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Les politiques migratoires européennes créent du populisme en Afrique, sans limiter les départs clandestins

Dans un rapport, le PNUD estime ces politiques inefficaces et contre-productives et dénonce une instrumentalisation politique de l’Aide au développement

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Publié le 21 octobre 2019 à 06h00, modifié le 21 octobre 2019 à 10h41

Temps de Lecture 5 min.

Une patrouille de l’agence Frontex remorque un canot de migrants sur l’île grecque de Lesbos, le 29 septembre 2019.

En matière de lutte contre l’immigration clandestine, « les décideurs politiques doivent changer d’approche ». La conclusion du rapport « En escaladant les clôtures », du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), rendu public lundi 21 octobre, porte un jugement sévère sur les stratégies européennes face à l’immigration irrégulière. « L’instrumentalisation de l’aide internationale au développement à des fins politiques ne devrait pas avoir un impact à long terme sur les facteurs des migrations africaines irrégulières », préviennent ses auteurs.

Au moment où le gouvernement d’Édouard Philippe veut faire de l’aide publique au développement un levier, le PNUD rappelle au contraire que ce type d’approche envoie « un mauvais signal aux électorats européens en leur faisant croire que de telles stratégies marcheront sur le long terme ».

Fruit de plus de 1900 entretiens réalisés auprès de migrants africains installés dans treize pays d’Europe, le rapport du PNUD analyse en profondeur le profil des personnes qui quittent leur pays pour entrer de façon irrégulière en Europe et les raisons qui ont présidé à leur choix.

L’émigration va s’accentuer

L’étude montre que les candidats au départ - qui avaient en moyenne 24 ans au moment de leur arrivée en Europe - sont en général, dans leur pays, mieux lotis que leurs pairs. Sans faire partie d’une élite, ils ont « manifestement bénéficié des progrès du développement en Afrique au cours des dernières décennies ». Originaires des zones urbaines à 85 %, ils présentent des niveaux d’études supérieurs à la moyenne des gens de leur génération. Ainsi, 43 % des sondés avaient complété le cycle secondaire. En outre, 49 % avaient des revenus au moment de leur départ et, parmi eux, les deux tiers gagnaient au-dessus du revenu moyen dans leur pays.

Ces éléments laissent entendre que « le développement de l’Afrique est de nature à encourager les mouvements migratoires, et que ces derniers vont nécessairement s’accentuer tandis que « la plupart des pays d’Afrique atteignent à peine les niveaux de croissance et de développement à partir desquels l’émigration commence à s’intensifier ». Par conséquent, les auteurs battent en brèche « l’idée qu’il est possible de réduire la migration par le biais de réponses programmatiques et politiques conçues pour l’empêcher ».

Les entretiens menés par le PNUD montrent qu’un des facteurs décisifs au départ est, chez les jeunes Africains, un sentiment d’exclusion sociale et de frustration vis-à-vis d’aspirations et de rêves qui n’ont aucune perspective de réalisation dans les pays d’origine. Malgré des situations plus favorables que celles de leurs pairs, les personnes sondées avaient pour 70 % d’entre elles le sentiment de ne pas gagner assez. Et pour 77 %, le sentiment que leur voix n’est pas entendue par leurs gouvernements. « Leur ambition a dépassé les opportunités disponibles localement, résume les auteurs. Le développement ne va pas assez vite et ses gains sont inégaux et limités ». L’immigration se révèle alors, pour ces personnes dont la trajectoire de vie est ascendante, un « investissement pour un meilleur avenir », un choix rationnel qui engage une « prise de risque calculée ».

Les résultats de l’étude montrent aussi que les sondés proviennent de foyers plus nombreux que la moyenne de leur pays, ce qui laisse supposer une pression économique supplémentaire. En effet, 51 % des migrants interrogés contribuaient à l’économie du foyer avant leur départ. Même si la migration reste une décision multifactorielle, qui repose aussi sur des considérations en matière d’accès à l’éducation, de gouvernance ou de sécurité, 60 % des sondés ont évoqué le travail et le fait d’envoyer de l’argent à leur famille comme étant la première raison qui a motivé leur départ.

Transferts bien supérieurs à l’aide au développement

En 2017, les transferts d’argent depuis l’Europe vers l’Afrique subsaharienne ont représenté 25,3 milliards de dollars en 2017, rappelle le PNUD, qui souligne au passage que les montants sont bien supérieurs à ceux de l’aide publique au développement, de quoi mettre en doute la capacité de ce levier financier à dissuader les mouvements migratoires. En Europe, parmi les 38 % de migrants sondés qui déclarent des revenus, 78 % envoient de l’argent à leur famille. Ils gagnent alors en moyenne 1 020 dollars par mois, un salaire inférieur au salaire moyen du pays d’accueil - et même au salaire minimum en vigueur lorsqu’il en existe un -, mais cela représente trois fois la somme que les migrants percevaient en Afrique (lorsqu’ils y travaillaient) et leur permet d’envoyer un « salaire africain » à leur famille. Ce qui fait dire aux auteurs que la mobilité sociale ainsi obtenue est équivalente à un saut générationnel, malgré un phénomène de déclassement. En effet, les migrants qui travaillent en Europe occupent à 60 % des emplois peu qualifiés, le plus souvent dans le nettoyage, l’agriculture ou au domicile de particuliers, contre 29 % dans leur pays d’origine.

En outre, les opportunités de travail sont limitées par l’absence de statut légal : 64 % des sondés déclarent ne pas avoir d’autorisation de travail dans le pays d’accueil, une proportion qui diminue au fil du temps. Parmi ceux arrivés avant 2005 en Europe, ils ne sont plus que 28 % dans ce cas. A ce propos, les auteurs soulignent que dans la recherche d’un droit au travail, le système d’asile est devenu l’une des seules options disponibles, en l’absence d’autres voies légales, alors même que les personnes n’ont pas migré pour des raisons humanitaires.

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Plus généralement, l’entrée irrégulière en Europe va de pair avec une vulnérabilité accentuée dans le pays d’accueil, qui pour une minorité significative, va perdurer dans le temps. La perspective d’une vie stable devient alors pour eux inatteignable, tandis que des expériences de privation, de faim, de difficultés d’accès aux soins, d’absence de revenus et de sans-abrisme se prolongent.

Du « gagnant-gagnant »

Pour le PNUD, l’approche - qui caractérise de plus en plus d’États européens - qui consiste à détériorer les conditions d’accueil des migrants pour dissuader leur venue, ne fait qu’aggraver les populismes : « La présence de migrants sans-papiers plongés dans les limbes de la clandestinité de façon prolongée nourrit l’inquiétude de l’opinion publique et les discours inflammatoires ».

Il existe pourtant des solutions « gagnant-gagnant » face à la migration, assure le PNUD. Les entretiens montrent que le succès relatif rencontré par les migrants est corrélé à la façon dont ils se projettent dans l’avenir. Ainsi, 70 % des sondés ont déclaré vouloir vivre de façon permanente en Europe. Mais cette proportion diminue à mesure que grandit le sentiment de « mission accomplie », ce qui renforce l’idée d’une migration vécue comme un investissement. « Aider les personnes à atteindre leurs objectifs leur permettra non seulement de contribuer légalement et pleinement au marché du travail européen mais, à terme, devrait encourager le retour dans leur pays d’origine », soulignent les auteurs.

Le développement de voies de migration circulaire, la régularisation des migrants déjà établis en Europe, mais aussi le développement d’opportunités pour la jeunesse en Afrique et la lutte contre les systèmes gérontocrates sont autant de défis que le PNUD encourage à relever. « Cependant, reconnaissent les auteurs du rapport, cela nécessite du courage politique en Afrique comme en Europe ».

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