Publicité

Dix mots libertins qui n’en ont pas l’air

Rue des Archives/Rue des Archives/BCA

«Abbesse», «bobinard»... La langue française sait être impudique et donner un double sens à des termes, en apparence, tout à fait innocents. Florilège.

Certains mots de notre chère langue française sont transparents. Non vraiment, impossible de s’y tromper. Impudiques, grossiers, ces termes existent et nous ne saurions les prononcer sans rougir. Cependant, les colonnes de nos dictionnaires recèlent des noms libertins aux airs tout à fait innocents. Les connaissez-vous? Le Figaro vous propose, grâce à l’ouvrage Du couvent au bordel, mots du joli monde (La Table Ronde) de Claudine Brécourt-Villars, de le découvrir.

» LIRE AUSSI - Pub, entreprise, politique: le triomphe du franglais

Abbesse

En apparence, rien d’étonnant. L’«abbesse» désigne, ainsi que le rappelle Le Trésor de la langue française (TLFI), la «supérieure d’une abbaye ou d’un monastère de religieuses». Le mot vient du masculin «abbé», du latin chrétien abbatem, lui-même emprunté à l’araméen par l’intermédiaire du grec ancien abba «père (en s’adressant à Dieu)».

Mais voilà, au XVIIIe siècle alors que triomphe la littérature libertine, l’«abbesse» prend un autre sens. Celui de «tenancière de prostitution, dite aussi abbesse de Cythère, le bordel étant considéré comme une maison conventuelle, où les pensionnaires vivent également en vase clos». On parle aussi de «dame de maison» ou encore, de «mère-abbesse».

Milord

À l’origine, un «milord» est un «lord britannique», ainsi que nous le lisons sur le site du CNRTL. Par extension, il a fini par désigner également un «Anglais (ou Américain) riche et distingué»ou encore, un «homme riche et élégant» au XIXe siècle. Mais aussi, un mot d’argot employé pour parler d’un «proxénète entretenu par une fille galante». Ainsi peut-on lire dans Un début dans la vie de Balzac, ces quelques lignes: «Sauvez-le, ou Titine te renie pour son milord.»

Lupanar

Le mot est soutenu. Littéraire, même. Il voit le jour dans le Pantagruel de Rabelais en 1532. Durant l’Antiquité romaine, «lupanar» était le nom des maisons de prostitution «ce qui pourrait, comme le remarque Robert Edouard dans son Dictionnaire des injures (1979), la légende de Romulus et Remus allaités par une putain». Le mot vient du latin lupar, «louve». Au figuré, comme le précise le TLFI, lupa désigne également la «courtisane, prostituée».

Hétaïre

Restons dans l’Antiquité et évoquons ce joli mot issu du grec hataira, signifiant à l’origine «compagne» et désignant à cette époque «la courtisane d’un rang élevé». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, une «hétaïre» s’employait pour parler d’une «prostituée de luxe». Par extension, le terme a fini par caractériser une «femme vénale». Ainsi peut-on lire dans Si le grain ne meurt d’André Gide: «Je voyais, par exemple, mon pauvre Tissaudier orgiastiquement lacéré par les hétaïres .»

Almanach

«Livre populaire publié chaque année et comprenant outre un calendrier des renseignements astronomiques, météorologiques, scientifiques, pratiques, etc.» Soit. Mais en 1630, un almanach particulier est édité sous ce titre Le Miroir des plus belles courtisanes de ce temps. Le tout premier almanach des maisons de plaisir, accessible en français, en allemand et en anglais. «La fin du XVIIIe siècle multiplie ces annuaires de filles de joie, répertoriant en particulier les ‘‘nymphes du Palais-Royal’’, qu’on présente depuis la Révolution, et en vertu de l’égalitarisme, comme un bien public accessible à tous», nous éclaire Claudine Brécourt-Villars.

» LIRE AUSSI - Dix mots orduriers à employer sans paraître grossier

Ainsi, de 1791 à 1793, L’Almanach des adresses des Demoiselles de Paris fut en vente. Il contient les noms, demeures, l’âge, les caractères, les talents sans oublier le prix de ces dames.

Bobinard

Joli petit mot, qui nous ferait presque penser au «bobard» que l’on murmure pour «tromper un public généralement crédule», ainsi que le précise le TLFI. Que nenni! «Bobinard», attesté en 1900, est le nom donné à «une maison de prostitution et plus spécifiquement au bordel de garnison». Mais d’où vient cette étrange appellation? Du nom d’un clown, Bobino, selon l’auteure. Ce prestidigitateur italien à l’humour réputé grossier était très populaire au début du XIXe siècle. Sa baraque «rue de la Gaïté à Paris, fut un cabaret louche dans les années 1870, avant de devenir, dans les années 1930, le célèbre établissement de la rive gauche consacré à la chanson».

Clapier

Revenons sur la définition originale du clapier. Un mot vieilli qui désigne les «trous creusés (exprès) dans une garenne où les lapins se retirent», lisons-nous sur le TLFI. Par extension, une «cabane où l’on élève des lapins». Ces mammifères rongeurs ont une sacrée réputation... Celle d’être toujours prêts à l’accouplement. Ainsi, «lapinisme» est un terme familier pour décrire une «fécondité excessive comparable à celle d’un lapin».

Il n’est guère étonnant qu’un «clapier» ait fini par être le synonyme de «lieux de débauche» ou encore, de «bordels de dernière catégorie». Ainsi Huysmans écrivait-il: «Comme toutes les malheureuses que la misère et l’embauchage ont traînées dans les clapiers d’une ville, elle éprouvait, malgré elle, malgré l’horrible dégoût qui l’avait assaillie lors des premières armes (...)»

Nana

Aujourd’hui, elle désigne une jeune femme. Au XIXe siècle, une «nana» était «la maîtresse en titre du souteneur». Nana est le diminutif du prénom Anna, que l’on trouve dans la correspondance de Théophile Gautier et qui fut largement popularisé sous la plume de Zola. Au milieu du XXe siècle, une «nana» pouvait également signifier «maîtresse, concubine». Dans le même genre, il y a les étonnantes significations de «frangine» qui a pu avoir le sens de «maîtresse», «femme facile», «religieuse» ou encore, d’«infirmière».

» LIRE AUSSI - Dix adjectifs à ressusciter à tout prix

Soupeuse

Que comprendre? La «soupeuse» est-elle cuisinière? Raffole-t-elle des bouillons de légumes ou de viandes? Rien de tout cela. Le terme existe dès 1815 et est très en vogue sous la monarchie de Juillet. «Soupeuse» s’emploie pour parler d’une «femme qui se fait offrir à souper après le théâtre dans les grands restaurants autour du Palais-Royal, dont les cabinets particuliers sont alors de hauts lieux de prostitution». Sous le Second Empire et jusqu’à la IIIe République, le terme est appliqué à «la demi-mondaine assidue des temples de la gastronomie des Grands Boulevards».

Brême

Une «brême» est un mot d’argot qui désigne une «carte à jouer». Par analogie, le terme a fini par être le nom de «la pièce d’identité que la police des mœurs délivrait aux prostituées». Si elle était de couleur blanche, alors cela signifiait qu’elles étaient saines. Si en revanche, la carte était rose, il fallait comprendre qu’elles souffraient d’une maladie vénérienne. Le mot fut attesté en 1837 dans Les Voleurs de Vidocq. Selon le TLFI, il «se rattache peut-être à brème étant donnée la forme large et aplatie de ce poisson». En effet, une «brème» est également un «poisson d’eau douce au corps large et plus plat que la carpe».

» À voir aussi - Michel Bussi affronte (et réussit) la terrible dictée du Figaro

Michel Bussi affronte (et réussit) la terrible dictée du Figaro - Regarder sur Figaro Live

» Vous pouvez également suivre Figaro Langue française sur Twitter.
» Posez toutes vos questions sur la langue française grâce à notre Forum.
» Retrouvez notre rubrique langue française sur Le Figaro Store.

Dix mots libertins qui n’en ont pas l’air

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
6 commentaires
  • Ver5gétorix

    le

    L'Anglais et le Danois partagent avec le Français une certain lien avec des noms de poissons, toujours les mêmes pour désigner la fille publique, le souteneur, la patronne du lieu de "mise en scène" ou de pratique, ou d'hébergement, etc...

  • MADELEINE LE ROUX

    le

    Cela fait belle lurette qu'on entend plus ou n'écrivons plus ces expressions anciennes employées régulièrement, jadis, quel dommage.

  • Kingbee

    le

    Renoir préférait ainsi "cul des bremes" à "quai des brumes" de Carne.