Le gouvernement a annoncé ce lundi 14 octobre un plan de 80 millions d’euros pour la protection de l’enfance. Plusieurs mesures ont été dévoilées par Adrien Taquet. Le secrétaire d’État chargé de la protection de l’Enfance souhaite notamment « rendre obligatoire l’entretien prénatal » à partir de 2020, qui ne compte « actuellement pas parmi les sept consultations obligatoires de grossesses ». Et doubler le « nombre de visites prénatales par les sages-femmes de PMI ». Entre 2020 et 2022, il prévoit aussi de créer cinq cent nouveaux postes de psychologues et psychomotriciens dans ces PMI. Enfin « pour répondre aux besoins spécifiques des enfants placés, notamment dans les cas de fratries », 600 nouvelles places d’accueil devraient voir le jour dans les trois prochaines années, permettant de prévenir les risques de violences conjugales.

Lyes Louffok*, ancien enfant placé, membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance, initiateur du collectif #LaRueA18ans, ne cesse de dénoncer les dysfonctionnements des services de la protection de l’enfance, dont le budget annuel est de 9 milliards d’euros. 341 000 mineurs en France sont placés sous la protection de l’ASE mais pour ces jeunes vulnérables, leur prise en charge est encore trop souvent une loterie injuste selon les départements dont ils dépendent. Lyes Louffok est en colère et il le dit. Entretien.

Pourquoi êtes-vous en colère après l’annonce du gouvernement d’octroyer 80 millions d’euros à la protection de l’enfance ?

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Lyes Louffok : Adrien Taquet a annoncé un budget de 80 millions d'euros. 80 millions d'euros seulement pour 30 départements sur 101, requis pour travailler essentiellement sur la prévention du placement. Ça illustre bien la politique actuelle quand on sait que faute de moyens, dans le Nord, par exemple, le délai d’attente est de 18 mois pour que l’enfant soit placé quand un juge ordonne sa protection. On se dit que ces 80 millions pourraient servir à l'urgence, c’est-à-dire, à la création de nouvelles places plutôt que de travailler sur le lien parent-enfant. 

Que pensez-vous de la contractualisation avec les départements ?

Non seulement le gouvernement ne met pas plus d'argent mais il le fait sur le principe de la contractualisation avec les départements, on marchandise donc sur l'avenir des enfants de notre pays. L’État va signer un contrat avec les départements qui s’engageront sur un certain nombre de mesures en échange de quoi, ils recevront de l’argent public. Mais aucune sanction n’est prévue s’ils ne tiennent pas leurs engagements. C’est faire un chèque en blanc. C’est encore une fois laisser la marge d'appréciation et la marge de manœuvre totales aux présidents de départements qui jusqu'à présent n’ont pas tous été capables de faire leur boulot correctement. 

Quelles sont les mesures essentielles que vous réclamiez et qui ne sont pas inscrites dans ce plan ?

Parmi celles qui ne figurent pas dans la stratégie nationale de protection de l'enfance et pour lesquelles on est extrêmement déçu et en colère, il y a le fichier national des agréments pour garantir une traçabilité des familles d'accueil exclues afin d’éviter qu'elles puissent travailler ailleurs. Et le référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes qu'on voulait imposer au niveau national et à l'ensemble des départements. Car un enfant qui sera signalé à Paris ne le sera pas de la même façon à Marseille. On ne gère pas le danger de la même manière en fonction des départements. On voulait justement uniformiser les protocoles.

Que retenez-vous de positif ?

Absolument rien et c'est là toute la déception de ce plan. Adrien Taquet est très juste sur les constats, mais en ce qui concerne les propositions concrètes ou opérationnelles, c’est la douche froide. Toutes les mesures sont soumises à contractualisation avec les départements donc pas applicables à l'ensemble des enfants placés, on reste donc dans l’inégalité de traitement. Adrien Taquet s'est précipité aujourd'hui en annonçant à la presse une stratégie nationale puisque visiblement les solutions ne sont pas encore trouvées. Et il mobilise de nouveau des groupes de travail ou des commissions à l'issue, ce qui est un scandale. C'est naviguer à l'aveugle. La protection de l'enfant ne peut pas le tolérer. En fait, les budgets décidés par Bercy ne sont pas à la hauteur, si on lui avait octroyé un milliard d’euros, cela aurait pu changer la donne. Malheureusement ce n'est pas le cas, l’État n'est pas prêt à investir dans la vie des enfants qu'il est censé protéger.

*Auteur de Dans l’enfer des foyers (J’ai lu).