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Les vampires, portée politique et sociale du monstre

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18 octobre 2019

Les vampires aujourd’hui sont surtout connus en tant que personnages de fiction, générateurs de peur et de désir. S’accordant difficilement avec une logique commerciale de divertissement, leur rôle d’allégorie politique semble en revanche moins étudié. Découvrons la figure du vampire comme symbole politique à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle !
 

La critique des abus du pouvoir de la monarchie absolue, par la représentation d’un « vampire » aspirant les ressources vitales du peuple, devint un leitmotiv à succès à la fin du 18e siècle. Dès 1791, le mot « vampire » désigne assez couramment, de manière railleuse et dans une optique de dénonciation, l’ensemble des possédants, par opposition au peuple. Dans une logique impulsée par l’esprit des Lumières, c’est en fait tout le système de l’Ancien Régime qui est ainsi critiqué. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, publié en 1764, avait en effet déjà associé les « Vampires » à ceux qui, au détriment des autres, prennent plus que leur dû, en l’occurrence pour lui « les moines ».
 

Au cours des années qui ont précédé ou suivi la Révolution française, nombreuses sont les chansons patriotiques teintées d’humour - bon enfant ou acerbe - usant ainsi du mot « vampires » pour désigner la noblesse ou le clergé qui s’accaparent les biens, le pouvoir et les honneurs. Cette métaphore péjorative permet une représentation mentale très suggestive : ces deux ordres seraient pleinement rassasiés et repus quand le dernier – représentant les 80 % de la population française alors paysanne – serait exsangue. Les uns se nourrissent littéralement des autres : la rhétorique est efficace.

La chanson ci-dessous est une ode aux principes démocratiques de la Révolution française : les « vampires » que sont la noblesse et le clergé doivent être « corrig[és] » au nom de la liberté et de la lutte contre la tyrannie.

 

L’objet de la caricature ci-dessous est la comtesse de Balbi, « courant par monts et par vaux », et cherchant à rassembler « les vampires de sa race ». La Comtesse de Balbi appartenait à la cour de Louis XVI et devint la maîtresse du Comte de Provence, futur Louis XVIII. Au moment de la Révolution française et de l’émigration d’une partie de la noblesse, ce serait elle qui aurait organisé l’exil du Comte de Provence, qu’elle devait rejoindre à Mons, en Belgique.

 

Cette connotation politique et sociale du vampire est présente dans d’autres pays européens. Témoin des bouleversements historiques qui s’opèrent à l’aube du 19e siècle, le peintre espagnol Francisco de Goya a souhaité en laisser une trace dans une collection d’eaux-fortes intitulées Désastres de la guerre.

La gravure 72, intitulée Las resultas, représente un monstre vampirique ailé, aux yeux exorbités, penché sur un corps humain gisant dont il aspire le sang. Le vampire est accompagné d’une cohorte de chauves-souris, modèles réduits du monstre assoiffé qui a quasiment la taille d’un homme. La vision est saisissante, tant la force d’aspiration funeste de la créature nocturne semble réaliste. Cette estampe allégorique a une signification politique et sociale : la personne moribonde, une femme, incarne en effet une population espagnole à l’agonie, victime des abus de la monarchie absolue restaurée par Ferdinand VII.
 
 

 

Goya, par la violence de sa représentation, a contribué à faire du vampire une créature surnaturelle terrifiante, se nourrissant de sang humain, à mi-chemin entre homme et animal. Il a ainsi alimenté tout un imaginaire fantastique, amené à se développer considérablement tout au long des siècles suivants. Au 19e siècle, le Comte Dracula incarnera bien sûr la société d’Ancien Régime mais il n’en reste pas moins que la portée politique subversive du vampire sera moins évidente après la période révolutionnaire. Au 20e siècle, c’est de manière parodique et décalée qu’elle a pu être exploitée : pensons par exemple au clip Rap-Tout des Inconnus.

Voir aussi les autres billets de la série Vampires, des créatures à (re)découvrir :
1. Mammifère bizarre ou créature du diable
3. Naissance du vampire comme personnage littéraire au 19e siècle
4. Stryges et Goules, ces vampires femelles protéiformes
5. Les vampires : existence réelle ou fantasmée ? Tentatives d’explications rationnelles

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