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EnquêteMines et métaux

L’industrie minière ou les glaciers, le Chili va devoir choisir

Au Chili, l’hiver qui vient de se terminer a été le plus sec depuis soixante ans, la sécheresse se prolonge depuis dix ans et l’accès à l’eau potable pourrait devenir critique. Or, la principale ressource en eau du pays, les glaciers, sont abîmés par le réchauffement climatique et par l’activité minière, l’un des secteurs économiques vitaux du pays.

  • Camino a Farellones (Chili), reportage

En ce début de printemps austral, Claudio Rojas fait ses comptes en scrutant le cours d’eau Mapocho. « La rivière est au plus bas. L’an passé, nous devions aller chercher l’eau dans les puits à vingt mètres de profondeur, contre soixante mètres aujourd’hui, dit le membre du collectif des voisins de Camino a Farellones, un village adossé aux premières pentes des Andes, à une trentaine de kilomètres de Santiago-du-Chili. Environ trente familles dépendent de camions-citernes pour avoir de l’eau à leur domicile. »

Depuis dix ans, le pays connaît une sécheresse prolongée et sort de l’hiver le plus sec depuis soixante ans. Le Chili enregistre cette année une baisse de plus de 50 % des précipitations en moyenne. Pour Claudio Rojas, AngloAmerican, le géant britannique propriétaire de la mine de cuivre Los Bronces, située à quinze kilomètres de Camino a Farellones, a sa part de responsabilité. « Si nous n’avons plus d’eau, c’est en grande partie de sa faute, dit le quinquagénaire. Il épuise les nappes phréatiques, pollue les cours d’eau et accélère la fonte des glaciers alentour, qui sont nos châteaux d’eau naturels. »

Claudio Rojas.

Dans ce contexte de stress hydrique, les glaciers jouent un rôle clé comme réserves d’eau. Santiago et sa banlieue, soit environ sept millions de personnes, en dépendent lorsqu’une sécheresse joue les prolongations : « Avec la hausse des températures liées au changement climatique, les glaciers ne reçoivent plus autant de neige qu’auparavant », indique Francisco Ferrando, glaciologue à l’université du Chili. Selon lui, la situation est alarmante. « Les précipitations sous forme de pluie augmentent le débit des cours d’eau en hiver alors que ce phénomène se produisait au printemps, avec la fonte des neiges. Cela signifie que ces cours d’eau pourraient bientôt se retrouver à sec dès le printemps. »

Convertir les glaciers et leur environnement proche « en aires protégées »

Le pays, qui abrite plus de 80 % des glaciers d’Amérique du Sud, est touché de plein fouet par ce phénomène. La quasi-totalité de ces masses de glace enregistre un recul au Chili. Selon une récente étude, la cordillère des Andes est l’un des massifs où l’amincissement des glaciers est le plus rapide de la planète. Si 86 % des quelque 24.000 glaciers recensés du pays se trouvent dans des zones protégées, ceux situés dans le nord et le centre du pays en sont exclus. Problème, c’est précisément le terrain de jeu favori des entreprises extractivistes.

Pour Francisco Ferrando, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : l’industrie minière joue un rôle néfaste : « La cryosphère est directement menacée par l’activité minière. Cette dernière détruit le pergélisol. Elle réduit le niveau de l’épaisseur de la neige avec le va-et-vient des machines et des camions, l’ouverture de nouveaux chemins dans la roche. L’industrie minière détruit aussi les glaciers rocheux à cause des vibrations liées aux machines et au poids des matériaux extraits des entrailles des montagnes en accélérant la perte d’eau par compression. Il faut aussi y ajouter la contamination des particules liées aux explosions réalisées à la dynamite et la microsismicité de cette activité pouvant déstabiliser les masses de glace situées à proximité. »

Selon Fabrice Lambert, climatologue à l’université pontificale catholique du Chili, d’autres effets sont imputables aux exploitations minières : « Si la superficie — blanche — d’un glacier est couverte de poussière et de très fines particules de carbone --- noir — issu de la combustion de diesel et d’essence, elle va s’assombrir, absorber les rayons du soleil et accélérer la fonte du glacier en fonction de la topographie locale et du vent. Ces effets sont accentués lors de la construction de nouvelles mines. »

Près du glacier Olivares Gamma, en mars 2016.

Malgré ce constat, les projets de loi pour la protection des glaciers se succèdent au Chili — six depuis 2005 — comme autant de coups d’épée dans l’eau. L’an passé, le président conservateur Sebastián Piñera a enterré une initiative de sa prédécesseure, la socialiste Michelle Bachelet, visant à interdire les activités industrielles à proximité des glaciers. Une partie de la classe politique chilienne semble néanmoins avoir pris la mesure de l’urgence écologique. Le dernier projet de loi, issu des rangs de l’opposition en début d’année, cristallise les tensions. Il est censé convertir les glaciers et leur environnement proche « en aires protégées, interdisant toute intervention sauf scientifique et pouvant bénéficier au tourisme durable ».

Pas moins de 44 projets miniers sont susceptibles de voir le jour entre 2019 et 2028 

Le gouvernement de droite est face à un dilemme car le Chili occupe la 18e place des pays les plus exposés à une pénurie d’eau, selon l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute). Dans le même temps, l’industrie minière est stratégique (10 % du PIB et 50 % des exportations) pour le premier producteur mondial de cuivre — près d’un tiers de la production totale. Et la tendance n’est pas à la baisse, au contraire. Pas moins de 44 projets miniers sont susceptibles de voir le jour entre 2019 et 2028, avec un montant des investissements estimé à 72 milliards de dollars. Contactés par Reporterre, le ministère des Mines et le Conseil minier chilien n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Les ONG de défense de l’environnement accusent l’exécutif chilien de céder devant les pressions du lobby minier en commençant à vider de sa substance le dernier projet de loi. Le gouvernement souhaite par exemple y inclure des permis d’exploitation autorisant des projets dans les glaciers rocheux, là même où opère l’industrie minière. Cette décision provoque l’incrédulité d’une grande partie de la communauté scientifique car ces mêmes glaciers rocheux, mélange de débris rocheux et de glace, sont omniprésents dans le nord et le centre du Chili et constituent une ressource hydrique indispensable.

Mine de cuivre près des glaciers rocheux Olivares en 2014. Le glacier Rinconada a disparu.

Près de Santiago, la mine de Los Bronces attire tous les regards avec ses 300.000 tonnes de cuivre extraites chaque année. AngloAmerican ne compte pas s’arrêter là et envisage une expansion souterraine chiffrée à 3 milliards de dollars. « L’étude d’impact, réalisée par l’entreprise, a volontairement omis de signaler les glaciers rocheux présents au-dessus du tunnel de prospection long de 7,9 km, situé à 600 m de profondeur, dit le glaciologue Francisco Ferrando. Depuis 1955, on estime qu’un tiers des glaciers rocheux situés dans cette zone ont été détruits ou endommagés par AngloAmerican et la mine voisine Andina, gérée par l’entreprise chilienne Codelco. »

« Nous sommes convaincus que l’activité minière peut coexister avec la préservation de l’environnement, des communautés locales et d’autres secteurs productifs » 

Marc Turrel, historien, éditeur et auteur du livre Louis Lliboutry, le Champollion des glaces (Grenoble, UGA Éditions, 2017), confirme cette évolution : « Louis Lliboutry, l’un des pionniers de la glaciologie moderne, a cartographié et photographié cette zone des Andes centrales. » Dans les années 1950, le scientifique français a réalisé le premier inventaire des grands glaciers des Andes et s’est consacré à l’étude des glaciers rocheux. « Sur l’une de ses photos, on peut notamment voir que là où aujourd’hui il existe une énorme plaie béante due à l’activité minière, à l’époque se trouvait un glacier rocheux. »

Comparatif des glaciers Olivares Alfa, dans les Andes centrales entre 1953 et les années 2000.

De son côté, AngloAmerican affirme dans un courriel envoyé à Reporterre que « dans le passé, la relation industrie-environnement était très différente à ce que l’on voit aujourd’hui […]. Au-delà de notre respect du cadre légal, nous avons un engagement clair avec le développement durable et la préservation de l’environnement, surtout dans le contexte du changement climatique. Nous sommes convaincus que l’activité minière peut coexister avec la préservation de l’environnement, des communautés locales et d’autres secteurs productifs ».
Ce sentiment n’est pas partagé par Stefanía Vega, l’une des porte-parole de la Coordination des territoires pour la défense des glaciers. « Nous devons considérer les glaciers comme faisant partie d’un écosystème. Or, les multinationales propriétaires de ces mines accélèrent la fonte de ces masses de glace, déséquilibrent la biodiversité des plaines, des estuaires, des bofedales [zones humides situées en altitude], des marais, qui permettent d’atténuer les inondations. »

Selon Stefanía Vega, le gouvernement ferait bien de s’inspirer de son voisin argentin, le seul pays d’Amérique du Sud à disposer d’une législation spécifique destinée à protéger les glaciers. À en croire l’activiste environnementale, la tenue du sommet mondial sur le climat au Chili, début décembre, sera un moment de vérité. « La COP25 sera l’occasion pour nos dirigeants de mettre en cohérence leurs discours avec leurs actes. »

Stefanía Vega.
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