Mohamed Sifaoui, le 13 novembre 2012 à Paris

Mohamed Sifaoui, le 13 novembre 2012 à Paris.

afp.com/THOMAS SAMSON

L'Express : L'université Paris-1-Panthéon-Sorbonne vient de suspendre la formation que vous deviez animer à partir de fin novembre intitulée "Prévention de la radicalisation : compréhension d'un phénomène et détection des signaux faibles". Quelle justification vous a-t-on donnée ?

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Mohamed Sifaoui : Il faut remettre les choses dans leur contexte. En octobre 2017 - donc bien avant l'attentat de la préfecture de police de Paris - la direction de la formation continue de la Sorbonne m'a contacté pour m'informer de son souhait de mettre en place un module de prévention de la radicalisation.

Dès l'automne 2017, j'ai donc commencé à travailler de concert avec eux sur ce sujet. Je me suis entouré d'une équipe pluridisciplinaire composée aussi bien d'universitaires - dont un professeur d'histoire du monde arabo-musulman de la Sorbonne -, que de magistrats, d'avocats spécialisés dans les questions anti-terroristes. Il était aussi envisagé de faire intervenir l'association française des victimes du terrorisme pendant une heure. Je devais, pour ma part, assurer huit heures de cours consacrées à la détection des signaux faibles sur lesquels j'ai énormément travaillé depuis plusieurs années. Tout cela n'a pas été improvisé.

Plus que l'improvisation, ce que certains de vos détracteurs vous reprochent c'est "une formation au contenu réactionnaire", "stigmatisante", voire "islamophobe". Que leur répondez-vous ?

Chaque étape de l'élaboration du projet pédagogique a été validée par l'université. Nous avons écrit un synopsis dans lequel figurait clairement le terme de "radicalisation islamiste", à l'époque, tout le monde était à l'aise avec le sujet.

D'ailleurs, les syndicats de la Sorbonne se sont retrouvés idiots quand ils ont découvert que les premiers candidats devaient être une quarantaine d'imams envoyés par la Mosquée de Paris dans le cadre d'un partenariat signé avec la Sorbonne. L'objectif était de leur faire comprendre les attentes de la société française, les nuances sociologiques, l'histoire de la laïcité, les acquis comme le droit au blasphème et à la caricature, et par ailleurs les sensibiliser sur les questions de détection des discours haineux pour lesquels il fallait les armer intellectuellement. Bref, en voyant cela, les syndicats se sont rétractés et ont demandé que la formation soit maintenue pour les imams. Je ne l'ai pas accepté évidemment car si le contenu du module est mauvais pour les autres il est aussi mauvais pour les imams.

A qui était destinée cette formation plus globalement ?

A toute personne qui pouvait dans son environnement professionnel être confronté à la question de la radicalisation. Le spectre est très large. Il englobait des élus, des agents territoriaux, des agents de l'administration pénitentiaires, des fonctionnaires de police, de la gendarmerie, des militaires, des sociétés de sécurité privée... L'idée étant de leur donner un maximum de connaissances sur l'islam politique pour les conduire à faire le distinguo entre l'islamiste activiste et le musulman pieux pratiquant.

Diriez-vous que Paris-1 a cédé aux pressions ?

Oui. Aujourd'hui, une colère froide m'anime car Paris-1 a cédé à une double pression : celle exercée par les syndicats en interne et celle exercée par les associations islamistes en externe. L'université me dit avoir reçu des courriers et des appels d'associations me désignant comme islamophobe. Il y a aussi eu une bronca interne depuis le mois d'octobre, les syndicats ont reproché à l'université l'absence de concertation. Or, depuis l'autonomie des universités, la direction des formations continues a une certaine latitude pour créer des modules payants.

D'autres professeurs ont argué qu'il n'appartenait pas à l'université de s'occuper des questions de radicalisation au prétexte que cela serait politique. Certains enseignants étaient même contre l'utilisation du mot radicalisation. Pour ma part, j'étais favorable à l'utilisation de l'expression "prévention contre le terrorisme islamiste" sauf que l'université n'a pas voulu l'utiliser. La conséquence de tout cela est qu'on empêche la diffusion des éléments qui auraient permis à cette société d'être un peu plus apaisée et d'avoir un peu moins de préjugés.

On vous a également reproché le coût de cette formation, 890 euros pour 16 heures de cours.

J'ai été contacté pour avoir un statut de chargé de cours, je crois que j'allais être rémunéré 62 euros brut par heure. Donc sur les 890 euros que coûtait la formation, je devais toucher 400 euros de dédommagement, effort que tous les intervenants que j'ai sollicités ont accepté de faire, certains ayant même accepté d'intervenir gratuitement. J'ajoute que le prix a été fixé unilatéralement par l'université et qu'il est dans la fourchette très basse comme vous le verrez en feuilletant le catalogue de Paris-1.

Le président de Paris-1 dit dans l'article de Mediapart : "La radicalisation est un enjeu majeur de notre société et il est normal qu'une université citoyenne s'en saisisse, mais je pense qu'il est dangereux et réducteur de cibler uniquement l'islam." Partagez-vous ce sentiment ?

C'est hallucinant que Georges Haddad, qui a été de toutes les réunions, qui a signé un partenariat avec la Mosquée de Paris, puisse dire à présent que c'est réducteur. Je ne suis pas connu pour être un spécialiste de la radicalisation dans les stades de foot. Je n'ai rien proposé, et je n'ai jamais sollicité Paris-1, c'est eux qui m'ont contacté et j'ai répondu à leur demande qui me paraissait louable et courageuse. J'ai été contacté par d'autres universités qui sont intéressées par le module, il ne tombera pas à l'eau. Mais cette affaire restera comme une tache sur la façade de Paris-1.

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