Le Hamburger Sport-Verein évolue aujourd’hui en deuxième division allemande. Il pointe en tête du classement après dix journées et aspire à vite retrouver l’élite, mais un certain fatalisme s’est installé dans l’atmosphère. «Comment pourrait-on combler le fossé qui s’est creusé ces dernières années avec le Bayern Munich et le Borussia Dortmund?» s’interroge un homme qui s’en va, accompagné de son fils tout guilleret, suivre l’entraînement de l’équipe ce vendredi matin. Accoudé au grillage, celui qui répond au surnom de «Helm-Peter» tend sa carte de visite de «supporter culte», et témoigne de la même réserve: «Je ne serai plus de ce monde lorsque le HSV sera de retour parmi les grands d’Europe.»

Le fameux pied droit d’Uwe Seeler
Comme ce septuagénaire à moustache fer à cheval et fort accent hambourgeois, la trentaine de personnes qui assistent à la séance dirigée par l’entraîneur Dieter Hecking semblent convaincues que le HSV retrouvera rapidement la Bundesliga. Mais aussi qu’il ne brillera plus jamais comme avant. C’est-à-dire quand le fameux pied droit d’Uwe Seeler terrorisait les gardiens (485 buts en 573 matchs entre 1953 et 1972), mais aussi des décennies plus tôt (deux titres de champion d’Allemagne dans les années 1920) et surtout un peu plus tard.
En 1983, trois ans après une première finale perdue contre Nottingham Forest, la formation allemande remporte une compétition qui s’appelle encore la Coupe des clubs champions européens. Ce 25 mai, la Juventus de Michel Platini est favorite, mais Felix Magath inscrit le seul but de la rencontre (lire interview ci-dessous) pour faire flotter, au sommet du football européen, l’élégante bannière à losange blanc et noir sur fond bleu.
Relégation historique
C’était avant-hier. Depuis, le HSV – prononcer ha-esse-fao – a amorti son déclassement progressif entre jolies campagnes en Europa League (demi-finale en 2010) et sauvetages in extremis, jusqu’à une dégringolade historique. Au Volksparkstadion, une horloge indiquait le temps passé par le club en Bundesliga. Elle s’est arrêtée le samedi 12 mai 2018 après 54 ans, 261 jours, 36 minutes et 2 secondes quand, pour la toute première fois, le Hamburger SV a été relégué.

«Il y a 1,8 million d’habitants à Hambourg, et autant de théories différentes pour expliquer le déclin du HSV», plaisante Wolfgang Maennig, professeur d’économie à l’université locale. Il en voit lui-même plusieurs, dont l’extrême instabilité qui caractérise le club. Ces dix dernières années ont vu défiler huit directeurs sportifs et 18 entraîneurs. La société anonyme créée en 2014 pour encadrer le secteur professionnel a elle-même connu quatre patrons différents.
«Les Allemands disent qu’à Hambourg il y a toujours du théâtre, écrivait l’an dernier dans nos colonnes Stéphane Henchoz, joueur du HSV entre 1995 et 1997. Cela est dû au fait que le club est important pour la ville, il fait beaucoup parler et tout le monde essaie de mettre son grain de sel. Et comme il y a deux grands quotidiens locaux plus le Bild qui consacrent quotidiennement des pages au club, pas une semaine ne se passe sans qu’une nouvelle histoire sorte.»
Lire la chronique de Stéphane Henchoz: La mort annoncée du «Dinosaure»
Mentalité locale
Cappuccino à la main, Henrik Jacobs fait visiter les vastes locaux du Hamburger Abendblatt. Ils y sont deux journalistes à ne traiter que l’actualité du club. L’édition du jour détaille le cas du défenseur Kyriakos Papadopoulos, qui vient d’être rétrogradé en équipe réserve. «Voilà qui résume bien le fonctionnement du HSV, estime le jeune homme. Le club achète cher des joueurs qui, au bout de quelques mois à peine, ne répondent plus aux attentes. Alors, il faudrait pouvoir les vendre, mais personne n’en veut au prix payé et les intéressés eux-mêmes ne sont pas pressés de partir car ils ont un très bon contrat.» Il soupire et dit qu’il pourrait «citer tellement de cas» de joueurs arrivés trop tard, ou pour trop cher, ou les deux.

«Les problèmes de Hambourg ne découlent en tout cas pas d’un manque d’argent», affirme Wolfgang Maennig. En 2010, le milliardaire Klaus-Michael Kühne, propriétaire de l’entreprise Kühne + Nagel, a commencé à injecter des millions par dizaines dans son club de cœur. Mais ils n’ont pas toujours été utilisés avec sagacité. Henrik Jacobs donne un exemple: «En 2012, le manager Frank Arnesen voulait engager le jeune meneur de jeu Christian Eriksen mais la possibilité s'est dessinée de faire revenir Rafael van der Vaart, qui était déjà passé par le club et qui était à ce moment très populaire. C’est lui qui a finalement été choisi, juste parce que l’investisseur Klaus-Michael Kühne voulait le retour de sa star. Il y a cette idée que, hé!, nous sommes le HSV, un grand club avec une grande histoire, nous devons embaucher des grands noms, peu importe ce qu’il en coûte.»
Comme quand, en 1977, la star de Liverpool Kevin Keegan, convoitée partout en Europe, choisissait le nord de l’Allemagne pour venir gagner ses deux Ballons d’or et contre une indemnité de transfert record à l’époque (500 000 livres). Mais depuis, la géopolitique de la planète football a changé. Encore faut-il accepter de le remarquer.
Une image déformée
Wolfgang Maennig rigole. «Les gens de Hambourg disent toujours qu’ils habitent la plus belle ville du monde. Cela peut prêter à sourire car ils sont les seuls à penser cela, mais ils en sont intimement convaincus. Comme ils restent persuadés que leur port est le plus important, alors qu’il l’est de moins en moins année après année. Ils nourrissent d’eux-mêmes et de ce qui leur appartient une image qui ne correspond pas à la réalité, ce qui est un frein pour entreprendre des réformes.»
Cette mentalité locale ne serait pas étrangère à la chute du HSV. «Empiriquement, on observe qu’il y a un énorme écart entre les ambitions affichées et les résultats récoltés saison après saison, souligne l’économiste. Souvent, le championnat commence bien puis lorsque cela se complique, tout le monde se crispe et l’équipe termine en roue libre…»
Enthousiasme populaire
Mais le spécialiste d’économie du sport a l’impression que les temps changent, sous l’impulsion de dirigeants qui acceptent de regarder la réalité en face. «Nous devons briser la spirale négative, déclarait en fin de saison dernière Bernd Hoffmann, PDG depuis 2018. Nous avons trop dormi sur nos lauriers et ne sommes plus à la pointe de la technologie partout. Cela exige maintenant une analyse rigoureuse dans tous les domaines, afin d’atteindre nos objectifs.»

Durant l’été, le club a décidé d’en finir avec quelques-unes de ses vieilles traditions, histoire de provoquer un choc psychologique et de pouvoir aller de l’avant. La fameuse horloge a été décrochée, une année après s’être arrêtée, et la célébrité locale Lotto King Karl, qui interprétait avant chaque rencontre à domicile l’hymne Hamburg, meine Perle, a été priée de se taire.
Décisions anecdotiques ou annonciatrices de changements en profondeur? Habitués depuis des années à ce que les mauvais résultats du week-end chassent les bonnes idées de la semaine, les supporters haussent les épaules. Mais cela n’altère pas leur fidélité. Après sa relégation historique, le HSV a enregistré 7500 abonnements de plus que la saison précédente. Son premier match en deuxième Bundesliga affichait complet à cinq semaines du coup d’envoi. Aujourd’hui encore, le Volksparkstadion affiche une moyenne flatteuse de 46 000 spectateurs par match.
«Cela fait soixante ans que je soutiens l’équipe et je n’arrêterais jamais, promet le mythique «Helm-Peter». Même si on devait tomber en quatrième division, cela ne changerait rien.» Mais si le Hamburger Sport-Verein était amené à renouer avec sa grandeur d’antan, alors ce serait le pied. Un pied géant, comme celui d’Uwe Seeler.
Felix Magath: «La médiocrité actuelle ne sera qu’un court épisode dans l’histoire du club»
Buteur en finale de la Coupe des clubs champions en 1983, Felix Magath a joué dix ans et lancé sa carrière d’entraîneur à Hambourg. Pour lui, le HSV est une institution que la mauvaise passe actuelle ne saurait réduire à néant.
Le Temps: Quels souvenirs gardez-vous de la victoire en finale de la Coupe des clubs champions européens et de votre but, le seul de la partie?
Felix Magath: Cette finale à Athènes contre la Juve était pour nous la deuxième après celle de 1983 contre Nottingham Forest. Beaucoup de nos joueurs étaient déjà là et ont donc pu aborder la rencontre avec une certaine habitude et de la force mentale. En tant qu’outsiders, nous n’avions rien à perdre. Quand j’ai marqué 1-0 à la 9e minute, j’ai pensé: «Oh, c’est très tôt.» Mais nous avons également mieux joué que la Juventus dans les 81 minutes restantes et nous sommes rentrés à Hambourg avec un titre mérité.

Etait-ce «normal» pour le HSV d’être au sommet du football européen?
Non. Je pense qu’il n’était pas du tout normal, aux yeux des supporters ou des responsables, de se trouver à la pointe du football européen. Si un club n’est pas préparé à un tel succès, il le mène souvent à de mauvaises décisions. Il y a beaucoup à faire pour rester au sommet, il faut de la cohérence. Or, il est facile de tenir les choses pour acquises. Regardez les difficultés de la Grèce après sa victoire à l’Euro 2004, ou la chute du FC Kaiserslautern, superbe champion d’Allemagne en 1998 qui a aujourd’hui de gros problèmes en troisième division… Même notre ancien adversaire en finale de la Coupe d’Europe, Nottingham Forest, n’a pas été en mesure de rester à la pointe.
Qu’est-ce que Hambourg faisait de mieux que les autres dans les années 1980?
Le manager de l’époque, Günter Netzer, engagé par le HSV en 1979, était un expert du football en tant qu’ancien joueur de classe mondiale. Il savait qu’un entraîneur de haut niveau était une condition nécessaire au succès. Avec Branco Zebec et Ernst Happel, Netzer a réussi à amener ceux qui étaient peut-être les deux meilleurs entraîneurs de leur temps. Le premier nous a menés au titre de champion d’Allemagne en 1979, le second a gagné deux championnats et a remporté la Coupe d’Europe. Sous Zebec, nous nous sommes entraînés dur et avons dû faire preuve d’une très grande discipline. Ernst Happel a su s’appuyer sur cette expérience pour affiner les phases de jeu offensives et apporter de la joie au sein de l’équipe. A mon avis, cela a fait de nous la meilleure équipe du monde au début des années 1980.
Pourquoi l’âge d’or du club a-t-il pris fin?
Apparemment, après le plus grand succès de l’histoire du club, Günter Netzer n’était plus disposé à occuper son poste. Le départ de Günter Netzer a marqué le début d’une phase au cours de laquelle le club n’a cessé de perdre son savoir-faire en matière de football.
Vous avez joué puis entraîné le HSV. Qu’est-ce que ce club a de particulier?
Le HSV était et reste l’un des plus grands clubs sportifs allemands. Ses supporters sont fidèles et, si nécessaire, de sang chaud. Ils soutiennent leur équipe dans les bonnes et les mauvaises phases, assurent un stade complet et une bonne ambiance. Uwe Seeler n’est pas seulement une idole pour le club, mais pour toute la ville. Le caractère unique de la ville et du club en fait une adresse très spéciale. Tout comme le Real à Madrid, le Barça à Barcelone et la Juve à Turin, HSV appartient sans conteste à Hambourg – autant que le Michel et l’Elbe.
La relégation de l’an dernier est-elle très grave?
De mon point de vue, le HSV a tant de substance en tant que club que même des personnes irresponsables et une relégation ne peuvent le détruire. Je suis sûr que la médiocrité actuelle ne sera qu’un court épisode dans son histoire, et que le club jouera de nouveau un rôle important en Bundesliga très prochainement.
Jusqu’à revenir sur la scène européenne?
De 1973 à 1977, le HSV a été emmené sur la route du succès par un grand visionnaire, Peter Krohn. Aujourd’hui encore, oui, je crois qu’une personnalité forte, avec une vision et les compétences nécessaires en matière de football pourrait ramener le HSV à la pointe du football européen.