Menu
Libération
Chronique «L'âge bête»

En France, la pie-grièche à poitrine rose n’est (presque) plus

Fil vert, les chroniquesdossier
Après la reproduction ratée du dernier couple connu dans l’Hérault, la disparition de ce passereau migrateur ne fait guère de doute dans l’Hexagone. Au grand regret des naturalistes.
par Florian Bardou
publié le 13 octobre 2019 à 13h30

Tous les dimanches, retrouvez la chronique «l'Age bête», le rendez-vous animal de Libération.

Voilà, nous y sommes. En France, la pie-grièche à poitrine rose, espèce migratrice identifiable par un bandeau noir sur son front, «comme un masque de Batman», selon le spécialiste de l'espèce pour la Ligue de protection des oiseaux (LPO), Denis Rey, est sur le point de disparaître. Cet été, au sud-ouest de Montpellier (Hérault), le dernier couple connu a en effet échoué à se reproduire, notamment en abandonnant ses oisillons à peine nés dans leur nid. Condamnés, les petits n'ont alors pas survécu. «Si l'année prochaine le couple ne revient pas, l'espèce s'éteindra, explique l'ornithologue Frédéric Jiguet, professeur d'écologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN). C'est à peu près fichu pour la pie-grièche à poitrine rose. Mais l'extinction ne sera déclarée qu'après plusieurs années d'observation.» «Il y a toujours des individus qui peuvent revenir sporadiquement, complète pour sa part Denis Rey. Mais tout cela laisse penser que l'espèce est éteinte à l'état reproducteur.»

A lire aussiLes oiseaux nicheurs en péril en France

De fait, l'extinction programmée de lanius minor, de son nom scientifique, ne surprend guère les scientifiques. Documenté depuis les années 20, le déclin de ce passereau, désormais constaté jusqu'en Roumanie, est devenu inexorable ces vingt dernières années en France, malgré la succession de plans d'action et une protection accrue au niveau national et européen (directive oiseaux, convention de Berne et convention de Bonn sur les animaux sauvages migrateurs). «On est en marge de l'aire de distribution de l'espèce qui migre en partant d'Europe orientale pour l'Afrique australe, ajoute Frédéric Jiguet, par ailleurs coordinateur du programme Suivi temporel des oiseaux communs (STOC-EPS). Or ce sont les zones les plus touchées par le changement climatique en Afrique. Et plus les pies-grièches ont de distance à parcourir [10 000 kilomètres aller, ndlr], plus on suppose que c'est compliqué pour elles.»

A lire aussi 15 espèces communes en voie de disparition

Ajoutez à ces menaces le braconnage le long de la voie de migration, la destruction de ses habitats en Afrique et l'intensification des pratiques agricoles en Europe de l'Ouest, pointée du doigt pour expliquer le déclin vertigineux des oiseaux communs de nos campagnes au XXIsiècle, et le tour est joué. «En France, le caractère philopatrique de l'espèce, soit le fait de revenir nicher là où les individus sont nés, l'a desservi, avance encore Denis Rey, de la LPO. Par conséquent, les populations se sont de plus en plus isolées géographiquement, avec peu d'échanges génétiques et les chances de maintien se sont réduites.» Sans compter la disparition des insectes, les proies principales de cette espèce, pour laquelle la dégradation des milieux naturels comme les pesticides sont entre autres mis en cause.

«La pie-grièche à poitrine rose est un cas emblématique car c'est une espèce migratrice affectée par le changement climatique qui fait partie du cortège de très nombreuses autres espèces dont les populations vont diminuer tant qu'on ne change pas notre modèle agricole, conclut Frédéric Jiguet. Je suis assez pessimiste car il n'y a pas de prise de conscience au niveau politique.» A moins d'un sursaut pour améliorer la conservation du passereau migrateur – du moins ce qu'il en reste – et de ses coreligionnaires (pie-grièche grise, pie-grièche méridionale, elles aussi très menacées) au niveau international.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique