INTERNATIONAL - Une flambée de conflits sociaux embrase le monde ces derniers mois, s’accentuant dans plusieurs pays au cours de ce mois d’octobre.
Si ces conflits ont parfois pris après une étincelle semblant anecdotique (hausse du prix du métro au Chili, taxe sur les appels WhatsApp au Liban), ils sont révélateurs d’un malaise sociétal beaucoup plus profond et prennent racine dans un terreau commun d’inégalités économiques et de marginalisation politique.
Certains de ces conflits s’inspirent d’ailleurs parfois mutuellement, grâce notamment au pouvoir des réseaux sociaux, par exemple avec la présence de drapeaux catalans dans les manifestations à Hong Kong ou l’utilisation de pointeurs lasers contre la police à Barcelone, une technique justement née dans le mouvement hongkongais.
Dans la carte ci-dessous, nous avons identifié huit grandes révoltes actuelles dans le monde, dont certaines sont nées il y a plusieurs mois maintenant. À chaque fois, nous y décrivons le conflit social de manière générale, tout en précisant les évolutions les plus récentes, parfois au cours de cette dernière semaine.
“Il y a eu une accumulation et l’orage a fini par arriver”
Pour tenter de décrypter ces différents mouvements, Le HuffPost a contacté Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Amérique latine, et Myriam Benraad, politologue spécialiste du monde arabe.
“Les événements auxquels on assiste en Amérique latine couvent depuis un certain temps, explique Christophe Ventura. On peut même les faire démarrer quelques années en arrière, au Brésil dès 2013 avec l’augmentation du prix des transports (comme ce qui se passe au Chili actuellement, NDLR), avec ce type de mobilisations assez spontanées, qui mettent dans la rue vraiment beaucoup de gens différents, aussi bien issus des classes moyennes que des classes populaires, des étudiants, des syndicats, des partis...”
Selon lui, les révoltes sud-américaines actuelles “renvoient au fait que l’Amérique latine est une région qui a été impactée par l’onde de choc de la crise internationale de 2008, qui s’est propagée dans le continent après des années de croissance, de développement et d’enrichissement global des sociétés, et qui s’est traduite par un retour en arrière, un blocage et des économies qui sont entrées dans des difficultés dont elles ne sont pas sorties depuis 4-5 ans, un peu partout, indépendamment des gouvernements”.
“Ce qui est derrière tout ça, continue le directeur de recherche, c’est qu’on voit depuis quelques années en Amérique latine un retour important des inégalités, de la pauvreté structurelle, des détériorations des infrastructures et des services publics, cimentées par le rejet des classes politiques, des scandales de corruption”.
Pour en venir précisément sur le cas du Chili, “c’est un pays qui vit depuis 2011 des convulsions sociales assez fortes, avec un mouvement étudiant énorme -qui a été inédit dans ce pays il y a huit ans- pour exiger la gratuité de l’enseignement supérieur, analyse Christophe Ventura. Il y a quelques mois en arrière, le pays a connu un gros mécontentement lié à la question de la réforme des retraites. Il y a eu une accumulation et l’orage a fini par arriver”.
Le directeur de recherche de l’Iris rappelle que “les pays sud-américains ont une forte tradition revendicative (l’Argentine en 2001, l’Équateur à fin des années 90)”. Mais ce qui est nouveau ici pour lui, “c’est à la fois les raisons de la colère et le mode d’organisation de ces mouvements sociaux qui sont caractérisés par le fait qu’ils ne sont pas conduits par des organisations traditionnelles, ni même des partis politiques d’opposition locaux”. Cela reste “beaucoup plus large. C’est un mélange un peu composite de mouvements qui ne s’incarnent pas dans des porte-paroles ou des leaders naturels”.
Des “appels à la citoyenneté”
De son côté, Myriam Benraad met en avant “la perspective générationnelle” dans les révoltes en cours dans le monde arabe. “C’est la jeunesse qui aujourd’hui s’exprime. Ce ne sont pas des mouvements circonscrits à une force politique ou à une question en particulier, développe-t-elle. C’est vraiment l’expression d’une colère, d’un mal-être global très ancré dans la jeunesse”.
“Il y a la question de l’emploi; ce n’est pas une jeunesse qui bénéficie de beaucoup d’opportunités et d’espoir pour la suite, continue-t-elle. C’est une jeunesse en mal de reconnaissance sociale, parce qu’elle est précaire, certains n’ont pas de boulot et l’état pourvoyeur d’emplois publics est complètement submergé...”
“Dans ces mouvements, il y a un aspect ‘appel à la citoyenneté’ qui est très largement comparable aux gilets jaunes en France, selon la politologue. Il existe ce désir d’exercer sa citoyenneté à travers le phénomène contestataire, en allant manifester”.
Dans le monde arabe, on a aujourd’hui “un effet domino, comme en 2011 depuis la Tunisie. La transnationalisation des phénomènes contestataires y est plus logique dans la mesure où culturellement, les peuples entretiennent des liens très étroits”. “Mais il ne faut pas le circonscrire à l’aire culturelle arabe en y voyant simplement l’expression d’un mal-être, d’une crise sociale qui serait propre au monde arabe, insiste Myriam Benraad, puisqu’aujourd’hui, ces crises s’expriment partout dans le monde”.
Dans le cas du Liban, la contestation actuelle du peuple est “inédite”, souligne la politologue spécialiste du monde arabe: “là, c’est tout le système qui est visé, qui est considéré comme ayant échoué à améliorer le sort de l’ensemble de la population libanaise et ce n’est pas circonscrit à une communauté confessionnelle. C’est la première fois dans le pays qu’on a cette expression qui transcende les fractures communautaires”.
“Ce sera difficile pour un parti en particulier d’arriver en disant qu’ils peuvent représenter ou canaliser ces demandes puisqu’aucun parti au Liban n’est aujourd’hui porteur de réformes ou d’un projet réformiste qui soient convaincants aux yeux des Libanais”, argumente-t-elle encore.
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