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Climat

Crues au nord, assèchement au sud : la crise climatique dérègle déjà nos rivières

Une étude internationale conduite sur 50 ans montre qu’à cause du changement climatique, le nord de la Loire pourrait connaitre des crues plus intenses, tandis que le sud verra ses cours d’eau asséchés. La solution ? « Bannir les solutions de bétonisation et d’artificialisation des cours d’eau. »

Des crues plus intenses au nord de la Loire et des rivières moins tumultueuses au sud. Plus de doute, « le changement climatique altère le régime des crues ». C’est la conclusion inédite d’une étude internationale publiée fin août dans la revue Nature, intitulée Changing climate both increases and decreases European river floods, soit Le changement climatique augmente et diminue à la fois les crues des rivières européennes.

Jusqu’à présent, les scientifiques n’étaient pas parvenus à déterminer de lien entre dérèglement du climat et intensité des crues. En cause, d’après Éric Sauquet, hydrologue à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) et co-auteur de l’étude, des bases de données éparses et la difficulté du travail de terrain. « Évaluer un débit d’eau n’est pas simple, explique-t-il. Il s’agit de mesurer une hauteur d’eau, en prenant en compte la géométrie de la rivière, la vitesse du courant et de nombreux paramètres qui compliquent l’analyse. »

Les données de 3.700 stations hydrométriques en Europe, sur une période de 50 ans, ont été analysées

Trente-cinq groupes de recherche européens ont donc joint leurs forces afin d’analyser les données de 3.700 stations hydrométriques — des dispositifs de mesure installés sur un cours d’eau — en Europe sur une période de 50 ans, de 1960 à 2010. L’objectif, précise M. Sauquet, est de « regarder dans le passé les grandes tendances », afin de mieux comprendre ce qui nous attend.

Premier enseignement : le régime des cours d’eau est d’ores et déjà bouleversé. « En Europe centrale et dans le nord-ouest, le débit des crues augmente du fait d’une hausse des précipitations et d’une humidité accrue des sols, indique l’IRSTEA dans un communiqué présentant l’étude. À l’inverse, l’amplitude des crues diminue dans le sud de l’Europe car le changement climatique induit une diminution des précipitations et une augmentation des températures, causant une hausse de l’évaporation dans les sols. » En France, on retrouve ce découpage, de part et d’autre de la Loire. L’ampleur du changement est d’ailleurs conséquente : en 50 ans, on constate, d’un côté, une diminution du niveau des crues jusqu’à 23 %, et de l’autre, une augmentation jusqu’à 11 %.

Il y a un découpage de part et d’autre de la Loire : en 50 ans, on constate, d’un côté, une diminution du niveau des crues jusqu’à 23 %, et de l’autre, une augmentation jusqu’à 11 %.

« Les évolutions observées ne sont pas uniquement dues à la hausse des températures », précise Éric Sauquet, citant également l’aménagement des rivières ou la construction de barrages comme causes possibles des crues. Pour autant, les chercheurs pointent le changement climatique comme « facteur décisif ». Ce qui ne laisse rien présager de bon.

« L’effet principal du changement climatique se ressentira principalement sur les cours d’eau de montagne, dans les Alpes et dans les Pyrénées »

Dans les prochaines décennies, le nord du pays pourrait ainsi connaître des crues plus intenses, et donc des inondations plus importantes, tandis que le sud verrait ses cours d’eau asséchés. Mais « l’effet principal du changement climatique se ressentira principalement sur les cours d’eau de montagne, dans les Alpes et dans les Pyrénées, précise Eric Sauquet. La neige va fortement diminuer et donc sa contribution aux débits des rivières. »

Ces modifications vont de pair avec une diminution générale des débits moyens sur les cours d’eau français, qui pourrait atteindre 40 % dans les régions Seine-Normandie et Adour-Garonne.

Comment peut-on avoir en même temps des débits plus faibles et des crues plus intenses ? « Tout n’est pas linéaire, explique M. Sauquet. Le dérèglement climatique entraine des climats et donc des régimes beaucoup plus contrastés, avec à la fois des étiages plus sévères, des écoulements plus faibles mais aussi des périodes plus humides. L’augmentation des températures, de + 2° ou + 3° C, ne se répartit pas de manière uniforme, on aura des contrastes saisonniers, qui se retrouvent sur les débits des cours d’eau. »

Les chercheurs ont constaté une augmentation des débits de crue dans le nord-ouest de l’Europe alors qu’ils diminuent dans le sud et l’est de l’Europe.

De plus, certaines variables pourraient encore complexifier les prévisions. « Les crues des petits cours d’eau et le risque d’inondation par ruissellement peuvent être plus importants à cause de l’augmentation de la fréquence des orages », note ainsi l’Irstea. Or des scientifiques ont déjà montré que les épisodes de pluies extrêmes devraient s’intensifier avec le changement climatique.

Sans oublier l’imperméabilisation croissante des sols, via la bétonisation, qui « augmente le transfert d’eau vers les rivières, puisque le sol ne joue plus son rôle de réservoir temporaire », souligne Éric Sauquet. Les opérations de recalibrage des cours d’eau — telle la construction de digues — en perturbant le lien entre les rivières et les nappes, accentuent également les risques d’inondation.

Pour le chercheur, l’essentiel reste désormais de « ne pas augmenter notre vulnérabilité ». Il s’agit de « mieux connaître l’aléa pour mieux anticiper », de « bannir les solutions de bétonisation et d’artificialisation des cours d’eau et coopérer avec la nature ». Et surtout d’arrêter « de construire n’importe où », notamment près des cours d’eau.

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