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Les Marocaines doivent refuser l’aliénation de leur corps par l’État !

Lundi, Hajar Raissouni a été condamnée à un an de prison pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage ». Car l’État est complice de l’objectivation sexuelle des femmes, puissant outil du patriarcat
Des militants marocains brandissent des photos de la journaliste Hajar Raissouni devant le tribunal de Rabat, le 9 septembre 2019 (Reuters)

Réclamer le droit de disposer de son corps lorsqu’on est une femme, terrible condamnation sociale, est aussi une lutte pour notre liberté sexuelle. 

Le droit de choisir notre orientation sexuelle (l’article 489 du code pénal marocain condamne l’homosexualité), de nous marier ou non, de choisir notre époux et de disposer de notre corps appelle à la reconnaissance du viol conjugal. Or, ce n’est toujours pas le cas puisque le mariage religieux contrôle le corps, la sexualité et la vie des femmes.

Car oui, au Maroc, où l’hypocrisie sociale est reine, les relations sexuelles consenties, c’est-à-dire entre deux personnes désirantes –mais hors mariage et/ou adultère – sont punies d’emprisonnement, respectivement par les articles 490 et 491. 

Au lieu de mettre fin à l’impunité, l’État est complice de l’objectivation sexuelle des femmes, puissant outil du patriarcat

En revanche, le gouvernement fait la promotion du viol conjugal, la relation sexuelle étant considéré comme un devoir conjugal des épouses. Le mariage donnant le droit à l’époux de disposer du corps de son épouse, la violence sexuelle se retrouve donc institutionnalisée au sein des couples. 

Le projet de loi adopté en février 2018, à l’initiative de Bassima Hakkaoui, ministre de l’Égalité, distribue des permis de violer tout en participant à la culture du viol.

Le corps humain n’est pas un objet, et en l’occurrence, celui des femmes non plus. Au lieu de mettre fin à l’impunité, l’État est complice de l’objectivation sexuelle des femmes, puissant outil du patriarcat. Disposer de notre corps, c’est décider nous-mêmes des contacts corporels que nous acceptons et de ceux que nous refusons. 

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Mais nous sommes assujetties. Ce mépris du corps féminin, Hajar Raissouni en a été (in)justement victime face à l’assujettissement au système judiciaire et au corps médical.

D’abord humiliée par cette arrestation liée à ce qu’on appelle communément dans le royaume « une affaire de mœurs », Hajar Raissouni a aussi été humiliée par l’étalage de son intimité rendue publique et par un examen gynécologique imposé dans le cadre de l’enquête, dont les résultats ont également rendus publics par le procureur. 

La pénétration sexuelle dont a été victime Hajar Raissouni, en plus d’être un acte de torture, est une violence sexuelle, un viol.

Tout comme l’est la pratique humiliante, cruelle et dégradante du « test de virginité ». La virginité, encore un concept imaginaire phallocrate ne concernant que les femmes.

Affiche du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) et de l’Inter-LGBT (Facebook)

Nos vies nous appartiennent, nous en sommes les seules décisionnaires et garantes. Seul-es les esclaves ont connu, dans les sociétés modernes, cette condition de ne pas disposer librement de leur corps.

Oui, nous revendiquons notre droit au plaisir. Notre droit de jouir sans entraves. Nous revendiquons notre droit de maîtriser notre capacité reproductive et notre liberté d’être mère ou non. Nous réclamons la liberté de disposer de notre corps, de nos utérus, de nos ventres et de nos vulves comme nous le souhaitons. 

IVG : un débat avorté

En mars 2015, en plein débat sur les dangers de l’avortement clandestin, le roi Mohammed VI se saisissait du dossier. Il chargeait le ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, et le ministre des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq, ainsi que Driss El Yazami, président de la Commission nationale des droits humains (CNDH), de mener des consultations élargies avec les religieux et la société civile sur la question. 

Il y eut également une audience avec les deux conseillers du roi et le ministre de la Santé. Soit au total, sept hommes pour régir le corps des femmes. Sept. 

La commission a donc conclu que l’avortement n’est légal que dans trois cas seulement : « Lorsque la grossesse constitue un danger pour la vie et la santé de la mère » (la femme enceinte, donc), en cas de « graves malformations et de maladies incurables que le fœtus pourrait contracter » et enfin lorsque « la grossesse résulte d’un viol ou d’inceste ».

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Le projet de loi amendant le code pénal a été adopté par le Conseil de gouvernement en juin 2016 et est toujours dans les tiroirs. Ce projet de loi contrôle encore et toujours le corps des femmes. On sait pourtant que dans le monde, une femme meurt toutes les neuf minutes d’un avortement à risque.

Le groupe parlementaire du Parti du progrès et du socialisme (PPS) a déposé une proposition de loi au mois de mai 2018 allant dans le sens dudit projet. Il s’agit de mettre en œuvre les recommandations émises par la commission royale, à savoir se fonder sur une approche médicale, parce que le problème est lié avant tout à la santé, et non de dire que l’avortement doit être libre, dépendant de la volonté individuelle des femmes. 

Il est en effet question de santé publique, et j’ajouterais même de justice sociale, mais il est condamnable de privilégier la santé de certaines au dépend de celles des autres. 

Dans un pays où les femmes peuvent être condamnées pour prostitution et où le viol conjugal n’est pas reconnu, demander à une plaignante de présenter une déclaration sur l’honneur revient à la qualifier de menteuse

Ces positions, contre-révolutionnaires, œuvrent dans la lignée de l’Interruption médicale de grossesse (IMG) : il ne s’agit donc en aucun cas d’une IVG (acte libre et volontaire). 

Nous luttons contre les stéréotypes sexistes qui cantonnent la sexualité des femmes dans la sphère du mariage et l’obsession nataliste qui en découle.

Plus révoltant encore, si la grossesse résulte d’un viol ou d’une relation incestueuse, la femme concernée doit présenter une déclaration sur l’honneur en plus d’une demande explicite signée. 

Outre le fait d’ignorer que la plus grande majorité des femmes ne portentpas plainte après un viol, dans un pays où elles peuvent être condamnées pour prostitution et où le viol conjugal n’est pas reconnu, demander à une plaignante de présenter une déclaration sur l’honneur revient àla qualifier de menteuse.

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L’assouplissement a minima fait preuve d’une hypocrisie patriarcale qui exprime non seulement l’infantilisation des femmes mais aussi, sous couvert de relativisme culturel, une certaine condescendance quant à leur émancipation qui ne saurait être souhaitable. 

Cette lutte orientée reconduit la domination masculine en ne cessant d’affirmer le contrôle sur les femmes, de s’approprier leur corps, de favoriser les discriminations et de nier leurs droits sexuels et reproductifs. Il ne s’agit aucunement d’une avancée, mais d’une position morale et idéologique que rien ne justifie. 

Ils ne décideront plus pour nous !

Bien que nous, les femmes, soyons de nouveau en minorité dans les médias,en particulier sur lessujetsqui nous concernent – poids accordé à la parole masculine, déséquilibre du temps de parole entre les femmes et les hommes–, ils ne décideront plus pour nous.

La lutte pour nos droits à disposer de nos corps est intimement liée aux luttes pour l’équité, pour la justice sociale et pour l’élimination de toute forme de discrimination. 

Nous réaffirmons l’importance fondamentale de notre libre choix par rapport à nos corps, notre sexualité et notre maternité. La notion du choix dans le domaine des droits sexuels et reproductifs dépasse la seule question de l’avortement : elle sous-entend d’avoir accès à une éducation sexuelle et à des moyens de contraception adaptés.

Levons l’entrave à l’éducation sexuelle en lieu et place de l’éducation islamique. Appelons à l’abrogation de ces lois rétrogrades, liberticides et sexistes

Pour rappel, le 31 juillet 2018, le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), qui accompagne malgré les risques d’emprisonnement les femmes désireuses d’avorter grâce à la pratique de l’avortement médicamenteux, avait été consterné par la suspension de l’autorisation de mise sur le marché du médicament Artotec dont la molécule (misoprostol) provoque un avortement. Une décision qui met la vie de milliers de femmes en danger.

Les droits sexuels et reproductifs des femmes ne sauraient être négociables. Parce qu’aucune personne, qu’elle soit médecin, juriste, religieuse, politique,ne peut disposer à la place d’une femme de son corps et de sa vie.

Le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à l’autodétermination en matière de sexualité, de grossesse et de maternité sont des droits fondamentaux et nous ne saurons nous contenter de miettes. 

Dessin publié par le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Facebook)

La domination masculine sur les corps et la sexualité des femmes reste le plus grand obstacle à l’égalité des sexes.

La conquête de la liberté sexuelle et reproductive ne s’est pas réalisée dans d’autres contrées sans de rudes batailles juridiques. Le féminisme est avant tout une lutte pour des droits, notamment pour le droit d’exercer son libre arbitre. 

La lutte pour les droits sexuels et reproductifs symbolise la lutte pour la libération des femmes. Certains refusent aux femmes de pouvoir décider d’elles-mêmes, en nous culpabilisant et en nous taxant de « débauchées » pour avoir une vie sexuelle, et en nous accusant de commettre « un assassinat » pour avoir fait le choix d’avorter.

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Levons l’entrave à l’éducation sexuelle en lieu et place de l’éducation islamique. Appelons à l’abrogation de ces lois rétrogrades, liberticides et sexistes, et rappelons que le droit de disposer de notre corps un élément structurant de l’égalité entre les femmes et les hommes. 

Refuser cette égalité, c’est refuser l’accès des femmes à leur autonomie, à leur choix de vie, à leur liberté.

La libération se situe dans le droit et le choix. Nous refusons l’aliénation de nos corps par l’État. 

Mais pour cela, la mobilisation doit être importante. Au-delà des réseaux sociaux, l’absence des organisations et des féministes le jour du verdict me laisse dubitative quant à une éventuelle révolution sexuelle.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ibtissame Betty Lachgar est psychologue clinicienne et porte-parole du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). Vous pouvez la suivre sur Twitter : @IbtissameBetty
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