes. Je décide de commencer par les applications que j'utilise sur mon smartphone. Pour la messagerie et les appels vers l'étranger, je pourrais remplacer Messenger et Whatsapp (tous deux propriété de Facebook) par Telegram et Viber. Mais voilà, je m'apprête à les télécharger sur mon iPhone… un produit Apple.

    Première étape : me procurer un autre téléphone. Les systèmes d'exploitation les plus courants, iOS et Android, appartenant respectivement à Apple et à Google, impossible d'acheter un smartphone dernière génération. J'opte donc pour un téléphone basique, équipé d'une carte SIM qui me donne droit à 2000 SMS, deux heures d'appels et 20 gigas de connexion Internet. Le tout pour 80 euros.

    Déjà, des difficultés apparaissent : je n'ai plus accès à mes contacts, et dois donc enregistrer les plus importants dans mon nouveau portable. Je dois réapprendre à écrire sans écran tactile, en tapant plusieurs fois sur chaque touche, ce qui prend un temps fou. Très vite, j'abandonne mes tentatives d'accès à Internet. Le portable capte la 3G, mais trouver comment ouvrir une page Web est au-delà de mes compétences. Et impossible d'installer une quelconque appli. Bref, mon téléphone n'est pas « smart » (« intelligent »). En revanche, il remplit à merveille sa fonction première : passer et recevoir des appels.

    Mardi, oups mon dîner !

    Se retrouver entre amis ? C’est possible, même sans réseau social. LP/Olivier Corsan
    Se retrouver entre amis ? C’est possible, même sans réseau social. LP/Olivier Corsan LP/Olivier Corsan

    J'utilise d'habitude l'application Google Agenda, parce que j'y ai accès sur mon portable et sur mon ordinateur et que je peux partager mon planning avec d'autres utilisateurs. M'en passer se révèle stressant, d'autant que je suis peu doué pour l'organisation. D'un autre côté, je prends conscience de la masse de données que je livrais quotidiennement à Google. L'entreprise sait presque tout ce que je vais faire le mois prochain, à quelle heure, où et avec qui. Je ressors donc un bon vieux carnet que j'emporte partout avec moi.

    Le soir même, un SMS me force à constater que ce n'est pas suffisant : « Tu viens toujours au restaurant ? » Oups ! Sur Messenger (le tchat de Facebook), j'avais prévu de dîner avec trois amis. Mais, privé de mon iPhone, j'ai raté la majeure partie des discussions et j'ai complètement oublié le rendez-vous. Une fois arrivé au restaurant (avec une demi-heure de retard), je tente de convertir mes amis à un autre réseau social, indépendant des Gafa : Diaspora. Un équivalent de Facebook, gratuit lui aussi, mais sans publicité et avec un meilleur contrôle des données.

    Peine perdue ! Diaspora est plutôt bien développé, mais changer de plate-forme prend un temps infini. Il faut créer son profil, et surtout retisser l'intégralité de son réseau. Et puis, Facebook compte plus de 2,4 milliards d'utilisateurs, quand Diaspora en recenserait moins de 2 millions. Cela fait beaucoup d'obstacles. Trop, pour mes amis.

    Mercredi, un historique Web protégé

    Qwant, logiciel européen axé sur la confidentialité, est une alternative prometteuse. LP/Olivier Corsan
    Qwant, logiciel européen axé sur la confidentialité, est une alternative prometteuse. LP/Olivier Corsan LP/Olivier Corsan

    Pour accéder à Internet, fini Google Chrome. J'utilise maintenant Mozilla Firefox, un navigateur équivalent, gratuit et libre. Les utilisateurs peuvent le copier, le modifier, l'améliorer sans restriction. Il fonctionne parfaitement, mais je n'ai plus accès aux mots de passe enregistrés dans le précédent navigateur.

    Il me faut aussi choisir un remplaçant à Google. Parmi les nombreuses options possibles, je jette mon dévolu sur Qwant, un moteur de recherche français qui n'enregistre pas l'historique des internautes, ni ne revend leurs données. Je suis agréablement surpris. Il est rapide à installer et simple à prendre en main, même s'il est moins précis que Google dans les recherches. Il me faudra ainsi une dizaine de minutes pour retrouver un article du Parisien sur les conséquences de l'attentat du 11 septembre 2001.

    J'écoute d'habitude de la musique pendant que je travaille. Je déchante quand je m'aperçois que je ne peux plus lancer les chaînes musicales de la plate-forme YouTube, rachetée par Google en 2006. Après avoir cherché en vain une solution alternative gratuite, je finis par souscrire un abonnement à Spotify, pour 9,99 euros par mois. J'ai à nouveau accès à tous les morceaux que je souhaite. En prime, sans publicité. Impossible, en revanche, de visionner des clips.

    Jeudi, sauvé par un plan

    Sur les réseaux sociaux, je suis abonné à plusieurs comptes de journalistes et d'experts de toutes sortes, qui m'aident à trouver des sujets intéressants. Après trois jours sans Facebook et Instagram, tombé dans l'escarcelle de Mark Zuckerberg en 2012, j'ai la sensation d'être moins bien informé, d'autant que je ne reçois plus les alertes des médias sur mon téléphone.

    Je réalise que ma dépendance aux Gafa s'étend aussi à ma vie professionnelle. Pire, elle empiète sur ma vie sociale. Je suis moins au courant des événements culturels et des activités de mes amis. Pour préparer mes soirées, je les appelle un à un et leur demande s'ils sont disponibles. Sortir devient plus compliqué. Me déplacer aussi. Sans les applications Apple Plans et Google Maps, le cycliste que je suis a du mal à se repérer dans Paris.

    Rien d'insurmontable toutefois. D'abord, ma localisation est une donnée que je suis heureux de garder pour moi. Et lorsque je suis perdu, je retrouve mon chemin en le demandant aux passants, ou en regardant les cartes affichées aux stations de bus. J'ai même retrouvé un plan de Paris parmi un amas de bouquins poussiéreux.

    Vendredi, pas d'urgence !

    L’avantage de se déplacer en librairie : on peut échanger « pour de vrai ». LP/Olivier Corsan
    L’avantage de se déplacer en librairie : on peut échanger « pour de vrai ». LP/Olivier Corsan LP/Olivier Corsan

    De tous les Gafa, Amazon est celui qui me manque le moins. Certes, l'entreprise tentaculaire est la seule à livrer une telle diversité de produits en un délai si court : pour 49 euros par an, l'abonnement Amazon Prime donne accès à la livraison gratuite en un jour ouvré. Imbattable! Mais je ne suis pas dans l'urgence. Plutôt que de commander en ligne le dernier livre de Sylvain Tesson, je me rends dans une librairie où je bénéficie des conseils d'une spécialiste.

    Quant aux freins de vélo neufs dont j'ai besoin, je les trouve sur le site Probikeshop.fr. Il me faudra toutefois attendre cinq jours pour les recevoir. Mais, comme j'habite Paris, je peux me faire livrer dans un Point relais proche de chez moi, sans majoration. Une personne résidant en zone rurale trouvera sans doute moins d'alternatives à Amazon, ou sera contrainte de payer un surplus en choisissant un autre prestataire.

    Samedi, coupé du monde

    La semaine touche à sa fin et j'en suis soulagé. J'ai le sentiment d'avoir accumulé du retard. Pas forcément parce que les services que proposent les géants du Web sont indispensables, mais parce que la planète entière les utilise.

    S'en passer, c'est un peu se couper du monde. Ce qui n'est pas toujours désagréable. Sans les notifications qui accaparent d'ordinaire mon attention, je me suis senti libre de la porter où je voulais. Un sentiment que résume bien Sylvain Tesson dans une interview au « Monde », publiée en août 2018 : « Eteignez tout et le monde s'allume! »