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L’Afrique, terrain d’étude des trois Nobel d’économie

Agriculture, éducation, contraception, santé… Les travaux des chercheurs Duflo, Banerjee et Kremer ont évalué l’aide au développement, notamment sur le continent.

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Publié le 15 octobre 2019 à 11h07, modifié le 15 octobre 2019 à 12h07

Temps de Lecture 4 min.

Dans une école primaire de Nairobi, capitale du Kenya, en octobre 2017.

Pourquoi les centaines de milliards de dollars engloutis année après année dans les politiques de développement semblent-elles produire si peu d’effets ? Lorsqu’on lui pose cette question, Ester Duflo, l’une des trois lauréats du prix Nobel d’économie décerné lundi 14 octobre, renvoie dos à dos ceux qui pensent comme Jeffrey Sachs que l’insuffisance d’argent mobilisé explique ce piètre résultat et ceux qui comme William Easterly dénoncent les conséquences perverses de l’aide.

Sans aller jusqu’à le qualifier de stérile, la Franco-Américaine, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), a choisi de trancher ce débat en prenant pour seul arbitre le verdict de l’évaluation. Qu’est-ce qui marche et qu’est qui ne marche pas ? Avec ses confrères Michael Kremer et Abhijit Banerjee – également récompensés – du Laboratoire d’action contre la pauvreté Abdul Latif Jameel (J-PAL), elle a pour cela transposé la méthode dite de l’évaluation aléatoire au champ de l’économie du développement. Cette approche consiste, pour la résumer simplement, à évaluer une mesure en comparant le comportement de deux groupes de population dans le même environnement. D’un côté, un groupe cible sur lequel est appliquée la mesure et de l’autre, un groupe qui ne reçoit rien, un peu comme en médecine on utilise un placebo pour tester l’efficacité d’un médicament.

Les trois lauréats « ont introduit une nouvelle approche (expérimentale) pour obtenir des réponses fiables sur la meilleure façon de réduire la pauvreté dans le monde », a ainsi expliqué à Stockholm le secrétaire général de l’Académie royale des sciences, Göran Hansson. Cette démarche, dont la finalité est d’apporter une aide à la décision, a logiquement trouvé en Afrique un champ d’expérimentation important.

Sur les 978 évaluations réalisées par le J-PAL depuis sa création en 2003 ou par ses entités affiliées, 300 se sont déroulées sur le continent. La grande majorité d’entre elles concernent le Kenya et l’Ouganda tandis que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale francophones ont jusqu’à présent fait l’objet de peu d’attention. La santé, l’éducation et le renforcement de l’agriculture sont les sujets qui dominent. Voici cinq exemples de questions « tranchées » localement à partir de ces évaluations aléatoires.

  • Donner plutôt que vendre une moustiquaire pour lutter contre le paludisme

Donner des moustiquaires pour lutter contre le paludisme plutôt que de les faire payer. Le paludisme est largement répandu au Kenya et sa prise en charge représente un coût financier important pour le budget de la santé. En 2006, pour mesurer l’impact qu’aurait la suppression des subventions totales ou partielles accordées pour l’acquisition d’une moustiquaire, une expérimentation a été réalisée sur une population de 20 000 femmes enceintes fréquentant des centres de santé prénatale. Certains économistes affirmaient par ailleurs que le fait de devoir payer entraînerait une meilleure utilisation des moustiquaires. Les résultats ont montré que ce postulat était faux, mais surtout que faire payer une somme même minime aux ménages les plus pauvres provoquait une chute pouvant aller jusqu’à 60 % des demandes de moustiquaires.

  • L’accès au microcrédit n’améliore pas le recours à la contraception

L’accès au microcrédit n’améliore pas le recours à la contraception. L’Ethiopie, où le taux de fécondité par femme reste élevé, s’est interrogé sur le lien entre des programmes d’accès au microcrédit et l’utilisation de moyens contraceptifs pour faire baisser le nombre de naissances. Une enquête a été conduite entre 2003 et 2006 auprès de 6 440 foyers dans 356 villages. Si le recours à la contraception et au microcrédit a globalement augmenté au cours de la période dans toutes les catégories testées, les chercheurs n’ont constaté aucune différence de comportements entre le groupe de bénéficiaires des programmes et le groupe « témoin » dans lequel les femmes n’ont reçu aucune incitation à emprunter. Offrir des crédits n’a aucun effet sur l’utilisation de méthodes contraceptives, ont conclu les chercheurs.

  • Vermifuger les enfants prolonge leur scolarisation

Vermifuger les enfants permet d’améliorer leur scolarité à l’école primaire. Ecole gratuite, distribution de repas, d’uniformes… Les chercheurs du J-PAL ont observé cette palette d’instruments pouvant inciter les parents à envoyer leurs enfants à l’école. Ils ont conclu à l’issue d’une évaluation aléatoire sur un échantillon de 30 000 écoliers kényans que l’administration de vermifuges pour débarrasser les jeunes enfants de leurs vers intestinaux était certainement l’un des meilleurs moyens de prolonger leur scolarité. Réalisée entre 1997 et 2001, dans soixante-quinze écoles rurales, l’étude a permis de faire baisser l’absentéisme d’un quart pour un coût moindre par rapport à d’autres dispositifs.

  • Mieux assurer les paysans plutôt que les subventionner

Les paysans africains ont davantage besoin de bons systèmes d’assurance que de capitaux pour moderniser leurs exploitations. Le manque d’investissement dans le secteur agricole maintient en Afrique des niveaux de rendement parmi les plus faibles du monde. Dans le nord du Ghana où il n’y a qu’une seule saison des pluies, des économistes ont voulu comprendre pourquoi les agriculteurs n’achetaient pas d’engrais ou n’employaient pas davantage de main-d’œuvre pour accroître leur production. L’enquête menée entre 2009 et 2013 sur une population de 1 146 fermiers a montré que l’existence d’assurances contre l’aléa pluviométrique modifiait bien davantage le comportement des fermiers qu’une subvention en capital.

  • Adapter l’information sur le sida dans les écoles primaires

Des campagnes d’information plus fines dans les écoles primaires pour prévenir le sida. Dans l’ouest du Kenya entre 2003 et 2005, 71 écoles primaires ont fait l’objet de campagne d’information ciblée pour avertir les jeunes filles des risques liés à des relations sexuelles avec des hommes plus âgés souvent appelés « sugar dadies ». Les hommes de plus de 25 ans sont davantage porteurs du VIH que les adolescents. Jusqu’alors, le programme officiel d’information de lutte contre le sida destiné aux écoles primaires n’incluait aucune information sur la contamination par le virus HIV en fonction de l’âge. A l’issue de cette campagne, les chercheurs ont observé une baisse de l’ordre de 30 % des grossesses par rapport aux écoles où cette action de prévention n’avait pas été menée.

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