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Même dans les musées d’histoire naturelle, les mâles sont surreprésentés

Une étude conduite dans des musées, dont Londres, New York et Paris, montre que les animaux montrés dans les collections sont en majorité du genre masculin. Cela peut affecter la recherche

Au Musée d'histoire naturelle de Vienne, octobre 2019. — © REUTERS/Lisi Niesner
Au Musée d'histoire naturelle de Vienne, octobre 2019. — © REUTERS/Lisi Niesner

Les stéréotypes sexistes infiltrés jusque dans les muséums d'histoire naturelle: les mâles oiseaux et mammifères sont sur-représentés dans leurs collections, ce qui est susceptible de biaiser les recherches menées à partir des ces spécimens, révèle une étude mercredi.

Une équipe de chercheurs a analysé près de 2,5 millions de spécimens d'oiseaux et mammifères collectés par cinq grands muséums (Londres, Paris, New York, Washington et Chicago) depuis le XVIIIe siècle, pour la plupart via la chasse et le piégeage.

Pour expliquer cette démarche inédite, Natalie Cooper, chercheuse au Museum d'histoire naturelle de Londres et auteure principale de l'étude, explique que «nous nous intéressions aux préjugés de genre dans le milieu scientifique, où il y a par exemple une sur-représentation de chercheurs hommes blancs aux postes haut gradés. Aussi trouvions-nous intéressant de voir si ce biais masculin se retrouvait dans les collections des musées». L'étude a été publiée dans Proceedings of Royal Society B.

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Les gobemouches noirs sont très souvent des mâles

Une cartographie à grande échelle, avec des statistiques sexuées, s'imposait d'autant plus que «le nombre d'études utilisant ces spécimens (prêtés par les musées pour la recherche, NDLR) continue d'augmenter», selon les auteurs.

Sur le vaste échantillon analysé, quand le sexe est identifié, 40% des oiseaux et 48% des mammifères, en moyenne, sont des femelles. Ce pourcentage varie en fonction des classifications, et s'avère particulièrement faible dans de nombreux nombreux cas, comme certains passereaux (9,7% de femelles), gobemouches noirs (11,5%), chauve-souris (9,9%), ovins (24%), belettes (24%)...

Autre exemple: moins de 40% des artiodactyles (famille des ongulés) sont des femelles, alors que dans les populations sauvages, elles sont majoritaires.

Une sélection déjà au moment de la chasse

Ces disproportions seraient issues d'une sélection délibérée au moment de la chasse, parce qu'orientée vers les espèces où les mâles sont une cible plus visible: plus impressionnants en taille (ongulés), avec des ornements plus colorés (l'oiseau de paradis), des traits plus saillants (bois des cerfs)...

Mais la sélection peut être aussi «accidentelle» si les animaux sont collectés par piégeage, dépendant du comportement des mâles, ou s'il est difficile de distinguer les deux sexes, ou tout simplement quand la population mâle est plus importante, poursuit l'étude.

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Ceux qui répondent aux appels

Chez les oiseaux, les mâles sont davantage attrapés dans des filets parce qu'ils sortent, «attirés par les cris émis par les autres mâles, pour les attaquer et marquer leur territoire; alors que les femelles ne répondent pas à ces appels», avance Natalie Cooper.

«Pendant longtemps, poursuit la biologiste, on pensait que les femelles ne criaient pas. Mais aujourd'hui il y a de plus en plus de preuves qu'elles aussi poussent des cris, et peut-être aussi dans une logique territoriale. Ce qui pourrait aider à en attraper davantage.»

Cette inégalité a une conséquence

L'inégalité dans les collections est susceptible d'affecter plusieurs disciplines comme la taxonomie (classification des espèces), où le sexe sous-représenté est plus dur à distinguer, la génomique, où les gènes varient en fonction du sexe, la parasitologie, où les mâles résistent globalement moins aux infections, etc... «En ignorant les femelles, nous n'avons pas un tableau complet du vivant; or cela est essentiel pour prédire, entre autres, comment la taille des corps pourrait répondre au changement climatique», souligne Natalie Cooper.

«Regardez comment les femelles animaux sont considérées comme chastes, soumises aux mâles, sans contrôle de leur accouplement. Cela reflète des stéréotypes de genre chez les humains au XIXe siècle, pas la réalité dans la nature», fait-elle valoir.

Il faut un changement

Au XIXe siècle, les personnes chargées des collections dans les musées étaient «pour l'essentiel des hommes». Et si la sociologie a changé depuis, «cela ne s'est pas reflété dans les collections», déplore-t-elle. Pour les auteurs de l'étude, les professionnels des muséums doivent «prendre conscience» de ces stéréotypes, et avoir à l'avenir une approche plus équilibrée, tant pour améliorer la fiabilité des recherches que la connaissance de la biodiversité.

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