Récit : CHUTZPAH! (ou la folle histoire du faux Le Drian)

Pendant le quinquennat de François Hollande, des escrocs se sont fait passer pour Jean-Yves Le Drian afin de soutirer des millions à de riches personnalités. Olivier Bouchara et Hugo Wintrebert ont remonté le fil d’une affaire extraordinaire où se croisent de faux espions, des acteurs célèbres et un arnaqueur professionnel dont le procès devrait avoir lieu début 2020.
LD
Serguei Supinsky:AFP et Joêl Saget/AFP

Elle a trouvé le message en arrivant au bureau un lundi matin : le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, avait tenté de l’appeler. Il voulait lui parler en personne, à propos d’une affaire « de la plus haute importance ». Il avait même laissé le numéro de téléphone de son ­cabinet pour qu’elle le recontacte rapi­dement. Mais que pouvait-il bien lui vouloir ? Corinne Mentzelopoulos n’est pas une spécialiste de la chose militaire : elle possède et dirige le groupe Château Margaux, l’un des meilleurs vins au monde que son père, un ancien armateur grec, a acquis en 1977. Elle compose­ les dix chiffres, intriguée. Un conseiller décroche : « Monsieur le ministre est très occupé, répond-il en substance. Mais laissez-nous votre portable, il va trouver un instant pour vous rappeler. »

Vers 11 heures, son téléphone sonne : « Jean-Yves Le Drian. » D’une voix solen­nelle, il commence par saluer la mémoire d’André Mentzelopoulos, « un grand homme » qu’il dit avoir bien connu du temps où ils étaient amis avec le président pakistanais Zulfikar Ali Bhutto. Il entre ensuite dans le vif du sujet : l’heure est grave, l’information doit rester secrète, deux ressortissants français ont été pris en otage en Syrie, les ravisseurs exigent 40 millions d’euros. Il faut agir vite. Or la France ne verse jamais de rançon aux terroristes – du moins, officiellement. En réalité, poursuit le ministre, l’État utilise un circuit parallèle : il fait appel à des entreprises pour avancer les fonds, puis les rembourse discrètement via la Banque de France sur un compte en Suisse. La propriétaire de Château Margaux a du mal à suivre. Mais elle, que vient-elle faire dans cette histoire ? Servir de relais en débloquant une partie de l’argent. Ah bon, mais comment ? Le ministre ne peut pas trop en dire sur cette ligne, « on ne sait jamais ». Elle va recevoir un « mail test » du chef de l’opération. De fait, quelques minutes plus tard, à 11 h 20 ce 14 mars 2016, un certain Vincent Louvier dont l’adresse finit par « diplomats.com » indique la marche à suivre : pour des raisons de sécurité, le virement devra transiter par une banque slovaque et porter la mention « inves­tis­sement ». Un RIB se trouve en pièce jointe.

Corinne Mentzelopoulos veut bien faire. Comme le ministre l’a précisé, elle n’en parle à personne. C’est une affaire classée « secret-défense » et, à son âge (62 ans), on peut lui faire confiance. N’a-t-elle pas été élevée au rang d’officier de la Légion d’honneur par François Fillon en 2011 ? Dans l’après-midi, elle transmet un fax à la Société générale pour procéder à un virement de 990 000 euros. L’argent n’est pas un problème, sa fortune professionnelle est estimée à 600 millions d’euros. À plusieurs reprises, Jean-Yves Le Drian la rappelle : il l’encourage, la réconforte, elle fait « du bon travail ». Mais il faudrait donner davantage pour satisfaire les ravisseurs. Le lendemain matin, elle consent à verser deux millions supplémentaires. Le ministre la félicite « au nom de la France et de la République ». Grâce à son aide, deux compatriotes vont réchapper d’une mort certaine. En fin d’après-midi, il lui envoie une longue lettre à en-tête du ministère, frappée du tampon « confidentiel » : « Le gouvernement sera garant de toutes les opérations financières, confirme-t-il. Comme convenu, un compte numéroté en Suisse a été mis à votre disposition. » Il signe de sa main, « avec l’assurance de [sa] très haute considération ».

Hélas, les preneurs d’otages sont souvent imprévisibles. Le mercredi matin, le ­commandant Louvier a de mauvaises nouvelles : ces odieux kidnappeurs en veulent toujours plus. Soudain, elle hésite. Jean-Yves Le Drian doit s’employer à la rassurer : encore trois petits millions et tout sera réglé. Il est si directif, si sûr de lui. Elle accepte, mais quelque chose la taraude, un léger doute. Pour détendre l’atmosphère, elle a glissé au ministre qu’ils avaient tous deux fait hypo­khâgne après le bac, mais il n’avait pas l’air de comprendre de quoi il s’agissait. Et cette manie qu’il a de répéter sans cesse « Tchécoslovaquie » alors que ce pays n’existe plus depuis 1993... Et si elle avait versé près de 6 millions à des margoulins ? Vite, elle rappelle la banque pour annuler les virements. Trop tard. La majeure partie s’est déjà évaporée. Vérification faite, Jean-Yves Le Drian vient de passer deux jours à l’Assemblée nationale et au Sénat pour parler de « l’évolution de la menace terroriste ». Du reste, il ne connaît pas de Mme Mentzelopoulos, désolé. Elle manque de s’effondrer. La semaine suivante, elle dépose plainte auprès du procureur de Paris. Les enquêteurs font tout de suite le lien : le « faux Le Drian » vient à nouveau de frapper.

Ainsi commence une histoire vertigineuse, où la réalité semble plus folle que la fiction. On voyage des bas-fonds de Belleville aux couloirs feutrés des ministères, on saute d’une villa rococo près de Tel-Aviv à une geôle délabrée en Ukraine, on croise la compagne de François Hollande, des agents secrets foutraques, des conseillers diplomatiques en toc et de vrais mystificateurs débordant de créativité. Ni armes ni violence dans cette affaire, « juste une table, un ordinateur et un téléphone », comme l’a dit l’un des protagonistes durant son interrogatoire. « Vous devriez intituler votre article “Chutzpah” », nous ont soufflé plusieurs avocats du dossier sans se concerter. Chutzpah : un mot issu du yiddish, qui se prononce « routspa », pour désigner un culot monstre, une forme d’audace sans limites ni surmoi, et dont on ne sait jamais s’il exprime du dégoût ou de l’admiration – ou peut-être les deux.

Reprenons : quand les enquêteurs de la police judiciaire (PJ) enregistrent la déposition de Corinne Mentzelopoulos en avril 2016, cela fait huit mois qu’ils traquent le prétendu ministre de la défense. Les signalements se multiplient. Un jour, c’est Patrick Pouyanné, PDG de Total, qui indique avoir été sollicité pour verser plusieurs millions ; un autre, Mgr Barbarin, archevêque de Lyon ; le lendemain, voici Nicolas Hulot, futur ex-ministre de l’écologie. Au total, près de cent cinquante personnalités racontent avoir été approchées pour « aider la France dans un moment difficile ». À peine quelques-unes sont tombées dans le piège, mais le montant des sommes dérobées s’élève à 80 millions d’euros et le vrai ministre n’apprécie guère la plaisanterie : il a lui aussi discrètement porté plainte par l’intermédiaire de l’un de ses avocats, Me Delphine Meillet, spécialisée dans les questions d’usurpation d’identité. « On ne peut pas se faire passer pour moi, sinon, on va en prison », a-t-il confié en marge d’une réunion aux Nations unies au printemps. Il venait d’apprendre que les escrocs ne se contentaient plus d’imiter sa voix au télé­phone : ils empruntaient aussi son appa­rence, grâce à un masque en silicone plus ressemblant que nature, porté par leur chef lors de conversations vidéo sur Skype avec les victimes.

Mais qui peut avoir inventé un scénario pareil ? Durant des mois, les fins limiers de la PJ vont analyser la téléphonie, étudier les flux financiers, tenter de remonter la piste de l’argent de Slovaquie jusqu’en Chine. Sans succès. Le faux Le Drian et ses acolytes ont tout prévu : ils utilisent des numéros dits « passerelle », éphémères et impossibles à identifier, et font disparaître les virements dans un dédale de comptes exotiques. Ils sont rapides, efficaces, organisés en diable. Un nom revient pourtant dans les conversations des enquêteurs : Gilbert Chikli, alias « le beau Gilbert », 50 ans et des poussières, une légende de l’escroquerie. Un acteur né, bonimenteur de génie, capable de séduire un lampadaire s’il le faut. Après plusieurs condamnations en France, il a trouvé refuge à Ashdod, paisible cité portuaire au sud de Tel-Aviv. Et comme l’un des rares indices glanés est une adresse internet géolocalisée en Israël, le voilà sur la liste des suspects.

Chesnot/Getty Images

Plus jeune détenu de France

Il allume une énième cigarette, sourire en coin : « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? J’ai fait beaucoup de bêtises, mais jamais celles que l’on m’a reprochées. » C’était une après-midi d’octobre 2014, bien avant le début de l’affaire Le Drian. Gilbert Chikli nous recevait sur son yacht arrimé dans la marina d’Ashdod, au détour d’une enquête sur la fameuse arnaque à la taxe carbone. Promis juré, il n’avait rien à voir avec cette affaire. D’ailleurs, il le regrettait : « J’étais en prison à cette période, mais si j’avais été dehors, vous pouvez me croire, j’aurais fait un carnage. » Ce jour-là, il s’amuse, provoque, cabotine, répond à côté des questions, mais ses ellipses dessinent aussi un portrait, celui d’un joueur compulsif, accro à l’adrénaline et ivre de lui-même.

À la tombée de la nuit, il propose de poursuivre la conversation dans sa villa. Une poignée de jeunes originaires de France dînent à sa table. On a sorti les cartes pour une partie de scopa, la télé du salon est allumée sur le match entre Lille et Marseille, il y a des pâtes à la poutargue, et tout le monde écoute « Gilbert ». « J’ai encore plein d’idées, vous verrez », prévient-il en alignant les whiskys. À la fin du repas, il prétexte une dernière clope pour finir la discussion dehors. En fait, raconte-t-il à l’abri des regards, il supporte de moins en moins cette vie de fugitif : la mafia de l’Est serait sur son dos, deux types cagoulés ont arrosé son portail à l’arme automatique six mois plus tôt, il a fallu recruter un ancien militaire pour monter la garde. En plus, Paris lui manque, « les cafés, les copains, l’ambiance, quoi... » S’il n’était pas certain d’être arrêté dès le tarmac, il rentrerait par le premier avion. On a du mal à le croire ? Devant un tel scepticisme, il nous montre ce qu’il vient de planter dans le jardin : des mini-­réverbères en fer forgé, semblables à ceux des Grands Boulevards. « Ça peut vous sembler bizarre, reconnaît-il à voix basse. Mais moi, ça me rappelle ma jeunesse... »

Il est né à Paris en 1965, dans une famille juive exilée de Tunisie et installée à Belleville. Armand, le père, travaille comme ouvrier dans un garage. Angèle, la mère, s’occupe des cinq enfants. À la maison, il n’y a pas toujours assez pour dîner, mais dans ce monde où la honte est plus pénible que la misère, on fait parfois chauffer des marmites d’eau au cas où les voisins sonneraient à l’improviste.

Très vite, le petit Gilbert préfère la rue à l’école. Il a un visage d’ange, une voix de velours – qui ne lui ferait pas confiance ? À 13 ans, il réussit à convaincre un commerçant du quartier de lui acheter une voiture dont il n’a même pas la clé. La maréchaussée le retrouve et le voilà placé dans un centre pour mineurs. Il en tire un motif de fierté : « J’ai été le plus jeune détenu de France », aime-t-il répéter. Tout est bon pour entretenir la légende. Selon les versions, il aurait passé des années dans une pension catholique de la Drôme « où ça filait bien droit », quand il n’était pas à la tête d’un trafic de pneus soustraits dans l’atelier du paternel. Seule certitude : il ne désirait pas seulement s’en sortir, mais aussi briller, se faire un nom, et peu importe comment.

Au début des années 2000, après diverses condamnations pour des combines minables (un vol de cartes bancaires, du liquide piqué dans la caisse d’un magasin de cuir monté avec son frère dans les Yvelines), il a enfin trouvé sa voie : Internet. Puisque c’est la mode pour les jeunes HEC de lancer des startups, lui aussi va créer la sienne, mais à sa manière. Il fonde Mondial Négoce, une plateforme d’import-export, avec bureaux design et écrans plasma sur lesquels défilent des courbes sans queue ni tête. Sur le papier, il s’agit d’utiliser la magie du Web pour mettre en relation des PME françaises avec une myriade d’« acheteurs internationaux ». Ça sonne bien, c’est moderne, il y a toujours une sémillante assistante au côté du patron, tandis qu’une douzaine de commerciaux s’activent au télé­phone en arrière-plan. En réalité, tout ceci n’est qu’illusion et mise en scène : il n’y a pas l’ombre d’un acheteur à l’horizon et Mondial Négoce se contente de facturer des « frais techniques » bidon à ses clients, en moyenne 6 000 euros pour apposer un logo sur le site. Des dizaines d’entrepreneurs tombent dans le panneau. Gilbert Chikli, lui, est tranquille. Pour brouiller les pistes, il a recruté un aimable retraité dans le besoin comme homme de paille. Le temps que la brigade financière le retrouve, il s’est déjà réfugié à Ashdod où il a obtenu la nationalité israélienne. Et comme le pays a pour principe (partagé avec la France) de ne pas extrader ses ressortissants, il peut faire des longueurs de piscine sans s’inquiéter.

Tsafrir Abayov/AP/SIPA

L’arnaque au président

Le 7 juillet 2005, quatre kamikazes déclenchent leurs bombes dans les transports publics londoniens et font cinquante-deux morts et plus de sept cents blessés. Un an après l’attaque de Madrid, l’Europe plonge dans l’angoisse du terrorisme. Le ministre allemand des affaires étrangères exprime sa « profonde horreur ». Le président Jacques Chirac annonce « la totale solidarité de la France ». Même le pape ­Benoît XVI tente d’adresser un message aux commanditaires : « Au nom de Dieu, arrêtez ! » Attablé à une terrasse, Gilbert Chikli sirote un ­cocktail en regardant les éditions spéciales des chaînes d’informations.

Une idée lui vient alors. Le 25 juillet, il ­compose le numéro d’une agence parisienne de la Banque postale, rue des Capucines : « Jean-Claude Bailly, votre PDG, mettez-moi vite en communication avec la directrice. » On la lui passe. Il prend un ton affecté. Le groupe doit faire face à une terrible épreuve ; il ne peut pas tout expliquer au téléphone, mais un membre des « services secrets » va l’appeler. Il faudra suivre ses consignes à la lettre et surtout, n’en parler à personne. « Je compte sur vous », conclut-il avec gravité. Dix minutes plus tard, l’agent « Paul » est en ligne. Pour éviter les écoutes, il demande à la jeune femme de se rendre au premier bureau de tabac afin d’acheter un portable jetable. Elle obéit. À présent, il peut dévoiler la raison de son appel : les services ont décou­vert qu’un client de l’agence s’apprêtait à financer une opération terroriste. Silence. « Je sais, reprend-il, c’est pénible d’avoir été dupée comme ça, mais vous allez m’aider à l’arrêter. » Il raccroche sans prévenir, rappelle, prétexte « un test de sécurité » et ainsi de suite, à plusieurs reprises : « C’est la procédure. »

Le lendemain matin, il réveille la directrice sur les coups de sept heures : selon « une source sur le terrain », l’attentat est imminent. Il ne faut plus perdre une seconde. Elle fonce à l’agence, imprime la liste des principaux clients, la lit à voix haute. « Voilà, c’est lui, dit Paul en s’arrêtant sur un nom à consonance orientale. Ce salaud doit bientôt retirer 358 000 euros mais on va le prendre à son propre jeu. » Le plan : récupérer la somme avant son passage, placer des puces GPS dans les billets et les lui remettre comme si de rien n’était quand il viendra les réclamer. Il suffira ensuite de pister l’argent pour remonter jusqu’aux cerveaux. La directrice de l’agence ne peut pas refuser : son président compte sur elle, comme il l’a dit. Rendez-vous est fixé dans une brasserie, place de la Nation. À l’heure convenue, elle descend et s’enferme dans les toilettes, prononce le mot de passe « brevet », puis glisse un sac rempli de petites coupures par l’entrebâillement de la porte. Elle attend de longues minutes sur la lunette, le souffle court, transie d’appréhension. En principe, les agents doivent poser les traceurs et vite lui remettre le sac. Quand enfin elle comprend que personne ne reviendra, encore moins avec autant d’argent, Paul et ses amis sont déjà loin. L’arnaque au président est née.

Gilbert Chikli peut jubiler. Transformer un canular téléphonique en escroquerie internationale, lui seul en était capable. Les semaines suivantes, il ne cesse de parfaire son invention. Les remises de fonds en mains propres multiplient le risque d’être arrêté ? Il envoie désormais un RIB à ses victimes afin qu’elles virent elles-mêmes les sommes vers « un compte secret de la direction du rensei­gnement ». Autour de lui, une équipe d’experts se constitue : un génie de l’informatique se charge de fournir des adresses mail et des numéros indétectables ; un financier orchestre les transferts de fonds d’un pays à l’autre ; un troisième compile les profils de grands dirigeants pour échafauder le scénario. Seul le taulier passe les appels. Il faut le voir préparer son rôle comme un comédien un soir de première. Il s’isole dans son bureau, tamise la lumière, allume une Marlboro, se sert un fond de whisky, regarde la photo du patron qu’il s’apprête à jouer, puis se lance.

Accenture, Alcatel, Dassault Systèmes... Dès qu’il a trouvé une nouvelle proie, il ne la lâche plus. Il l’encourage, la galvanise, lui hurle dessus s’il le sent. Elle doit rester sous tension, ne jamais se poser de questions. N’a-t-elle pas été choisie pour accomplir la plus noble des missions, sauver le pays d’un péril imminent ? Elle mérite parfois un petit nom de code : « Plus vite, TZR8 ! Le terroriste va nous échapper », lance-t-il, très sérieux, pendant que ses complices, hallucinés, se retiennent d’éclater de rire. Entre juillet 2005 et décembre 2006, Chikli et sa bande vont ainsi dérober plus de 60 millions d’euros. Ça y est, il s’est fait un nom, du moins dans le Bottin mondain des aigrefins. Il donne des fêtes de nabab, dépense sans compter, couvre sa nouvelle compagne de cadeaux. On l’admire, on le jalouse. Des jeunes désœuvrés rêvent de lui ressembler, veulent « faire du président » comme ils diraient « faire de l’informatique ou de la finance ». Certains frappent à sa porte pour postuler, d’autres se lancent en solo. Ça ne marche pas à tous les coups mais à force, les apprentis s’améliorent. Toutes les grandes entreprises sont visées. Près de 800 millions d’euros sont ainsi détournés en trois ans, selon les enquêteurs. Il est temps de mettre un terme à cette mascarade.

En couv’ avec Julie Gayet

À quel moment l’hubris prend-elle le pas sur la chutzpah ? Par quel méca­nisme un escroc se laisse-t-il dépasser par son ego ? Le 15 mai 2006, Gilbert Chikli se rend au commissariat d’Ashkelon, au sud d’Ash­dod, pour y être entendu dans le cadre de l’affaire Mondial Négoce. A priori, il ne risque rien : on va lui poser des questions, il répondra des inepties et chacun repartira chez soi. Dans le couloir où il attend son audition, il croise un compatriote qui lui demande une cigarette. Celui-ci se prénomme Philippe, engage la conversation sur des sujets anodins, avant de dériver vers cette fameuse « arnaque au président » dont les médias commencent à faire leurs choux gras. « Oui, l’escroc est effectivement très fort, sourit Chikli. Mais pourquoi faudrait-il le condamner ? Ce sont les banques qui font n’importe quoi. – Enfin, les montants détournés sont quand même très importants... – Non, non, je n’ai quasiment rien ­touché. »

Il a n’a pas pu s’empêcher de dire « je » à un homme qu’il connaissait à peine. Et il continue de plus belle : le coup de la Banque postale, c’était lui. Au début, il avait fait ça « pour s’amuser », sans trop y croire, et « la naïveté des gens » l’avait convaincu de continuer. Un jour, il avait même expliqué à un important banquier que les espions éliminaient parfois leurs cibles avec des « fléchettes empoisonnées », et l’autre avait trouvé ça normal, presque rassurant. Il en rajoute, plastronne, va jusqu’à citer le nom de l’un de ses associés. À aucun moment, il ne demande à son interlocuteur ce qu’il fabrique ici. Dommage : « Philippe » est en réalité un officier de police judiciaire. Il vient de recueillir les aveux de Gilbert Chikli, qu’il s’empresse de transmettre à la juge d’instruction.

À présent, les magistrats français vont se démener pour obtenir son extradition. Pour convaincre les autorités israéliennes de déroger à leurs principes, ils présentent cette affaire comme un dossier de « lutte contre le terrorisme ». Et la formule fait son effet : début 2007, Gilbert Chikli est arrêté, incarcéré près de Jérusalem durant des mois, puis mis dans un avion pour la France. « À 99,99 %, je n’ai rien à voir avec ça », répète-t-il en arrivant à la prison de la Santé. Un an et demi plus tard, il accepte de réviser ce pourcentage à la baisse et reconnaît la plupart des faits reprochés. On le remet en liberté dans l’attente du procès, avec l’obligation de rester à Paris et de pointer chaque semaine au commissariat près de chez lui. Lors d’une nouvelle audition, il supplie la juge de lui délivrer une autorisation de sortie de territoire, pour voir ses jeunes enfants en Israël. Elle refuse. Il insiste. C’est niet. Il explose : « Je vais vous dire ce que vous êtes, madame : vous êtes un cancer. » Son avocat, David-Olivier Kaminski, réputé aussi pugnace que ses clients, tente de le calmer. Chikli hurle : « Si vous ne me donnez pas l’autorisation, je la prendrai moi-même ! » Quelques jours plus tard, il était de retour à Ashdod. Comment a-t-il réussi à se volatiliser malgré les contrôles de sécurité aux aéroports ? « Personne ne l’a jamais su », élude Me Kaminski.

En tout cas, le fugitif fourmille de projets et l’un d’eux, au moins, semble honnête : il veut raconter sa vie au cinéma. Un producteur l’en a convaincu avant sa détention et il avait commencé à travailler en cellule : chaque soir, il passait une heure au téléphone avec une romancière qui prenait des notes. Bon, elle a fini par abandonner parce qu’il lui fichait la trouille, mais un autre scénariste a été recruté et, lors de notre rencontre sur son yacht en 2014, le projet était sur les rails. Il fallait l’entendre parler du casting (« Je verrais bien José Garcia dans mon rôle ») ou de son amitié naissante avec Pascal Elbé (« Un grand réalisateur, vous verrez »). Là encore, le cinéaste finira par prendre ses distances, allant jusqu’à décrire Chikli comme « un type infréquentable à moitié fou », mais le film se fait. Le tournage a lieu en Israël, au mois de mars 2015. Vincent Elbaz joue le rôle principal et, surprise ! Julie Gayet, celui de son épouse. À l’époque, sa relation avec François Hollande a été révélée un an plus tôt et la retrouver ainsi dans une histoire d’« arnaque au président » ne manque pas de piquant. D’ailleurs, « le beau Gilbert » ne se prive pas de débarquer sur le plateau, en dépit d’un nouveau mandat d’arrêt international émis contre lui. Il salue les acteurs, distille des conseils, fait des selfies. Il donne même des interviews pour dire à quel point la justice française le « persécute injustement ». Un paparazzi rode, l’occasion est trop belle. Deux mois plus tard, Closer fait sa couverture sur Julie Gayet et Gilbert Chikli, avec ce titre : « Elle joue avec le feu... » À l’Élysée, c’est la consternation ; à Ashdod, la consécration.

Je compte sur vous sort le 30 décembre de la même année. C’est un échec. Les vingt premières minutes sont trépidantes, la mise en scène intelligente, mais on a du mal à s’attacher aux personnages. Pascal Elbé ne supportait plus son héros dans la vraie vie et ça se ressent à l’image : il peine à lui trouver de la profondeur, un semblant de complexité, y compris dans sa folie, et l’histoire tourne rapidement à vide. En réalité, le cinéaste est alors loin d’imaginer ce que prépare Chikli, et vers quels abîmes sa démesure va le précipiter.

Bande annonce

Bande annonce de « Je compte sur vous » de Pascal Elbé, avec Vincent Elbaz dans le rôle de Gilbert Chikli.

Closer, juin 2019

Le ministre en sous-sol

Trois mois à peine après le tournage, le 13 juillet 2015, les services du ministère de la défense tunisien reçoivent une télécopie signée Jean-Yves le Drian. La France réclame près de 20 millions d’euros pour l’achat de quatre hélicoptères de combat Tigre, avec un échéancier de paiements en pièce jointe. Suivent un contrat du fournisseur, Airbus Helicopters, et divers échanges d’e-mails entre l’administration tunisienne et le Quai d’Orsay sur les délais de livraison, les spécificités de la bête. Problème : Tunis n’a jamais commandé de Tigre. Les autorités vérifient auprès de leurs contacts français. Il s’agit bien de faux documents. Aucun euro ne sera versé, mais une enquête est confiée au parquet de Paris.

Quinze jours plus tard, ça recommence. Le président du Gabon, Ali Bongo, reçoit un appel du même Le Drian : la France propose de mener une « opération secrète » en contrepartie d’une somme d’argent. Combien ? 10 millions, précise « l’agent Paul » dans le mail qui suit, en transmettant le RIB d’un compte ouvert en Chine. Là encore, le cabinet du chef d’État gabonais prend soin d’entreprendre des vérifications auprès du ministère français et les choses en restent là. Mêmes tentatives en Centrafrique et au Congo, mêmes résultats.

Les escrocs décident de changer de cibles. Maintenant, place aux grandes entreprises. Le 30 novembre, la banquière Ariane de Rothschild est prévenue par son assistante : le ministre de la défense cherche à lui parler. Elle rappelle. Il lui demande de participer au financement des services de renseignement dans le monde, parce que l’État n’y arrive plus tout seul. « Très bien, rencontrons-nous, propose-t-elle, rusée.

– Ah non, il ne peut y avoir de contact direct entre nous, c’est trop dangereux. »

La conversation s’arrête là mais la technique commence à s’affiner.

Deux mois plus tard, un ancien préfet à la tête d’une association humanitaire est sollicité à son tour. Cette fois, il s’agit d’avancer une rançon de 50 millions d’euros destinée à la libération de deux journalistes détenus en Syrie. Des hélicoptères sont prêts à décoller pour livrer le premier versement de 3 millions. Le haut fonctionnaire hésite. Il demande une preuve écrite pour être couvert au cas où l’opération tournerait mal. On lui transmet une missive officielle. Bizarre : le logo de la république française et la signa­ture du ministre apparaissent sur un encart un brin coloré, comme si c’était un montage ; il y a des fautes d’orthographe du type « vos comptes seront crédité » ; et le ministre l’appelle par son nom, au lieu de lui donner du « M. le préfet », comme c’est l’usage. Il demande à le rencontrer. « Vous n’y pensez pas ? s’entend-il répondre. On est en période de crise, je suis en permanence en réunion !

– Et votre directeur de cabinet ?

– Il n’est pas au courant ! Bon, si c’est comme ça, on arrête tout. Vous déchirez les documents. D’autres seront bien heureux de rendre service à leur pays. Pas comme vous ! »

Là encore, la discussion se conclut là.

Il y aura ainsi des dizaines de ratés. Mais le faux ministre s’accroche. Il a remarqué que personne n’osait lui raccrocher au nez, même lorsqu’il réclamait plusieurs millions. Au contraire, il devinait une forme de fierté enfantine chez ses interlocuteurs, une légère bouffée de narcissisme. Il en est persuadé : avec un peu de persévérance, il finira par y arriver. La chutzpah, ça se travaille.

Le prince Aga Khan IV est le chef spirituel de quinze millions de chiites ismaéliens. Philanthrope, milliardaire, ce souverain sans État possède un inestimable haras à Gouvieux, à la lisière de la forêt de Chantilly. Le 1er mars 2016, il est justement au milieu de ses chevaux quand son plus proche conseiller le prévient : le ministre de la défense souhaite lui parler. « Prince, comment allez-vous ? » La mécanique est huilée : la Syrie, les otages, il faut faire vite, etc. Mais cette fois, miracle : l’Aga Khan se laisse embarquer jusqu’au bout. Il effectue quatre virements, pour plus de 18 millions d’euros, vers des comptes chinois. Seule l’intervention de son bras droit, intrigué de voir son altesse passer autant de temps au téléphone, permet de limiter les dégâts. Un dernier ordre de 5,8 millions d’euros est annulé in extremis. Quinze jours plus tard, la malheureuse Corinne Mentzelopoulos se fera duper à son tour.

Mais ces escrocs sont insatiables. Si on demande à voir le ministre, désormais on le verra. Son emploi du temps est certes très chargé, mais il peut vous recevoir quelques minutes avec l’application vidéo Skype. Le 31 mai 2016, le fondateur du groupe Sodexo, Pierre Bellon, voit ainsi apparaître un Jean-Yves Le Drian dans son écran d’ordinateur. Même front sans fin, mêmes lunettes rectangulaires. Deux drapeaux de la France et de l’Union européenne trônent à côté du bureau, sur lequel repose un antique téléphone à cadran. En arrière-plan, le portrait officiel du président Hollande. Le ministre s’excuse de la mauvaise connexion – « On est au sous-sol », dit-il sans rire –, glisse un mot de remerciement, avant de lui donner congé. Comment deviner qu’il s’agit d’un masque en silicone et d’un décor en carton-pâte ? Pierre Bellon verse 2 millions d’euros « pour aider la France ». Par bonheur, il en discute avec un ami qui a entendu parler de cette escroquerie. Le virement est finalement bloqué.

Pendant ce temps, les enquêteurs avancent : le mode opératoire, l’audace, l’adresse IP localisée en Israël, tout les ramène au pedigree de Gilbert Chikli. Mais cela pourrait être aussi bien l’un de ses émules, tant ces derniers ont essaimé depuis l’escroquerie au président.

Par chance, plusieurs victimes ont eu la bonne idée d’enregistrer leur conversation avec le ministre. Le juge d’instruction ordonne une expertise afin de ­comparer la voix avec celle des interviews accordées par le principal suspect durant la promotion de son film. « La respiration bruyante, le ton péremptoire, la vitesse d’articulation particulièrement rapide, l’utilisation de marqueurs de discours employés massivement pour ponctuer inconsciemment ses phrases avec une préférence pour “écoutez, voilà, alors, bon, bah”, sont des caractéristiques récurrentes dans l’ensemble des enregistrements », notent les linguistes. En conclusion, ils estiment « très probable » que les deux hommes soient une seule et unique personne. Encore faut-il obtenir son extradition.

Un Macron en silicone

Qui a donné le tuyau ? Un indic’ infiltré dans son entourage ? Ou les autorités israéliennes désireuses d’apaiser les relations avec la France ? Le 14 août 2017, les enquêteurs apprennent que Gilbert Chikli vient de décoller de Tel-Aviv pour Kiev muni d’un passeport au nom de « Rai Nassim Chelly Chekkli ». Ils alertent leurs contacts sur place. Quatre jours plus tard, à 16 h 50 précises, les services secrets ukrainiens interviennent. La scène est filmée. Deux véhicules banalisés encadrent puis arrêtent un taxi sur l’autoroute d’Odessa, les forces spéciales se précipitent sur les deux passagers. Gilbert Chikli n’oppose aucune résistance, se contente de présenter ses faux papiers. L’autre est plaqué au sol, menotté, visage écrasé sur le bitume. Il s’appelle Anthony Lasarevitch, a 32 ans à peine et lui aussi est en cavale, sous le coup d’un mandat d’arrêt international depuis une affaire d’arnaque au président en 2011. Il se défend, explique que c’est un malentendu, qu’il était en route pour la ville d’Ouman, afin de se recueillir sur la tombe du grand rabbin Nahman de Bratslav, comme des milliers de croyants chaque année. Mais les policiers ne sont pas d’humeur à parler hassidisme : allez hop, au trou.

Les conditions de détention à Lukyanivska sont insoutenables. C’est l’une des prisons les plus délabrées du pays, la plus dangereuse aussi. Il y a du sang sur le sol, des traces d’excréments aux murs et cette odeur de soufre qui ne vous lâche pas. On s’entasse à près de trente par cellule. Dans la chaleur du mois d’août, la plupart des détenus se promènent torse nu, certains exhibent des croix gammées tatouées sur le dos. On se fait suriner pour un mauvais regard et les gardiens n’interviennent pas.

Dès leur arrivée, les deux « Fran­cuski » sont conduits vers le chef de la mafia : il accepte de les prendre sous sa protection, à condition qu’ils paient. Pas le choix. Mais dès la nuit suivante, on les réveille pour les amener vers un autre chef, dans un nouveau bâtiment. Même scénario : pour rester en vie, il va falloir se montrer généreux. Le bruit a couru que ces deux-là ont volé des millions d’euros. Ils ont alors « l’impression d’être une tire­lire en porcelaine posée au milieu d’un enclos d’éléphants », comme le constate Ludovic Elbaz, l’avocat d’Anthony Lasarevitch, venu le défendre en Ukraine.

Et pourtant : même enfermés dans une cage aux lions, les deux hommes trouvent encore le moyen de la jouer grands princes. Ils embrouillent, envoûtent, marchent sur un fil. Un soir, ils réussissent à envoyer une vidéo à leurs proches afin de les rassurer : on les voit à moitié ivres, en train d’aligner les shots de vodka dans une geôle défoncée. « À notre sortie et à nos millions ! lance Chikli au moment de trinquer. J’emmerde la justice française ! Je vous baise ! Je ne viendrai pas et si je viens, je vous baise quand même. » Une autre fois, il pose à côté d’un réfri­gé­ra­teur flambant neuf : « Voici mon achat du jour, j’ai pris un Frigidaire pour qu’on puisse avoir des entrecôtes. Fuck you pour ceux qui pensaient qu’on était mal. » Il conclut, royal : « On est des patrons, on restera des patrons. » Me Elbaz préfère en sourire : « Là encore, c’était de la mise en scène. Ils sont passés devant un Frigidaire destiné au directeur de la prison et ils ont inventé une histoire. En réalité, on faisait le maximum pour accélérer la procédure d’extradition vers la France et les sortir au plus vite de cet enfer. » Les deux hommes sont placés dans un avion vers Roissy trois mois plus tard. Devant les policiers qui l’escortent, Gilbert Chikli laisse enfin percer un léger soulagement : « En fait, je suis content de quitter un pays très difficile et très corrompu. »

En revanche, les indices s’accumulent contre lui. Sur son iPhone, les enquêteurs ont découvert les recherches qu’il a tapées sur Google peu avant son arrestation : « masque visage », « masque silicone de sosie Kiev »... Aurait-il organisé ce périple en Ukraine pour compléter sa collection ? Les conversations WhatsApp retrouvées dans le téléphone de son compagnon de voyage appuient cette hypothèse. Il y parle techniques de moulage, différence entre silicone et latex, quand il n’échange pas avec un mystérieux correspondant des photos de nouveaux modèles comme François Hollande, Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen. Dans une autre discussion, il s’agace de la mauvaise qualité du masque à l’effigie du prince Albert de Monaco : « Envoie ça au mec et dis-lui que c’est une catastrophe, écrit-il. C’est pas du tout ce qu’on voulait. Avec ça, on ne peut rien faire ! Faut lui dire de faire une copie conforme ! » Le Macron en silicone, à l’inverse, le met en joie : « Envoie la photo au mec. Dis-lui qu’on a besoin de ça. C’est parfait. T’as trouvé le truc parfait ! »

Il en faudrait quand même un peu plus pour déstabiliser Gilbert Chikli. Malgré les conclusions des experts, il se pose en victime innocente. Il choisit même un nouvel avocat, Jean-Marc Fédida, réputé pour avoir obtenu un acquittement spectaculaire dans l’affaire de l’escroquerie au CO2. Chacune des auditions devant le juge ressemble à une pièce de théâtre. Le 20 mars 2018, confronté au contenu de son téléphone, Chikli demande au magistrat s’il ne s’est pas trompé d’iPhone : « C’est bien le rose que vous aviez ? » Puis il fait mine de s’étonner : « Ce que je peux vous dire, c’est que je suis totalement étranger à ces affaires. Je suis choqué et époustouflé de savoir qu’on m’accuse de quelque chose. » Le 11 juillet, après plusieurs questions formelles, il se lève, grandiloquent : « Vous n’êtes qu’un voyou, lance-t-il au juge. Tout le monde sait que je suis innocent, tout le monde connaît le véri­table coupable. » Avant de conclure, comme s’il était sur scène : « Policiers, remettez-moi les menottes ! »

Embrouilles et rigolades

Oscar Wilde écrivait : « L’homme est moins lui-même quand il est sincère. Donnez-lui un masque et il dira la vérité. » Le temps a passé et cette affaire n’a pas encore tout livré. Quelle était la répartition des rôles entre les complices ? Où sont les 80 millions d’euros évaporés ? Combien d’équipes se sont créées dans la foulée pour « faire du Le Drian » ? Le 26 février, trois jeunes Français ont été arrêtés après avoir dérobé 8 millions d’euros selon le même mode opératoire. Lors d’une écoute réalisée dans sa cellule de Fleury-Mérogis, Gilbert Chikli confiait d’ailleurs son désarroi à un ami : « Ils pensent que je suis à la tête de tout ça. Ils n’ont pas compris que ce sont plusieurs groupes qui n’ont absolument rien à voir avec moi. »

Son procès devrait avoir lieu au début de l’année 2020. Il encourt jusqu’à dix ans de prison. Lors de notre entretien cinq ans plus tôt, il avait glissé ces paroles prémonitoires : « Moi, vous savez, je n’ai jamais tué personne. Ce n’est qu’une histoire d’astuces, d’embrouilles, de rigolades. Et à chaque fois, on me le fait payer cher. » Le prix de la chutzpah.

Gilbert Chikli filmé en train de porter un toast, un verre de vodka à la main, à «  ses millions  » avec son codétenu en Ukraine