Moyen-Orient

Syrie : l'accord signé en Russie valide les exigences turques

Les Kurdes syriens sont les grands perdants du texte signé mardi à Sotchi entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. Leurs combattants doivent quitter la zone frontalière où patrouilleront des militaires russes et turcs.
par Luc Mathieu
publié le 23 octobre 2019 à 13h11

Mohammed (1), un activiste kurde syrien, a regardé en direct mardi soir, chez lui à Kobané, dans le nord de la Syrie, la conférence de presse entre les présidents turc et russe. Quelques minutes après la fin, il disait : «La Turquie a obtenu ce qu'elle voulait. C'est toujours comme ça, nous sommes les jouets des intérêts des autres pays. Et à la fin, c'est le nettoyage ethnique qui gagne.»

Les autorités kurdes n'avaient pas encore réagi mercredi matin à la signature de l'accord turco-russe. Mais le territoire qu'elles administrent, le Rojava, cette région du nord-est syrien, n'est plus. Leurs combattants des Unités de protection du peuple, les YPG, doivent quitter la région qui borde la frontière, cette «zone de sécurité» qu'Ankara voulait, et qui s'enfonce de 30 kilomètres en Syrie. Des patrouilles militaires turco-russes seront mises en place à partir du 29 octobre pour s'assurer qu'ils se sont bien retirés. D'ici là, ce sont des gardes-frontières du régime syrien et des policiers militaires russes qui s'en chargeront. Les combattants kurdes doivent également quitter les villes de Manbij, devenue le nœud commercial du nord de la Syrie, et Tal Rifaat.

«Zone de sécurité»

«A ce stade, il n'y a plus besoin de mener une nouvelle opération», a affirmé le ministère turc de la Défense dans un communiqué, actant sa victoire. Ankara a débuté le 9 octobre une offensive pour chasser les combattants kurdes de la zone frontalière. Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui considère les YPG, branche syrienne du PKK, comme un groupe «terroriste», menaçait depuis plusieurs mois de lancer une opération militaire. Seule la présence de soldats américains dans la région l'en empêchait. Mais le 6 octobre, Donald Trump a décidé, unilatéralement, sans prévenir ni l'OTAN ni les autorités kurdes, de les rapatrier, offrant un blanc-seing à Erdogan. Ces militaires combattaient depuis 2014 aux côtés des forces kurdes contre l'Etat islamique. Des forces spéciales françaises et britanniques participaient aussi aux combats.

L'offensive turque, baptisée «Source de paix», n'a plus lieu d'être. L'accord signé mardi à Sotchi donne à la Turquie le contrôle de fait d'une «zone de sécurité» de 120 kilomètres entre les villes de Tal Abyad et Ras al-Aïn. C'est moins que les 440 kilomètres qu'elle revendiquait mais le reste ne sera plus aux mains des autorités kurdes, ce qui était le point non négociable d'Ankara.

Maître du jeu

L'accord appuie enfin une autre exigence turque : le retour des réfugiés syriens dans leur pays. Ils sont aujourd'hui près de 4 millions en Turquie, et Erdogan menace régulièrement l'Europe de les laisser rejoindre la Grèce, ce qui provoquerait une nouvelle crise migratoire. Le texte de Sotchi stipule que des «efforts conjoints seront menés pour faciliter le retour sécurisé et volontaire des réfugiés». Le président turc veut en renvoyer deux millions, sans que l'on sache précisément où, et que la communauté internationale finance les infrastructures nécessaires.

Maître du jeu en Syrie, la Russie devra toutefois contenir le risque d'affrontement entre le régime syrien et la Turquie. Les autorités kurdes ont passé un accord avec Bachar al-Assad à la mi-octobre pour contrer l'assaut turc. Un moyen idéal pour lui de reprendre pied dans une région qui lui échappait depuis 2012 et de revendiquer «l'unité territoriale» de la Syrie. Son armée n'a pas les moyens d'en prendre le contrôle mais il a commencé à installer des checkpoints. Al Assad et Erdogan, qui a longtemps soutenu l'opposition syrienne, se détestent. Mardi, le président syrien a qualifié Erdogan de «voleur de territoires». Mercredi, le président turc a rétorqué qu'il ne tolérerait pas que des combattants de YPG se camouflent dans «des uniformes du régime».

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