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Le combat du Soudan pour récupérer les fonds volés par Omar el-Béchir

Le nouveau gouvernement et des militants de la société civile sont déterminés à combattre les banques occidentales qui ont aidé l’ancien gouvernement soudanais à détourner des milliards de dollars
L’ancien président soudanais Omar el-Béchir est accusé d’avoir sorti des milliards de dollars du Soudan (Reuters)
Par Mohammed Amin à KHARTOUM, Soudan

Lorsqu’il a comparu devant le tribunal le mois dernier, faisant face à des accusations de corruption après la fin de ses trente années au pouvoir, l’ancien dirigeant soudanais Omar el-Béchir a été confronté à des tas d’argent présentés devant lui, une partie des centaines de millions de dollars saisis à son domicile.

Il se dit toutefois que beaucoup plus d’argent a été blanchi sous son règne et caché dans des banques à l’étranger. Alors que le Soudan a été revigoré par un mouvement de protestation de plusieurs mois qui a évincé Béchir en avril, le combat pour récupérer les milliards perdus a été engagé. 

Ibrahim Elbadawi, un ancien expert de la Banque mondiale qui a été nommé ministre des Finances au sein du premier cabinet civil soudanais en trois décennies, définit la récupération de l’argent manquant comme une priorité et affirme avoir déjà sollicité l’aide des Nations unies.

« Derrière les crimes les plus graves, il y a toujours de l’argent »

– Patrick Baudouin, avocat 

Des affirmations similaires ont été faites pour récupérer de l’argent détourné après la destitution des dirigeants en Tunisie et en Égypte en 2011, sans succès. Mais au Soudan, le nouveau gouvernement qui partage le pouvoir avec les généraux de l’ère Béchir qui ont finalement contribué à son éviction, est également poussé par des campagnes citoyennes.

Des groupes soudanais de défense des droits de l’homme ont commencé à travailler pour récupérer les richesses perdues du pays en combattant les banques internationales qu’ils accusent d’avoir facilité la corruption et même des crimes contre l’humanité. 

Selon des câbles diplomatiques divulgués par WikiLeaks en 2010, une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur Béchir au sujet d’un génocide présumé dans la région du Darfour a estimé qu’il aurait détenu jusqu’à 9 milliards de dollars dans des banques britanniques. 

Les implications de BNP Paribas...

Cet élan s’est concentré jusqu’ici sur la banque française BNP Paribas, jugée en 2016 par un tribunal américain pour son rôle de principale banque du gouvernement de Béchir de 1997 à 2007, à une époque où le Soudan faisait l’objet de sanctions. 

BNP Paribas a accepté de verser près de 9 milliards de dollars pour régler ces accusations, également liées au transfert d’argent d’Iran et de Cuba, mais le procès a été relancé par la Cour suprême des États-Unis en mai. 

Les victimes soudanaises qui ont porté l’affaire n’ont rien reçu de ces fonds, selon Masaad Mohamed Ali, directeur exécutif du Centre africain d’études sur la justice et la paix, un groupe de campagne soudanais.

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À présent, le plan consiste également à pousser les autorités à enquêter sur les infractions financières commises par la banque, notamment des faits de blanchiment d’argent à l’étranger et de manipulation de produits de la criminalité. 

« Nous voulons faire entendre la voix des victimes soudanaises à travers cette plainte. À ce jour, ils se sont vu refuser toute possibilité de justice, que ce soit au Soudan, devant la CPI ou aux États-Unis », indique Ali à Middle East Eye

Il précise qu’une coalition de groupes soudanais et un groupe français de défense des droits de l’homme menait la campagne contre BNP Paribas, accusée par les réfugiés soudanais d’avoir facilité la violence à leur encontre en fournissant des services au gouvernement sanctionné. 

« Les plaignants, qui sont tous les survivants des crimes commis au Soudan, allèguent qu’en fournissant des services bancaires au gouvernement soudanais, BNP Paribas s’est rendue complice des violations perpétrées par l’armée soudanaise, les forces de sécurité et les milices janjawid », affirme-t-il. 

Les victimes, ajoute-t-il, ont déclaré que le gouvernement était en mesure de commettre des violations des droits de l’homme parce que la banque avait facilité les ventes de pétrole, fourni des crédits et aidé le gouvernement à accéder aux marchés monétaires étrangers. 

La Fédération internationale des droits humains (FIDH) basée à Paris, qui a contribué à l’ouverture du dossier, a également accusé BNP Paribas d’avoir contribué à des crimes contre l’humanité et à un génocide dans la région du Darfour, dans l’ouest du Soudan, où l’ONU estime que 300 000 personnes ont été tuées depuis 2003. 

« Derrière les crimes et massacres les plus graves, il y a toujours de l’argent », a déclaré Patrick Baudouin, avocat et président d’honneur de la FIDH, dans un communiqué de presse publié le 26 septembre. 

« La BNP [a permis au gouvernement] de fonctionner, payer ses fonctionnaires et militaires, réaliser des achats à l’étranger, alors même que ce régime était mis au ban de la communauté internationale pour avoir planifié puis perpétré des crimes au Darfour. » 

... de Lloyds et de Barclays

BNP Paribas n’était pas la seule banque accusée d’avoir géré l’argent du gouvernement soudanais avant la levée des sanctions en 2017. 

Parmi les publications de WikiLeaks datant de 2010 figuraient des câbles américains rendant compte du fait que le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, avait dit à des diplomates américains que la banque britannique Lloyds, devenue partiellement publique après avoir été renflouée au cours de la crise financière mondiale, pouvait « détenir son argent ou savoir où il se trouv[ait] ».

« Ocampo a laissé entendre que si l’argent caché de Béchir venait à être divulgué [il a chiffré le montant potentiel de 9 milliards de dollars], cela aurait modifié l’opinion publique soudanaise : il n’aurait plus été un “croisé”, mais un voleur », indiquait le câble. 

Lloyds a affirmé ne pas être en possession de preuves qu’elle détenait des fonds au nom de Béchir. 

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Également en 2010, la banque britannique Barclays a été condamnée à une amende de près de 300 millions de dollars pour avoir enfreint « sciemment et délibérément » des sanctions afin d’entretenir des relations avec Cuba, l’Iran et le Soudan. 

Le 18 novembre 2018, la Société Générale, basée à Paris, a également été sanctionnée pour ses relations présumées avec le Soudan et d’autres pays sanctionnés. 

D’après le directeur du Centre africain d’études sur la justice et la paix, Masaad Mohamed Ali, une coalition de groupes de défense des droits de l’homme se tournera vers les autres banques internationales qui ont contribué selon eux à faciliter la violence au Soudan. 

« Nous ouvrirons certainement davantage d’affaires si nous parvenons à obtenir suffisamment de preuves de leur collaboration avec le précédent gouvernement soudanais et du fait qu’ils ont donné au gouvernement soudanais un accès au système financier par le biais de transactions pour le compte d’entités soudanaises faisant l’objet de sanctions, en particulier de l’ONU et de l’UE », souligne-t-il. 

« En matière de droit international, les banques et autres sociétés ne peuvent être poursuivies devant la CPI en vertu du droit pénal international, mais des administrateurs ou des membres du personnel peuvent l’être individuellement », prévient-il.  

Suivre l’argent

Les Forces pour la liberté et le changement (FLC), la coalition de forces politiques soudanaises qui a contribué à mener le mouvement de protestation qui a renversé Béchir, ont également promis de traquer les membres du gouvernement de Béchir accusés de corruption et de les appeler à rendre compte de leurs actes. 

Les FLC affirment avoir l’intention de commencer à interroger des témoins dans les mois à venir. 

« Certains des membres de haut rang de l’ancien parti au pouvoir et des responsables gouvernementaux […] accusés de corruption se sont enfuis », a déclaré Wagdi Salih, porte-parole des FLC. « Mais nous les suivrons à l’intérieur et à l’extérieur du pays. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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