Alors que Justin Trudeau promet de planter deux milliards d’arbres et que François Legault veut lutter contre les changements climatiques au moyen de l’exploitation forestière, une controverse scientifique sur le sujet fait rage. Une soixantaine de chercheurs ont critiqué hier une étude qui proposait l’été dernier de planter des milliards d’arbres pour ralentir le réchauffement de la planète, estimant qu’elle surévalue les conséquences de cette mesure.

20 ans d’émissions… ou 4 ans ?

Planter des arbres ne ralentira pas beaucoup le réchauffement de la planète, selon six critiques publiées hier dans la revue Science par une soixantaine de chercheurs. Leurs auteurs attaquent une étude européenne publiée en juillet dans la même revue, qui concluait que cette stratégie permettrait de retirer autant de CO2 de l’atmosphère que l’humanité en émet en 20 ans. L’étude de juillet a modélisé l’ensemble de la planète, à partir de 79 000 photos satellites, pour repérer les endroits où des arbres peuvent pousser. Ensuite, les chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) ont écarté les zones urbaines et comparé la couverture forestière potentielle à ce qui existe en ce moment.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Les auteurs des critiques attaquent dans Science une étude européenne publiée en juillet dans la même revue, qui concluait que le fait de planter des arbres permettrait de retirer autant de CO2 de l’atmosphère que l’humanité en émet en 20 ans.

Savanes et tourbières

« Selon nos calculs, l’effet est cinq fois moins important que ne le concluait l’étude de juillet », affirme Julie Aleman, biologiste de l’Université de Montréal et de l’Université A & M du Texas, qui fait partie des 46 signataires de l’une des six critiques. Grosso modo, quatre lacunes de l’étude de juillet sont soulignées : elle sous-estime la quantité de carbone déjà présente dans les sites où il y aurait de la reforestation ; elle envisage de transformer en forêts des écosystèmes précieux comme des savanes ou des tourbières ; elle ne tient pas compte de la présence de villes et de villages qu’on ne peut transformer en forêts ; elle ne tient pas compte de l’« effet albédo », soit la capacité de la neige à réfléchir les rayons du soleil, qui est perdue si des arbres remplacent des prairies dans les latitudes nordiques.

Îlots de chaleur et feux contrôlés

L’auteur principal de l’étude de juillet, Jean-François Bastin de l’EPFZ répond que les savanes et écosystèmes nordiques proposés pour la reforestation sont déjà naturellement en train de devenir des forêts, tout comme les régions boréales où survient l’effet albédo. M. Bastin explique que l’étude ne prévoit pas le remplacement complet des savanes par des forêts, seulement une augmentation à 10 % ou 20 % de la frondaison des arbres – certaines savanes seraient préservées. Au sujet des villes rurales transformées en forêts, M. Bastin reconnaît que d’autres sources de données cartographiques peuvent être utilisées, mais il souligne que son étude n’a pas tenu compte de la plantation d’arbres dans les régions agricoles et les grandes villes, par exemple pour créer des îlots de fraîcheur. Dans une réponse aux six critiques, aussi publiée dans Science, il détaille davantage ses calculs pour répondre notamment au reproche d’avoir sous-estimé la quantité de carbone déjà présente dans les sites proposés pour la reforestation. Mme Aleman souligne que dans le cas des savanes, leur protection au moyen de feux contrôlés ou l’introduction d’herbivores répond à un morcellement dû à l’activité humaine. Une telle gestion des prairies a notamment cours en Saskatchewan, selon Mme Aleman.

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Un communiqué accompagnant l’étude dont Mme Aleman est cosignataire souligne que le laboratoire de l’EPFZ reçoit du financement d’un groupe néerlandais vendant des crédits carbone, notamment pour la reforestation.

Financement

Un communiqué accompagnant l’étude dont Mme Aleman est cosignataire souligne que le laboratoire de l’EPFZ reçoit du financement d’un groupe néerlandais vendant des crédits carbone, notamment pour la reforestation. M. Bastin répond qu’il a commencé son analyse alors qu’il travaillait à la FAO, l’organisme de l’ONU qui étudie l’alimentation et l’agriculture.

Plus de biodiversité au Québec

Les changements climatiques augmentent la biodiversité au Québec, particulièrement dans le golfe et le Saint-Laurent, selon une vaste étude internationale à laquelle participe un biologiste de l’Université McGill. « Nous avons fait des évaluations locales de l’évolution récente de la biodiversité, parce que c’est ce qui est le plus important pour la population », explique Andrew Gonzalez qui publiait aussi ses résultats hier dans la revue Science. « Certaines régions, la plupart, ont une biodiversité moindre, mais dans quelques cas, elle est plus grande. C’est le cas au Québec, qui jusque dans les années 60 a été relativement épargné par l’impact des changements climatiques. Plusieurs espèces ont migré depuis les États-Unis. » Il cite le cardinal rouge, le dindon, les souris à pattes blanches porteuses des tiques responsables de la maladie de Lyme ainsi que a baleine noire de l’Atlantique Nord. 

Quelques repères

205 gigatonnes d’équivalent carbone : quantité de CO2 qui serait éliminée si des arbres recouvraient toutes les régions du monde où ils peuvent pousser, selon l’étude de Science parue en juillet

140 gigatonnes d’équivalent carbone : quantité de CO2 qui serait éliminée si des arbres recouvraient toutes les régions du monde où ils peuvent pousser, selon les critiques de l’étude de Science parue en juillet

Source : Science