Philippe Lévy : «L’hôpital va s’effondrer comme une barre obsolète de banlieue»

Dans une tribune au Parisien - Aujourd’hui en France, le professeur des universités Philippe Lévy « lance une alerte de plus afin que le grand public perçoive les enjeux de ce qui est en train de se dérouler » à l’hôpital.

 Philippe Lévy, professeur des Universités, chef de Service, Hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine)
Philippe Lévy, professeur des Universités, chef de Service, Hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine) Elene Usdin

    Philippe Lévy, professeur des Universités, chef de Service, Hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine)

    « De tous les centres hospitalo-universitaires (CHU) et de la majorité des centres hospitaliers généraux s'élève la même plainte. L'épuisement du personnel, la perte de sens et — c'est nouveau — l'insécurité des soins y sont décriés. L'AP-HP est emblématique car c'est le plus grand établissement hospitalier d'Europe. Je souhaite par ces quelques lignes lancer une alerte de plus afin que le grand public perçoive les enjeux de ce qui est en train de se dérouler.

    Le personnel non médical — infirmier(e) s, aide-soignant(e) s, psychologues… — est écrasé en raison de salaires de misère, de plannings sans cesse modifiés, de l'impossibilité de se loger à proximité des hôpitaux, de la destruction des équipes attachées à un service, ne permettant pas une formation adéquate ni la transmission du savoir ni la solidarité. Les infirmières n'ont plus les moyens d'accomplir leurs tâches dans le temps imparti… On doit fermer des lits par secteurs entiers, restreignant les capacités d'accueil. Il n'y a plus d'assistantes sociales pour accompagner la prise en charge des patients précaires.

    Dans les hôpitaux, il manque des manipulateurs radio. L'AP-HP remplace les secrétaires par des logiciels qui font des courriers. Mais les secrétaires organisent le temps des médecins, sont capables de distinguer l'urgence de l'accessoire, de gérer l'angoisse… L'encadrement ne contrôle plus le soin. Il est saturé par la gestion des plannings, les glissements de tâches. L'AP-HP a été sévèrement touchée par la réforme des pôles qui a détruit les unités fonctionnelles qu'étaient les services autour du chef de service. La création des pôles a généré d'innombrables réunions, des mises en place d'indicateurs de performance. Les super pôles interhospitaliers ont été inventés avec un responsable médical et un cadre paramédical très éloignés des différents services et de leurs préoccupations. Les super pôles ont encore moins bien fonctionné que les pôles. Puis on a créé, sans plus de succès, les départements médico-universitaires. Les jeunes médecins sont maintenus dans un état précaire pendant des années. Malgré des besoins évidents de titulaires, ils restent contractuels et sont renouvelés (ou non) tous les six mois. Ce sont pourtant des bacs +10, responsables de vies humaines !

    Les rapports avec les directions sont de plus en plus difficiles. Elles ne sont plus au service des équipes médicales, c'est l'inverse. Il nous faut remplir des objectifs, expliquer des déficits, signer des contrats qui n'engagent que le corps médical. Il y a à l'AP-HP un administratif pour deux médecins…

    On le comprendra, le problème de l'hôpital ne se limite pas aux urgences. C'est être aveugle que de le croire, de le dire, voire de le clamer. Voilà, mesdames et messieurs les futurs usagers, rapidement brossé le paysage dévasté de ce qui est fait de l'hôpital public censé pourtant assurer les soins au plus haut niveau de tous, pauvres comme riches, et assurer la recherche d'excellence et la formation. Nous sommes à un point de non-retour où l'hôpital public va s'effondrer comme une barre obsolète de banlieue sous le regard avide de l'hospitalisation privée. Le corps médical et paramédical ainsi que la population doivent dire stop et se lever. Plus que temps! »