Sciences / Économie

Un jour ou l'autre, le monde manquera de sable

Deuxième ressource naturelle la plus utilisée après l'eau, le sable est indispensable à notre développement. Mais aujourd'hui, le matériau s'épuise et devient un facteur de déstabilisation.

Pour sauver le sable, le temps est compté. | Immo Wegmann <a href="https://unsplash.com/photos/0SO5dMWhBsk">via Unsplash</a>
Pour sauver le sable, le temps est compté. | Immo Wegmann via Unsplash

Temps de lecture: 6 minutes

On le trouve partout dans notre quotidien: dans le béton de nos maisons, dans les vitres, les ordinateurs, dans l'asphalte de nos routes, les téléphones, les peintures et même les cosmétiques. Après l'eau, le sable est la deuxième ressource la plus convoitée au monde.

«Le sable, c'est le héros oublié de notre développement», souligne Pascal Peduzzi, directeur scientifique du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), basé à Genève.

Pour Christian Buchet, directeur du Centre d'études de la mer de l'Institut catholique de Paris (ICP), le sable est même «le défi majeur du XXIe siècle». L'auteur de La Grande Histoire vue de la mer précise: «Ce matériau, c'est le produit le plus courant, le plus communément utilisé. Le sable est partout, dans nos voitures, dans tout ce qui est construction, mais également dans des niches où on ne s'y attend pas, comme les engrais agricoles.»

On estime qu'entre 40 et 50 milliards de tonnes de sable sont extraits chaque année sur la planète. «Globalement, chaque individu sur Terre consomme 18 kg de sable par jour», illustre Pascal Peduzzi.

Facile d'accès, beaucoup considèrent à tort que la ressource est inépuisable. «Aujourd'hui, nous extrayons beaucoup plus rapidement que ce que la Terre produit, car le sable met des milliers d'années à se régénérer», explique Éric Chaumillon, professeur en géologie marine à l'université de La Rochelle et chercheur au CNRS.

Le problème tient aussi au fait qu'une grande quantité de sable n'est pas utilisable pour la construction de nos bâtiments et de nos routes: «Celui du désert, par exemple, ne peut pas être utilisé. Il s'agit de sable qui ne tient pas pour le ciment. Nous avons besoin de sable, ou plutôt de granulats, qui se créent grâce aux vagues ou via la roche. Ce matériau tient mieux pour les matériaux de construction.»

L'industrie se concentre ainsi sur des carrières, les rivières, les plages ou les fonds marins –une extraction aux conséquences environnementales parfois dramatiques.

Rempart naturel protecteur

Si l'exploitation du sable est régulée dans les pays européens et aux États-Unis, ce n'est pas le cas partout, et en particulier dans les pays en voie de développement, où la demande est la plus importante. Extraire du sable sur les plages met à mal des écosystèmes pourtant essentiels à la préservation de nos terres.

«Ce matériau joue un rôle direct sur l'environnement, insiste Pascal Peduzzi. Les plages fonctionnent comme des protections contre les tempêtes. Concernant les rivières, on en change la forme avec l'extraction de sable. On joue sur l'érosion des berges et le risque est alors d'amplifier les sécheresses ou les inondations.»

«On est en train de provoquer un drame dans l'agriculture de certains pays.»
Christian Buchet, directeur du Centre d'études de la mer de l'ICP

Ce constat inquiète beaucoup de scientifiques, à l'image d'Éric Chaumillon: «C'est complètement déraisonnable d'appauvrir en sédiments une plage, alors même que c'est le meilleur rempart contre les inondations. À court terme, cette exploitation est peut-être rentable pour les sociétés, mais sur le long terme, elles détruisent un rempart naturel protecteur.»

Avec la montée des mers et le changement climatique, l'utilité du sable est d'autant plus cruciale. Son extraction facilite l'érosion marine, entraînant une infiltration des eaux salées via les estuaires.

Ce phénomène a un impact direct sur les populations: destruction de la flore, salinisation des terres agricoles, «on est en train de provoquer un drame dans l'agriculture de certains pays», alerte Christian Buchet.

Émergence de mafias

Le sable n'est pas seulement un enjeu écologique, mais aussi de développement. L'évolution démographique et économique de l'Asie et de l'Afrique a multiplié par trois la demande en sable en vingt ans.

«Imaginez, sous Napoléon 1er en 1804, on était un milliard de Terriens. On est sept milliards depuis octobre 2014, on sera huit milliards en 2025 et entre 9,3 et 9,6 milliards en 2050, expose Christian Buchet. Il y a donc une pression considérable sur la construction et sur l'utilisation de sable.»

Le continent asiatique est particulièrement concerné. «C'est une région au fort dynamisme économique, avec beaucoup de constructions, notamment en Chine et en Inde», indique Pascal Peduzzi.

«La pression sur cette ressource en Asie est due à la transformation des sociétés, ajoute le chercheur. Il y a des immeubles qui poussent à une rapidité folle. La Chine utilise 58 % des ressources en sable à elle toute seule. Entre 2015 et 2019, elle a utilisé cent fois la quantité de sable exploitée en un an aux États-Unis.»

«Le sable est plus menacé que les métaux lourds. On l'extrait dans de telles quantités qu'on va dans le mur.»
Christian Buchet, directeur du Centre d'études de la mer de l'ICP

Entre une demande en constante augmentation, la facilité d'extraction et la disponibilité de la ressource, de véritables mafias du sable sont apparues aux quatre coins du monde, qui n'hésitent pas à user de la violence pour s'assurer le contrôle de ce juteux marché.

En Inde, plusieurs journalistes indiens enquêtant sur ces mafias ont été assassinés; au Kenya, près d'une douzaine de personnes ont été tuées au cours des dernières années dans des combats entre gangs rivaux; au Maroc, selon un rapport du PNUE publié en février 2019, la moitié du sable utilisé chaque année pour la construction, soit 10 millions de mètres cubes, est extrait illégalement.

La raréfaction de la ressource représente une véritable menace. D'après Christian Buchet, «le sable est plus menacé que les métaux lourds. On l'extrait dans de telles quantités qu'on va dans le mur». Il prévient: «Il ne faut pas attendre la pénurie. Moins il y aura de sable, plus il va coûter cher et plus on va aiguiser l'appétit des mafias. C'est pour ça qu'il est urgent d'agir.»

Futurs rois du pétrole

Véritable défi au développement de nos sociétés, la problématique du sable «rejoint, par définition, tous les problèmes d'épuisement des ressources naturelles que l'on a aujourd'hui, que ce soit pour l'eau ou encore le pétrole», souligne Éric Chaumillon.

«C'est encore une preuve que l'être humain, aujourd'hui, est devenu un facteur d'évolution de la planète aussi important en matière de modification des paysages que ne le sont les volcans, les séismes ou les fleuves. C'est devenu quelque chose de très fort», appuie le chercheur, qui estime à cet égard que «la question du sable est celle de l'homme qui scie la branche sur laquelle il est assis»: «Si les industriels ne se soucient pas des écosystèmes littoraux, à un moment, ils peuvent en venir à menacer une protection naturelle de côte derrière laquelle il y a leurs propres installations.»

Pourtant, des solutions émergent pour tenter de réguler l'extraction et l'utilisation de cette denrée capitale pour les villes de demain. «On a déjà des matériaux de substitution au sable: le béton cellulaire, qui ne demande pas de granulats, et tout ce qui est recyclage de déchets, en particulier pour les routes, les déchets de fonderie et même des déchets de granulats, liste Éric Chaumillon. On peut détruire des bâtiments, les refragmenter pour reconstruire d'autres bâtiments.»

«La question du sable est celle de l'homme qui scie la branche
sur laquelle il est assis.»
Éric Chaumillon, professeur en géologie marine

Le problème, nuance Pascal Peduzzi, c'est qu'il est aujourd'hui «moins cher d'exploiter le sable dans la nature que de recycler du béton». Il avance pour sa part la possible utilisation de la cendre ou de la sciure de bois pour remplacer le sable dans certains secteurs.

Christian Buchet appelle quant à lui à une grande mobilisation des scientifiques et des entreprises pour élaborer de nouveaux matériaux. «Les rois du pétrole de demain sont ceux qui vont précisément trouver les produits de substitution au sable, niche par niche», prédit-il.

Compte à rebours

La bonne nouvelle, c'est «que les choses commencent à bouger», observe Pascal Peduzzi: «En mars 2019, différents pays ont adopté une résolution pour mener une étude sur les impacts de l'exploitation de sable au niveau environnemental.»

Christian Buchet tempère cet enthousiasme: «Personne n'a envie de s'y mettre plus que ça. Pour certains, c'est une manne de vendre du sable. Pour d'autres, c'est une manne d'en acheter. Je ne suis pas sûr que la communauté internationale soit pleinement consciente des enjeux qui entourent cette ressource.»

Pour le spécialiste, le temps presse: «Vous avez une mafia du sable qui est absolument gigantesque, parce qu'il y a des intérêts absolument considérables. Il est impératif de réguler et trouver des solutions» pour juguler la contrebande et prévenir les pénuries.

Face à cette nouvelle urgence, les États devront travailler ensemble à tenter de réguler l'exploitation du sable. La lutte contre ses dérives passera nécessairement par une meilleure gouvernance mondiale, mais également par une meilleure sensibilisation, un accompagnement renforcé des autorités régionales et une véritable mobilisation des acteurs du secteur.

Mais il faudra agir vite: le sable manque déjà dans certaines régions du monde, alors que la croissance et le développement de l'Asie et de l'Afrique s'accélèrent. La demande en sable n'a jamais été aussi forte, ni la ressource aussi menacée.

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