ETATS-UNISComment la politique anti-immigrés de Trump a tué une ville

Comment la politique anti-immigrés de Donald Trump a tué une ville du Mississippi

ETATS-UNISDeux mois après les arrestations en masse de clandestins qui ont touché la petite ville de Morton, des familles se retrouvent séparées et des foyers, ruinés
Maureen Songne

Maureen Songne

L'essentiel

  • En août dernier, près de 700 personnes ont été arrêtées dans des opérations visant les travailleurs sans-papiers du Mississippi.
  • Une grande partie d’entre eux travaillaient dans deux entreprises de transformation de volailles, Koch Foods et PH Foods, près de la ville de Morton.
  • Cette bourgade a vu plus de 10 % de sa population arrêtée ou perdre son emploi à la suite de ces raids.

Il s’agissait de l’opération policière la plus importante contre l’immigration clandestine depuis au moins une décennie. Des centaines d’employés du secteur agroalimentaire en situation irrégulière ont été arrêtées dans une opération menée par l’agence migratoire américaine (ICE Immigration and Customs Enforcement) au Mississippi le 7 août dernier. Plusieurs médias américains sont revenus cette semaine sur les conséquences d’un événement qui avait fait les gros titres des journaux cet été.

Deux mois plus tard, retour dans cette ville durement touchée par les raids de l’ICE. Pour rappel entre les arrestations et les licenciements, ce sont 450 personnes qui ont perdu leur travail dans cette bourgade, comme indiquait Le Monde en août. Soit plus de 10 % de la population, un constat qui a déjà des conséquences sur la petite ville de 3400 habitants.

« Maintenant, il n’y a plus personne ici »

« Maintenant, il n’y a plus personne ici » indique Felix, à The Intercept, média américain d’investigation en ligne. Employé de Koch Foods depuis plus de dix ans, l’une des deux usines de Morton touchée par les raids, il est l’un des rares à être passé sous les radars impitoyables des agents de l’ICE.

Originaire du Guatemala, Felix est entré sans visa aux Etats-Unis et n’a pas de papiers. Comme sa femme, Crescencia, qu’il a rencontrée à l’usine, originaire du Mexique. Enfermée dans un centre de détention depuis deux mois, elle n’a pas eu autant de chance que lui. « Il y avait 40 personnes dans ma rangée. Maintenant on n’est plus que 15, nous ne faisons plus le même travail qu’avant. Beaucoup de la production a été perdue. Beaucoup de poulets meurent de chaud, la moitié est morte. S’il y a un autre raid, l’entreprise pourrait fermer. »

Des travailleuses menottées sont extortées vers le bus qui les emmènera dans des centres de détention. Usine Koch Foods, Morton, le 7 août 2019
Des travailleuses menottées sont extortées vers le bus qui les emmènera dans des centres de détention. Usine Koch Foods, Morton, le 7 août 2019 - Rogelio V. Solis/AP/SIPA

Des emplois dont les Américains ne voulaient pas

Au lendemain des arrestations massives, Koch Foods a de suite tenu une foire à l’emploi pour remplacer ses employés arrêtés. Selon Vice, 200 personnes ont postulé mais certaines d’entre elles ont démissionné dès leur premier jour.

« Les Noirs et les Blancs ne voulaient pas y travailler », indique un employé au site d’information. « Quand il y a eu les raids, on leur a donné une chance de revenir mais ils ne veulent toujours pas rester. Ils viennent et repartent. Ils disent en gros qu’ils ne veulent pas travailler aussi dur. » Un autre employé ajoute : « La manière dont ils nous payent, ce n’est pas assez. »

Historiquement, ce sont les Hispaniques qui travaillent majoritairement dans les usines de volailles. Baigner dans le sang, dépecer les animaux, être au contact des entrailles, découper les poulets en morceaux machinalement et tout ça pour un salaire médiocre… La main-d’œuvre du secteur de la volaille a toujours intimement été liée aux questions d’immigration, comme le détaille une étude publiée en 2009, « Latino Immigrants and the Transformation of U.S. South, Angela C. Stuesse ».

« Alors que les Blancs et – plus tard – les Afro-Américains étaient la main-d’œuvre historique de l’industrie de la volaille, les Latinos constituent aujourd’hui la majorité des travailleurs. En 2000, les Latinos représentaient 29 % des ouvriers dans le secteur de la viande, et 82 % d’entre eux étaient nés à l’étranger. A l’échelle nationale, 50 % des 250.000 ouvriers qui travaillent dans l’élevage de volaille sont des immigrés. Ce phénomène a causé des changements culturels et sociétaux de taille dans les communautés rurales du Sud. »

Les travailleurs sans-papiers sont aujoud’hui 28 millions, soit 17,4 % de la population active, dans un pays où le taux de chômage est exceptionnellement bas, à 3,5%. Pour l’historienne Nicole Bacharan, autrice du Monde selon Trump (éd. Tallandier), il n’existe pas de « problème de l’immigration » mais de grands dysfonctionnements quant à la régulation de celle-ci. « Evidemment qu’au niveau des frontières comme au Texas, l’immigration clandestine apporte son lot de violences et de dangers en lien avec les cartels de drogue, les passeurs… Mais au niveau national, on a absolument besoin de ces travailleurs. Ils occupent des postes ingrats et difficiles que les Américains ne veulent pas prendre. Ce qu’il faut c’est réguler l’immigration légale, avec Trump qui a multiplié les exigences de vérification, obtenir des papiers peut prendre jusqu’à dix ans ! »

Une ville fantôme

21 % des personnes sans-papiers aux Etats-Unis sont installées au Mississippi depuis cinq ans ou plus et 15,7% de la population à Morton est née en Amérique latine. On comprend donc que ces arrestations aient laissé de lourds traumatismes. Comme l’indique The Intercept, Morton et la ville voisine de Forest ont comme l’air d’avoir été touchées par une tornade : des maisons abandonnées, des rues désertes, des familles ruinées. Le jour des arrestations, des images d'enfants en pleurs se retrouvant sans parents pour s’occuper d’eux en rentrant de la rentrée des classes tournaient en boucle sur les chaînes d’informations en continu. Aujourd’hui encore, des parents ont disparu du jour au lendemain de la vie de leurs enfants, pour la plupart nés aux Etats-Unis et donc légalement Américains. Et pour ceux qui ont été épargnés, la peur règne de se faire débusquer par l’ICE à tout moment.

A ce jour, un des acteurs principaux de cette affaire n’a pourtant toujours pas été incriminé : les usines qui employaient ces clandestins. Ont-elles employé ces personnes en fermant délibérément les yeux sur leur statut illégal ? A la suite des raids, Koch Foods a assuré dans une suite de communiqués qu’ils avaient suivi la législation en règle et vérifié l’identité de chaque postulant. A terme, l'entreprise risquerait de perdre des millions de dollars.

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