Au Kurdistan, le «trouble» de Jean-Yves Le Drian

Le retrait militaire américain ordonné par Trump jette un immense froid dans la relation entre la France et les Etats-Unis. En déplacement à Erbil, le patron du Quai d’Orsay est venu dire sa solidarité aux Kurdes d’Irak.

 Le ministre des Affaires étrangères dans la « Maison des hôtes » d’Erbil, aux côtés de Netchirvan Barzani, le président du Kurdistan irakien.
Le ministre des Affaires étrangères dans la « Maison des hôtes » d’Erbil, aux côtés de Netchirvan Barzani, le président du Kurdistan irakien. AFP/Safin Hamed

    Drôles d'alliés. Les canaux de communication cryptés entre les officiels français et américains ont beau être légion, c'est par la presse que Jean-Yves Le Drian a appris, jeudi soir, l'accord conclu entre Ankara et Washington pour créer une « zone de sécurité » au nord-est de la Syrie, ainsi que l'existence d'un cessez-le-feu entre forces kurdes et turques, le premier depuis le déclenchement de l'opération « Source de paix », mercredi dernier, par le Turc Recep Tayyip Erdogan.

    Le ministre des Affaires étrangères se trouve alors dans la « Maison des hôtes » d'Erbil, aux côtés de Netchirvan Barzani, le président du Kurdistan irakien. Il est venu exprimer son soutien à « tous les Kurdes », ceux qui ont aidé la France à réduire à néant les ambitions territoriales de Daech. Il est venu dire son inquiétude aussi, et entendre celle de ses partenaires sur la possible résurgence du groupe terroriste. Les cartes sont rebattues dans la région, y compris pour l'Etat islamique, susceptible de renaître à la faveur de l'offensive militaire turque autant que du retrait des troupes américaines de la région.

    Donald Trump plonge la France dans une situation inextricable

    En annonçant que ses « boys » rentraient au pays — même s'ils ont, à ce stade, seulement été partiellement redéployés dans la région — Donald Trump plonge la France dans une situation inextricable. Sur le terrain, les militaires français sont en effet dépendants de leurs alliés américains, de leurs moyens de surveillance, de leurs hélicoptères. Ils n'ont d'autre choix que de laisser leurs frères d'armes kurdes, se replier pour quitter ce champ de bataille où les commandos français pourchassaient des gros calibres de l'EI.

    Pourtant l'imprévisible hôte de la Maison Blanche n'a même pas pris la peine de prévenir son homologue. « J'ai découvert par tweet que les États-Unis décidaient de retirer leurs troupes et de libérer la zone, comme tout le monde », a raconté Emmanuel Macron, à Bruxelles, à l'issue du Sommet européen qui s'est conclu vendredi.

    La manière n'est pas exactement conforme aux usages diplomatiques. Question de courtoisie, bien sûr, mais aussi et surtout de coopération sur des enjeux stratégiques. Ce n'est pas tout à fait une surprise de la part du chef de la première puissance militaire du monde, mais ses manières ont de quoi sidérer dans les rangs français.

    De l'humour pour conjurer une situation dramatique

    A Erbil, les Kurdes, eux, sont désabusés et inquiets du sort de leurs cousins syriens. Les réfugiés commencent à affluer. Au désespoir, ils préfèrent l'ironie. Trump leur a reproché de ne pas être aux côtés des Américains lors du débarquement de Normandie, en juin 1944? « On était à Pearl Harbor! », raille Massoud Barzani, sur qui les Français se sont appuyés pour lutter contre Daech dès 2015. Face à lui, Jean-Yves Le Drian lui répond sur le même thème : « Vous n'étiez pas avec nous pour Vercingétorix! » De l'humour pour conjurer une situation dramatique, qui interroge sur la force des liens forgés sur tant de champs de bataille par le passé.

    Les Etats-Unis sont-ils encore les alliés de la France ? « Oui, bien sûr, mais ce qui me choque, c'est que nous sommes partis dans une coalition contre Daech. Le combat contre les djihadistes n'est pas achevé et oui, il y a des interrogations sur la pérennité de cette coalition », esquive le ministre des Affaires étrangères. Il ne cesse d'appeler, depuis huit jours, à la tenue d'une réunion de la coalition internationale pour mettre à plat les objectifs de chacun et, peut-être, en redéfinir les contours.

    Que reste-t-il de la relation transatlantique fondée sur le leadership américain et la solidarité entre ses membres ? « J'avoue qu'il y a un trouble réel », assure Jean-Yves Le Drian. Que faire alors, pour s'adapter à cette nouvelle donne ? « On joue notre place, notre force, notre capacité à gérer des crises », s'inquiète le patron du Quai d'Orsay. « Les 120 heures de cessez-le-feu (NDLR : depuis jeudi soir) se termineront juste au moment de la rencontre entre Erdogan et Vladimir Poutine (NDLR : mardi). Ce n'est sans doute pas un hasard du calendrier », s'interroge-t-il. Un signe de plus que face à la versatilité de Trump, la constance du Kremlin a fini par payer…