L'avenir du Maroc est-il en Afrique subsaharienne ?

L'avenir du Maroc est-il en Afrique subsaharienne ?
Le roi du Maroc Mohammed VI en visite en Côte d'Ivoire (AFP/ISSOUF SANOGO)

Tournée africaine de Mohamed VI, volet africain du dernier plan industriel, point central du dernier sommet sur la lutte contre le terrorisme à Rabat... le Maroc se tourne vers le Sud.

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Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Mali… le roi Mohamed VI a multiplié ces dernières semaines les séjours dans les pays d’Afrique subsaharienne. But affirmé : tourner le Maroc vers le sud. Un virage déjà amorcé il y a dix ans, dont il compte accélérer la cadence dans les mois qui viennent. A tel point que ce mouvement était y compris présent, mercredi 2 avril, dans le plan industriel présenté en grande pompe par le ministre de l’industrie Moulay Hafid Elalamy.

Impossible d'aborder le sujet à Casablanca sans entendre cette référence à Hassan II qui décrivait le Maroc comme un arbre dont "les racines poussent en Afrique et le feuillage s'épanouit en Europe".

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Aujourd'hui, dans l’impossibilité d’interagir économiquement avec son voisin algérien à l'Est – les deux pays ne parviennent pas à surmonter leurs différents depuis des années – et bordé par l’Océan atlantique à l’Ouest, il ne restait guère de choix au Maroc que de se tourner vers le Sud pour faire rentrer un peu d’air dans son économie.

Et, à en croire les acteurs économiques et politiques à Casablanca, le mouvement va nettement s’accélérer dans les mois et années à venir. Menée par un nouveau ministre de l’industrie à l’énergie débordante, homme d’affaires tourné vers l’Afrique sub-saharienne et ancien patron des patrons marocain, l’affaire semble pliée ! "Je n’ai pas l’habitude de m’arrêter au stade de la réflexion. On n’établit pas des plans pour ensuite admirer leur subtilité, mais pour les appliquer. C’est ce que nous allons faire", confiait Moulay Hafid Elalamy à la veille de la présentation au roi Mohamed VI du plan industriel du pays dont "l’amplification vers la vocation africaine" du Maroc est partie intégrante.

Un esprit "gagnant-gagnant"

Plusieurs secteurs sont déjà concernés par ce mouvement vers le sud : banques, immobiliers, télécoms, mines. "Le Maroc arrive sur les marchés africains dans un esprit "gagnant-gagnant", pas en colonisateur", explique le directeur général de la Bourse de Casablanca Karim Hajji. "Et cela séduit sur place. Nous voulons des partenariats dans lesquels le potentiel et l'intelligence de chacune des parties puissent servir l'autre". Le Maroc et le Gabon viennent d'ailleurs d'appuyer un partenariat entre l’Office chérifien des phosphates, l'un des plus gros exportateurs de phosphates brut et d'engrais du monde, et le Gabon, grand producteur de souffre et d'ammoniac. Objectif : produire 2 millions de tonnes d’engrais par an dès 2018. Un accord obtenu au bout de six voyages de Mohamed VI au Gabon depuis son arrivée au pouvoir. "Le Maroc est le deuxième investisseur sur le continent africain. Notre développement naturel est l'Afrique. Et nous devons désormais accompagner les opérateurs marocains dans cette dynamique", explique le ministre Elalamy. Lui-même reconnaît "la difficulté de la tâche" mais souligne aussi "l'immensité des possibilités".

L'Afrique, qui fait figure d'eldorado mondial grâce à ses richesses en matières premières et sa main d'œuvre bon marché, ne représente en fait aujourd'hui que 2,5% des échanges commerciaux du Maroc .

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Réticences à Alger

Mais un développement en Afrique n'est pas du goût de tous. En particulier des Algériens qui voient d'un mauvais œil que son rival prenne une dimension régionale. "Le Maroc ne va tout de même pas se croiser les bras en attendant un possible partenaire marocain ?", souligne le directeur général de la Bourse de Casablanca Karim Hajji. "C'est une honte de voir le Maghreb être la région du monde la moins intégrée : 3% seulement. Nous avons tenté à de nombreuses reprises d'échanger davantage avec l'Algérie, malheureusement en vain. Se tourner vers l'Afrique est donc la solution pour nous."

Quant à la réaction de la France, elle peut être double : voir dans le Maroc un rival ou un partenaire dans sa sphère africaine. L'ambition affichée de Rabat est de devenir un "hub" pour les investisseurs européens et américains en Afrique en faisant notamment jouer ses accords de libre-échange. "Il y a un désamour du monde économique africain vis-à-vis de la France", explique Moulay Hafid Elalamy. "Nous pouvons être ce trait d'union entre les entreprises françaises et plus largement européennes et l'Afrique, les accompagner dans leur business : nous avons les compétences, les réseaux et la confiance de nos partenaires africains pour cela".

Mohammed VI a d'ailleurs été très clair dans son discours à Abidjan lors de sa dernière visite d'Etat : "Le Maroc est prêt", a-t-il dit, "à mettre au service des pays africains frères le capital de crédibilité et de confiance dont il jouit auprès de ses partenaires".

Retombées sécuritaires

En outre, Rabat pense aussi aux questions sécuritaires dans ce tournant vers le Sud. Hasard de calendrier, débutait également mercredi à Rabat le Forum global sur la lutte contre le terrorisme. Et le message du Maroc a été très clair sur cette occasion. Ils ont fixé une nécessité, celle de porter un intérêt particulier à la sécurité en Afrique. Pour le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita, "l'Afrique doit être au cœur de la stratégie du Forum sur la lutte contre le terrorisme". Le continent a en effet besoin, non seulement d'être accompagné pour son développement, mais aussi pour "la sauvegarde de sa stabilité", a-t-il souligné. Un domaine où le développement économique peut aussi aider.

A Casablanca, Céline Lussato – Le Nouvel Observateur 

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