Afghanistan : la paix à quel prix ?

Pour lutter contre le terrorisme, cette affiche, à Kaboul, invite les Afghans à signaler les activités suspectes. ©Radio France - Valérie Crova
Pour lutter contre le terrorisme, cette affiche, à Kaboul, invite les Afghans à signaler les activités suspectes. ©Radio France - Valérie Crova
Pour lutter contre le terrorisme, cette affiche, à Kaboul, invite les Afghans à signaler les activités suspectes. ©Radio France - Valérie Crova
Publicité

Les Afghans attendent les résultats de l’élection présidentielle du 28 septembre. Dans un pays frappé par des attentats à répétition, la population, usée par plusieurs décennies de guerre, aspire plus que jamais à la paix. Pour y parvenir il faudra composer avec les Talibans.

Avec
  • Jean-Pierre Perrin Grand reporter à Libération, journaliste, correspondant de guerre et écrivain français

Kaboul, septembre 2019. En ce samedi matin, les rues de la capitale afghane grouillent de monde. Kaboul compte aujourd’hui près de 6 millions d’habitants. Sa population a fortement augmenté en dix ans. Conséquence d’un exode rural important en raison des combats qui se déroulent dans plusieurs provinces d’Afghanistan.      

Dans la ville, les embouteillages monstres rendent les déplacements compliqués. Des barrages policiers sont censés filtrer les véhicules. Car Kaboul est le théâtre d’attentats quasiment toutes les semaines. Pour les commettre, leurs auteurs utilisent des véhicules piégés, armes redoutables. Les Kaboulis ont encore en mémoire l’attentat qui avait fait plus de 150 morts en mai 2017.  Ce jour-là, c’est un camion-citerne bourré d’explosifs qui avait explosé… 

Publicité

On fait attention quand on rentre dans le centre-ville de Kaboul. Il y a toujours des attentats le matin. Les kamikazes décident de venir  la veille au soir et ils se font exploser au moment où les gens vont au travail vers 8 heures. Ils se font exploser près des employés du gouvernement, près des policiers, aux points de contrôle, ou près des convois de l’armée nationale afghane ou des convois étrangers.            
Haroun, Kabouli

Fresque murale du collectif de graffeurs afghans Art Lords. Les tulipes illustrent le nombre de morts dans des attentats.
Fresque murale du collectif de graffeurs afghans Art Lords. Les tulipes illustrent le nombre de morts dans des attentats.
© Radio France - Valérie Crova

Des murs de protection peints pour tenter d'égayer la vie

Les habitants de Kaboul ont pris l’habitude de vivre au milieu de murs de protection en béton qui entourent les bâtiments officiels afghans et les ambassades situées dans la Green zone, enclave hautement sécurisée. Pour rendre ces murs gris un peu plus gai, un collectif de graffeurs ( Artlords) a décidé d’y dessiner des fresques colorées. Récemment, ils ont peint 25 000 tulipes rouges, chaque fleur symbolisant l’une des victimes des attaques terroristes. 

Université américaine de Kaboul
Université américaine de Kaboul
© Radio France - Valérie Crova

Située à la périphérie de la ville, l’université américaine de Kaboul n’échappe pas à la règle. C’est aujourd’hui une forteresse gardée par des miradors. Le plus prestigieux établissement du pays, qui accueille 1 500 filles et garçons de toutes les provinces afghanes, a été visé par un attentat le 24 août 2016 après qu’un commando de talibans a réussi à s’introduire dans l’enceinte de l’université. Seize personnes avaient perdu la vie dont huit étudiants et un enseignant.  Depuis cette date, personne ne rentre sur le campus sans passer par de multiples sas de sécurité. Mais une fois à l’intérieur, c’est une oasis de paix et de libre parole. Shefa, une étudiante de 20 ans, confie :   

C'est fascinant d'être ici. En fait, ça remplit mon coeur de joie tous les jours. C’est différent comparé à Kaboul, parce qu’à Kaboul, on n’est pas en sécurité, on ne peut pas marcher après 18 heures. Chaque jour, on voit quelqu'un qui a perdu sa mère, ou son père, ou ses pieds, sa main, ou ses yeux. Juste en regardant les gens qui passent, on voit leur visage plein de tristesse mais ils ont le sourire aux lèvres, ils font semblant d'aller bien. Les attentats sont devenus si normaux que personne n'en parle. Cela ne choque même plus personne. Et ça me fait mal de voir ce que nous sommes devenus.

Aujourd’hui, les talibans contrôleraient 30% de la population afghane et 50% du territoire notamment les régions productrices d'opium qui leur apportent une manne financière importante. Ce ne sont pas des territoires très peuplés ni de grandes agglomérations. Selon Haroon Mir, analyste politique à Kaboul, les forces militaires afghanes, qui subissent de lourdes pertes dans les combats contre les talibans, ont réussi à les repousser de plusieurs grandes villes notamment à Kunduz, dans le nord, que les talibans ont essayé de reprendre par deux fois sans y parvenir, ou la ville de Farah dans l’ouest de l’Afghanistan contre laquelle ils ont lancé un assaut début septembre. Ils ont là aussi été repoussés par les forces afghanes mais grâce à l’aide de l’armée américaine. 

Négociations et revirement de Donald Trump

Dix-huit ans après avoir été chassés de Kaboul, les talibans demeurent une force considérable. C’est ce qui a poussé l’administration américaine à engager des discussions avec leurs représentants l’an dernier. Les Américains, qui disposent encore de 14 000 soldats sur place, souhaitent en effet se désengager du bourbier afghan dans lequel ils ont perdu plus de 2 300 GI’s depuis 2001 et le début de l’opération militaire de l’OTAN menée dans la foulée des attentats du 11 septembre. Après neuf cycles de négociations menées à Doha, au Qatar, entre les talibans et l’émissaire américain Zalmay Khalilzad, un projet d’accord était sur le point d’être signé. Il prévoyait un retrait progressif des derniers soldats américains en échange d’une réduction de la violence et de l’ouverture de négociations directes entre les talibans et le gouvernement de Kaboul, ce qu’ils se sont toujours refusé à faire jusqu’à présent. 

Mais le 8 septembre dernier, à la surprise générale, Donald Trump a mis fin aux discussions. Dans un tweet, le Président américain a justifié sa décision après un énième attentat à Kaboul le 5 septembre dernier, attentat qui a coûté la vie à 12 personnes, dont un soldat américain.  

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Pour Donald Trump, il ne peut y avoir d’accord de paix tant que les talibans commettront des attentats. En apprenant la nouvelle,  les femmes afghanes les plus influentes ont été soulagées. Car le fait que les Américains négociaient directement avec les talibans représentait une trahison pour les Afghanes, comme Mari Akrmi qui dirige le réseau des femmes afghanes : 

Depuis l’année dernière, depuis le début des pourparlers de paix, nous avons élevé la voix, et nous avons dit que ce processus de paix, la façon dont il était mené, ce n’était pas acceptable, surtout pour les Afghans, et en particulier pour les femmes afghanes. Nous étions tellement inquiets, de la façon dont l’accord était présenté, et dans lequel les talibans mettaient l'accent sur un Émirat islamique, et étaient représentés comme une grande puissance. Mais pour nous, ils tuent des gens innocents tous les jours; c’est un groupe terroriste. Et la façon dont on leur a donné une tribune ces derniers mois nous a particulièrement choquées.                                        
 

© AFP - John Saeki, Laurence Chu

Et maintenant ? 

L’arrêt des négociations engagées par les Américains avec les talibans a rebattu les cartes. Que peut-il se passer maintenant ? Vont-elles reprendre une fois le résultat de l’élection présidentielle connu ? Le Président sortant Ashraf Ghani n’a jamais caché son opposition à ces négociations menées sans qu'il y soit directement associé. L’ancien Président afghan Hamid Karzai lui y est favorable. Hamid Karzai plaide également pour une participation des talibans dans un futur gouvernement d’unité nationale. 

L'ancien Président Hamid Karzai dans sa résidence à Kaboul
L'ancien Président Hamid Karzai dans sa résidence à Kaboul
© Radio France - Valérie Crova

Les talibans sont des Afghans, ils font partie de notre pays et en tant qu'Afghans, ils ont parfaitement le droit de participer au processus politique, comme nous tous, avons le droit de participer à notre processus politique. Mais pour cela, nous devons d'abord parvenir à la paix, et à la stabilité.                                        
Et lorsque la paix sera revenue, les talibans auront  tous les droits dont bénéficient les Afghans. Ils pourront être au gouvernement, ils pourront être dans le système judiciaire, ils pourront être au Parlement. Ils pourront se présenter à la présidence. Mais si les afghans disent non, et choisissent un autre président, ils devront l’accepter.                                
Hamid Karzai

Début octobre, un groupe de responsables talibans s’est rendu à Islamabad au Pakistan pour y rencontrer l’émissaire spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan. Depuis plusieurs mois, les Américains font pression sur Ie Pakistan pour qu’il joue de son influence sur les talibans et les convaincre de rejoindre la table des négociations. Car le Pakistan continue de jouer un rôle de premier plan dans le conflit afghan en soutenant les fondamentalistes. Il a été l’un des trois seuls pays à avoir reconnu le régime taliban quand il était au pouvoir entre 1996 et 2001. Une position qui s’explique par les relations tumultueuses entre Islamabad et Kaboul. Michael Barry, professeur émérite à l’Université américaine de Kaboul, résume les raisons de l'implication du Pakistan :    

L'Afghanistan a été le seul pays de la planète à voter contre l'accession du Pakistan aux Nations unies. Les Afghans n'ont pas accepté la frontière laissée par les Britanniques qui avaient amputé des morceaux de territoire afghan laissés en 1947 aux Pakistanais. Donc c'est un conflit frontalier qui n'a pas cessé de s'envenimer. Le Pakistan dès 1947 a perçu Kaboul comme une base hostile à l'intégrité territoriale même du Pakistan. Cette politique a coïncidé avec les intérêts tant américains que chinois dans les années 80, quand le gouvernement de Kaboul était effectivement un régime communiste. Les intérêts américains et pakistanais ont semblé diverger à partir du moment où, après 2001, les Américains ont vu leur intérêt dans la consolidation de l'Etat afghan alors que le régime pakistanais continue à pousser à la désintégration du régime afghan. 

Ce "Grand Reportage" de Valérie Crova est présenté en direct de Bayeux à l’occasion de la 26e édition du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre.

© Visactu

L'équipe