« Un romancier qui aurait imaginé cet enfer n’aurait pas pu rendre crédible un tel niveau de cruauté et de non-sens. C’est tout simplement inconcevable », écrit la journaliste Delphine Welter en préambule du livre de Karine et Laurence Brunet-Jambu. Au fil de 300 pages de Signalements (1), publié ce jeudi 10 octobre par les éditions Ring, raconte en effet l’un des échecs les plus cuisants de la protection de l’enfance et la chronique d’un aveuglement.

L’une des forces indéniables de ce témoignage à deux voix tient à la personnalité des auteures : Karine Jambu, qui figure parmi les victimes les plus emblématiques des violences sexuelles sur mineures, et sa tante Laurence, celle qui est parvenue à l’arracher à ses parents. Elles relatent avec précision, fac-similés de documents officiels à l’appui, un combat mené contre un couple mais aussi, et peut-être surtout, contre les autorités qui étaient chargées de les aider.

L’histoire de Karine Jambu reste en effet dans les annales judiciaires et administratives. Elle a abouti, le 17 septembre 2018, à la première condamnation de l’État pour « déni de justice » pour n’avoir pas protégé la fillette maltraitée dans sa famille. Dans leur récit à deux voix, Karine et sa tante Laurence, racontent les années qui ont précédé cette victoire tardive. Le mal qu’elles ont eu à se faire entendre, alors même que « tous les signaux étaient au rouge ».

Premiers doutes

Le récit commence le 7 septembre 1997, jour de la naissance de Karine Jambu. Sa tante prend la plume pour raconter l’indifférence de ses parents, leur désintérêt pour ce nourrisson et les premiers doutes qui l’assaillent, son sentiment d’impuissance à intervenir dans sa belle-famille qu’elle pressent maltraitante. Cette date sera aussi celle du premier signalement, par l’hôpital, de la situation de Karine.

Le récit se poursuit sur plusieurs années. Au fur et à mesure, Laurence découvre que sa nièce est violée par un homme hébergé chez elle, entre ses 5 et 7 ans. Pendant ces deux ans, personne pourtant ne va l’enlever à ses parents malgré une dizaine de signalements. Il faudra attendre qu’elle parle toute seule, à 12 ans, pour que la machine judiciaire se mette finalement, lentement, en marche.

Au fil des pages, Laurence raconte avec honnêteté ses tâtonnements, ses interrogations, son refus aussi parfois de croire à l’indicible. Le sens de la responsabilité qu’elle estime être la sienne, vis-à-vis de la filleule de son mari et le soutien de sa foi. Les découvertes aussi, qu’elle aurait préféré ne jamais faire : que la mère de Karine a déjà tué un précédent bébé, que le couple héberge un homme condamné pour viol d’enfant.

Chronique d’un fiasco

Au-delà de ce parcours personnel, ce témoignage est surtout la chronique d’un fiasco administratif et judiciaire. Car à chaque fois qu’un nouvel élément intervient, Laurence tente d’alerter les institutions. La directrice de l’école, les voisins feront aussi des signalements. Comment les services sociaux ont-ils pu ne pas entendre ? Pourquoi les antécédents judiciaires des protagonistes n’ont-ils pas suffi à inquiéter ? Comment Laurence Jambu a-t-elle pu se retrouver, un temps, dans la position d’accusée, de manipulatrice ?

Si ce témoignage est hors norme, il interroge profondément. Il montre la nécessité d’un droit de regard sur les décisions de l’Aide sociale à l’enfance et d’une meilleure collégialité des décisions de justice. Un rappel d’utilité publique alors qu’une réforme de la protection de l’enfance doit être lancée lundi 14 octobre.

(1) Signalements - Infanticide, pédophilie, maltraitance, tous complices, de Karine et Laurence Brunet-Jambu, éditions Ring, 330 p., 18 €