Marseille : des détenus revisitent Pagnol aux Baumettes

Après Arles, "Marius", d'après Marcel Pagnol, est joué aux Baumettes.

Après Arles, "Marius", d'après Marcel Pagnol, est joué aux Baumettes.

Photo Christophe Loiseau

Marseille

Un spectacle unique mis en scène par Joël Pommerat

Aux personnages de Marcel Pagnol, ils ont apporté beaucoup d'eux-mêmes. Une nervosité très contemporaine, des accents qui varient, des phrasés particuliers et une tension qui rend vibrant le face-à-face entre ce père et ce fils qui se déchirent, et incandescente l'histoire d'amour qui s'effiloche sous nos yeux. Pour cette pièce, Marius, jouée par des détenus de la Maison Centrale d'Arles, le metteur en scène Joël Pommerat a travaillé sur l'invisible, la fluidité, la vérité.

Et hier, dans un ancien atelier des Baumettes historiques transformé en salle de spectacles, cette sincérité a rendu le spectacle bouleversant. Dans le public, les familles des personnes détenues, des personnels pénitentiaires d'Arles et de Marseille, des représentants des tutelles, quelques invités.

Lorsque la musique hypnotique du Spacer de Sheila retentit, on découvre le décor : un bar boulangerie un peu défraîchi dans lequel se débattent dans leurs sentiments contradictoires et volcaniques, César (Jean Ruimi), Marius (Michel Chirouse dit Mich du 13), Panisse (Sébastien Ancelot dit Galynette), Paul Brun (Pascal Chazel), un client (Gianluca Namane), Fanny (Elise Douyère), Pickoiseau (Cédric Luste), Escartefigues (M.W.). Si on est loin d'un jeu classique, pour ne pas dire stéréotypé, on est vite emporté par un élan étrange qui tient parfois du miracle et rend ce travail épatant.

"Le fruit d'une aventure qui a commencé il y a presque cinq"

La pièce, qui traite des choix que l'on fait pour orienter sa vie, résonne là d'une façon toute singulière. "C'est le fruit d'une aventure qui a commencé il y a presque cinq ans, explique le metteur en scène. Il y a eu un travail d'improvisation pendant lequel on est parti librement à l'aventure. À partir de ce matériau et des séances de travail qui ont duré plusieurs mois, on s'est mis à écrire en se demandant comment retrouver la vérité. L'idée est de rester fidèle à l'ossature narrative, en gardant cette fraîcheur et en développant un travail sur les émotions". Joël Pommerat l'admet, il y a eu aussi des rencontres entre un rôle et une personnalité, "ce qui se passe là est formidable". C'est le cas pour Marius, César, Panisse notamment, la décontraction de ce dernier restant un sujet d'étonnement.

Autre intérêt de la démarche soutenue par La Criée, rien n'a fait baisser le niveau d'exigence de Joël Pommerat : "Il faut être patient mais ce n'est que comme ça que c'est intéressant même si je ne veux pas écarter la notion de divertissement. Tous ont été réceptifs à cette exigence, il y a même eu une demande de leur part..." Pour l'administration pénitentiaire et les services qu'elle anime, cette synergie des bonnes volontés est encourageante. Pour les acteurs, l'expérience est précieuse. "C'est galvanisant d'entendre les applaudissements", dira Mich du 13 pour qui le théâtre agit comme un "révélateur" : "Dehors, je n'y avais jamais eu accès." Idem pour Galynette qui a bâti son projet de réinsertion autour de la pratique d'acteur. Pour Jean Ruimi, le théâtre, "par sa puissance aide à s'exprimer, à réfléchir". Lui rêve d'un autre projet qui combinerait présence des détenus et des surveillants, une piste pour l'avenir.