Londres

Au cœur de la fantasmagorie démente de William Blake

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Publié le , mis à jour le
Traité de fou par la critique du début du XIXe siècle, William Blake est aujourd’hui considéré comme l’un des génies les plus mystiques de l’histoire de l’art. Préfigurateur du romantisme anglais, le poète lyrique, peintre et graveur visionnaire est actuellement  à l’honneur à la Tate Britain. Décryptage en huit œuvres aussi énigmatiques qu’envoûtantes, tout droit sorties de son imaginaire débridé.
William Blake, Portrait de William Blake
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William Blake, Portrait de William Blake, 1802

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Miroir de l’âme

Un autoportrait au crayon et au lavis, mais une impression de gravure … Rien de surprenant, étant donné le parcours de William Blake : graveur depuis son adolescence en 1771, il ouvre après son apprentissage à la prestigieuse Royal Academy of Arts, une petite maison d’édition d’estampes à Londres. Tout en étudiant et en travaillant pour gagner sa vie, il développe un art plus personnel et tente de se faire reconnaître par ses pairs. Mais en vain. Sur ce dessin, son regard perçant et déterminé semble en dire long sur cette force créative hors du commun qui divisera les critiques.

Crayon noir, gris, blanc • 24,3 x 20,1 cm • Coll. Robert N. Essick

William Blake, Le Fantôme d’une puce
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William Blake, Le Fantôme d’une puce, vers 1819

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Une bête de foire

« Le voici – attrape mon matériel – je dois garder un œil sur lui. Il arrive ! Sa langue impatiente fouettant hors de sa bouche, une coupe dans ses mains pour contenir le sang, recouverte d’une peau écailleuse dorée et verte ». L’aquarelliste et amateur d’astrologie John Varley se souvient des propos de son ami William Blake lorsqu’il eut la vision spirituelle du fantôme d’une puce à l’allure d’homme. Selon l’artiste enclin à des visions depuis l’enfance, les puces sont habitées par des âmes humaines, à force de se nourrir de leur sang. Sur cette tempera rehaussée d’or, la créature apparaît tel un magicien avec son chapeau sur une scène aux rideaux ouverts. Une image d’une étrangeté prodigieuse.

Crayon sur papier • 20 x 15,3 cm • Coll. particulière

William Blake, Newton
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William Blake, Newton, vers 1795-1805

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Dans les abysses du savoir

Bien loin des représentations du savant âgé et chétif, le physicien (et alchimiste) Isaac Newton est figuré ici par William Blake en Apollon musculeux. Recroquevillé sur un rocher recouvert d’algues et de corail, il dessine avec son compas au fond de l’océan. Une image qui illustre un souvenir du scientifique : « Il me semble que je n’ai jamais été qu’un enfant jouant sur une plage, m’amusant à trouver ici ou là un galet plus lisse ou un coquillage plus beau que d’ordinaire, tandis que, totalement inconnu, s’étendait devant moi le grand océan de la vérité ». Newton aurait-il enfin trouvé son « océan de la vérité » ? Ou est-il si obnubilé par sa recherche qu’il en aurait oublié d’observer la beauté des fonds marins ? Les interprétations des spécialistes autour de cette œuvre continuent d’affluer…

Encre et aquarelle sur papier • 46 x 60 cm • Coll. Tate, Londres

William Blake, Catherine Blake
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William Blake, Catherine Blake, 1805

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Échange de bons procédés

En 1805, Blake esquisse le portrait de sa femme Catherine Boucher. Des quelques traits désinvoltes posant l’essentiel du décor aux détails du doux visage, ce dessin démontre une maîtrise académique acquise à la Royal Academy of Arts, mais constitue surtout un exercice de style exécuté dans la sphère intime de ce couple lié par l’amour et par l’art. Car Catherine devient rapidement la collaboratrice de son époux artiste, promouvant son génie, l’aidant avec l’impression et la coloration de ses œuvres, achevant même certains de ses dessins. En retour, il lui apprend à lire et à écrire, tout en la formant à son propre métier.

Crayon sur papier • 28,6 x 22,1 cm • Coll. Tate, Londres

William Blake, Europe, frontispice de The Ancient of Days
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William Blake, Europe, frontispice de The Ancient of Days, 1827

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Du danger de mesurer l’univers

Dans la mythologie inventée par William Blake, Urizen est le patriarche barbu incarnant la sagesse conventionnelle et la loi oppressive. C’est une sorte de Zeus architecte qui menace la liberté de pensée et d’imagination en mesurant l’univers avec son compas (tout comme Isaac Newton au fond de l’océan !). C’est sans doute pour ce puissant symbolisme, que cette gravure destinée au frontispice du livre illustré le plus ambitieux de Blake (L’Europe, une prophétie, 1794) est devenue l’image la plus célèbre de son art ésotérique. Et aussi parce qu’en colorant cette impression lors des derniers jours de son existence, il se serait écrié qu’elle est « la meilleure que je n’ai jamais achevée ! »

Gravure avec encre et aquarelle sur papier • 23,2 x 12 cm • Coll. The Whitworth, The University of Manchester

William Blake, Nabuchodonosor
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William Blake, Nabuchodonosor, Vers 1795-1805

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Le roi devenu fauve

À quatre pattes, des griffes lui poussent des orteils, de longs poils apparaissent sur son fessier et une étonnante crinière tombe jusqu’au sol… C’est le roi de Babylone, Nabuchodonosor, exilé dans le désert selon la Bible jusqu’à en devenir fou et se transformer en animal sauvage. Grâce à son talent de dessinateur, hérité de celui du maître allemand Albrecht Dürer, l’artiste invente une adaptation picturale de la métamorphose animalière, sur laquelle l’expression du roi déchu relève autant de l’homme désespéré que du lion apeuré ! En sait-il quelque chose, de ce sort effrayant de Nabuchodonosor, lui que la presse locale traite de « malheureux fou » ?

Encres couleur sur papier • 54,3 x 72,5 cm • Coll. Tate, Londres

William Blake, Dieu jugeant Adam
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William Blake, Dieu jugeant Adam, 1795

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« Dans les flammes de la fureur éternelle »

Graveur émérite, William Blake développe au fil du temps diverses techniques inédites dont celle de la « fresque portative » – en hommage aux fresques de la Renaissance – qui mélange impression et peinture. Pour cette scène du jugement d’Adam, il a pris soin de faire ressortir le trait jaillissant de la main de Dieu en retouchant à l’aquarelle et à l’encre l’image empreinte d’une plaque de cuivre gravée. Car cette oblique construit l’incroyable composition de cette œuvre, où le Tout-Puissant dans son chariot de flammes apparaît sous les traits d’Urizen, accablant Adam de sa justice inflexible.

Gravure en relief avec encre et aquarelle sur papier • 43,2 x 53,5 cm • Coll. Tate, Londres

William Blake, Capanée le Blasphémateur
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William Blake, Capanée le Blasphémateur, 1824-1827

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Vision infernale

C’est assis dans son lit, « tel un patriarche antique ou un Michel-Ange mourant », que William Blake illustre vers la fin de sa vie La Divine comédie de Dante. À cette occasion, il dépeint Capanée, un des sept rois partis assiéger Thèbes, posant comme un modèle nu alors qu’il se fait foudroyer par Jupiter. L’orgueil du monarque transparaît dans toute sa splendeur, sa tête auréolée par le feu, son torse s’embrasant sous les regards stupéfaits de Virgile et de Dante… Fasciné par l’Enfer décrit par le poète italien dont il réalise plus de 72 planches (contre une dizaine pour le Paradis), Blake rejoindra son ciel peuplé de chimères en 1827, laissant sa femme Catherine défendre son œuvre magistralement complexe et profondément mystique.

Crayon, aquarelle, craie et encre sur papier • 37,4 x 52,7 cm • Coll. National Gallery of Victoria, Melbourne

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Retrouvez le portrait de William Blake, poète illuminé dans le numéro de novembre 2019

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William Blake

Du 11 septembre 2019 au 2 février 2020

Retrouvez dans l’Encyclo : William Blake

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