Il y a quelques jours, Monique de Kermadec, psychanalyste spécialisée dans les questions de précocité intellectuelle, nous accordait une interview sur la question de la femme surdouée, de ses caractéristiques et du double défi qui s’impose à elles au quotidien. 

Outre le sujet passionnant et la rencontre édifiante, c’est la pluie de réactions qu’a suscité l’article qui nous a poussé à vouloir en savoir plus sur le monde intime et personnel de ces femmes. Trois d’entre elles ont ainsi bien voulu nous confier leurs histoires. 

Rencontre avec Sabrina (30 ans), Alienor (43 ans) et Alexandra (40 ans). 

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Sabrina, 30 ans : "J'ai toujours eu du mal à me fondre dans le moule social"

Sabrina a 30 ans et travaille dans la presse. Son haut potentiel a été détecté durant son enfance sans que personne ne lui en fasse part. “J’étais en classe de CE2 et j’avais des difficultés sociales avec les autres enfants de mon âge. J’étais alors une élève solitaire, avec une tendance au repli sur soi. Alertés par l’école, et sur conseil de mes professeurs et de mon pédiatre, mes parents ont décidé de me faire consulter une psychologue spécialiste du QI des enfants et adolescents. Je n’ai pas été mise au courant des résultats. A l’époque, je me souviens seulement que la psychologue et mes parents m’ont demandée si j’étais d’accord pour sauter une classe. J’ai refusé, notamment pour ne pas me séparer du peu d’amis que j’avais alors. 

Et puis, plus personne dans son entourage n'abordera le sujet. Ce n’est qu’à sa majorité, alors qu’elle doit déménager à plusieurs centaines de kilomètres du domicile familial pour ses études, qu’elle retombe sur son évaluation de QI et le bilan de la psychologue de l’époque : Sabrina est dite HPI, haut potentiel intellectuel. “Quand j’ai demandé des explications à ma mère, elle m’a simplement répondu : ‘oui, je me souviens de ces séances. La psychologue nous avait dit que tu étais très intelligente pour ton âge, en avance. Elle a voulu te faire sauter une classe mais tu n’étais pas d’accord’.

Petite, j’avais réponse à tout, j’enregistrais tout ce que je lisais ou entendais, autour de moi mais aussi à la radio ou à la télévision.

Sabrina a toujours été une bonne élève, sans vraiment produire d'efforts. “Petite, j’avais réponse à tout, j’enregistrais tout ce que je lisais ou entendais, autour de moi mais aussi à la radio ou à la télévision. J’ai appris à lire avant le CP, et je pouvais apprendre un poésie en cinq minutes. Pour le bac, je n’ai pas vraiment travaillé, j’ai eu mention bien. J’imagine que j’aurais pu faire mieux en m’en donnant la peine”, se souvient-elle. 

Mais au-delà de ses capacités intellectuelles, Sabrina reconnaît que son HPI a été un frein pour “se fondre dans le moule social” et s’intégrer avec les personnes de son âge. Plus globalement, les relations interpersonnelles ne sont pas si évidentes pour elle : “je ne donne pas ma confiance à n’importe qui, j’ai besoin d’avoir des “preuves”. Aujourd’hui, la grande majorité de ses amis - qui restent malgré tout en nombre restreints - sont plus expérimentés ou âgés qu’elle. 

Je n’ai plus peur de ce pan de ma personne. Surtout, je sais qu’elle ne me définit pas entièrement

Exigeante avec elle-même, elle l’est aussi avec ses proches. “J’aime les gens drôles, volontaires, optimistes et ambitieux. Je ne supporte pas le manque d’empathie et d’attention ni la médiocrité intellectuelle… Idem au travail !”, confie-t-elle. Même côté cœur, Sabrina a besoin d’une connexion intellectuelle forte pour s’investir dans une relation. “J'aime discuter, débattre, même avec la personne qui partage ma vie. J’ai besoin que mon conjoint m’apprenne de nouvelles choses, qu’il me stimule en quelque sorte. Le seul physique ne m’intéresse pas”. 

Le fait d’avoir été détectée comme HPI n’est cependant pas une donnée qu’elle porte comme un étendard. “Je l’ai même cachée durant des années. Je ne voulais pas être vue comme quelqu’un qui se considère supérieure aux autres”, raconte Sabrina, timidement. Mais quand elle finit généralement par en parler, les gens autour d'elle ne "sont pas surpris". 

Pour autant, elle n’utilise jamais le terme “surdouée”, qu’elle juge réducteur et dépassé. “Il m’a fallu plusieurs années de thérapie pour avancer sur ce sujet, pour cesser de considérer ce HQI comme une anomalie et l’intégrer comme un élément - parmi d’autres - constitutif de ma personne, qui influence ma façon de fonctionner, de penser, d’agir et de réagir”, poursuit-elle.

Avant d’ajouter en conclusion : “je ne suis plus inquiète ou anxieuse à propos de ce pan de ma personne. Surtout, je sais qu’il ne me définit pas entièrement”.

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Aliénor, 42 ans : "ma détection tardive m'a permis de prendre confiance en moi"

Richard Schneider - getty images

Notre seconde témoin s’appelle Aliénor Rouffet. Cette fondatrice de La Part Des Anges conseil et consultante en stratégie digitale est également une femme HPI (haut potentiel intellectuel, ndlr). “Ma détection s’est faite tardivement. L’an dernier même, alors que j’avais 42 ans”, débute-t-elle. Au départ, comme toute une part des femmes HPI, c’est grâce à un de ses enfants qu’elle s’intéresse au sujet. “En réalité, c’est mon fils de 11 ans, intellectuellement précoce, qui m’a amenée à m’interroger sur la question, du fait qu’il avait à l’époque des difficultés dans certaines relations avec ses camarades”.  

Au départ, loin d’elle l’idée d’être directement concernée par la question des hauts potentiels. Mais à force de lectures, d’échanges avec des personnes haut potentiel et très haut potentiel, elle se laisse convaincre de passer des tests. “Je me suis dit : que cela valide ou invalide ma douance, ce sera toujours intéressant de savoir ce qu’il en est”.  

J’ai toujours été considérée comme une éternelle ado, en crise permanente

Si sa détection a été tardive, Aliénor admet qu’elle lui a permis d’avoir une nouvelle grille de lecture d’elle-même d’abord, mais aussi plus généralement sur sa vie. “J’ai toujours été considérée par mes proches et moins proches d’ailleurs, comme une éternelle ado rebelle. Bien que je n’ai jamais vraiment compris cet avis. Certes, j’ai toujours aimé le débat d'idées ou senti le besoin de questionner sans cesse ce que l'on me disait, mais dans une volonté de comprendre et non pas par pure rébellion”, confie-t-elle, en ajoutant qu’elle s’est souvent sentie en décalage avec son environnement et dans un sentiment de doute permanent.  

“C’est vrai que désormais, je comprends mieux mon côté sans filtre, qui veut sans cesse aller plus loin dans l’explication ou la réflexion et qui n’entre vraisemblablement pas dans les cases normées de la société”.  

Côté carrière, cette reconnaissance de HPI a également été un accelarateur pour cette femme dynamique et volontaire : “cela m’a donné l'audace, voire le courage même, de quitter la grosse entreprise dans laquelle je travaillais depuis déjà 10 ans”. Malmenée par la machine managériale pendant plusieurs années, Aliénor Rouffet voit en sa détection (qui a eu lieu à l’automne 2018) l’occasion de devenir maîtresse de son destin, de retrouver un rythme de travail plus en adéquation avec son propre fonctionnement. “Aujourd’hui, après plusieurs mois en tant qu'entrepreneure, je peux dire que j’ai trouvé une activité en phase avec mes rythmes émotionnels et intellectuels”, ajoute-t-elle.  

Ma mère n’est pas au courant. Je lui ai bien sûr envoyé des articles sur le sujet, mais nous n’avons jamais parlé ouvertement de mon cas

Pour elle,  difficile de détacher l’impact de sa détection en terme de plan personnel ou professionnel. Globalement, elle lui a surtout permis de retrouver confiance en elle et de diminuer un tant soit peu son sentiment d’imposture. “Cela m’a aidée à être mieux alignée avec moi-même et sur tous les plans, à mieux comprendre mes émotions, à anticiper les situations dans lesquelles je me sens bien et travaille efficacement et à détecter les relationnels nocifs pour moi. Et puis, surtout, j'ai compris que rien ne clochait chez moi, au contraire".

Aujourd’hui, Aliénor semble être en paix avec elle-même et ses sentiments. Bien qu’elle ne porte pas son haut potentiel comme une étiquette. “Dans ma vie privée, à part ma cellule familiale resserrée, personne n’est au courant. Même ma mère n’est pas officiellement au courant. Je lui ai bien sûr envoyé des articles sur le sujet, d’autant que ses petits-enfants sont concernés, mais nous n'en avons jamais parlé clairement me concernant”, raconte-t-elle. “En même temps, la douance n’est ni une étiquette, ni une maladie : c’est juste une manière un peu différente de fonctionner et de réagir vis-à-vis de son environnement”, conclut-elle. 

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Alexandra, 40 ans : "Sans cette détection, ma vie aurait été différente"

Jamie Jones - Getty Images

Notre troisième volontaire s’appelle Alexandra Reynaud et est fondatrice du blog Les Tribulations d’un petit zèbre et auteure des différents ouvrages sur la douance et le syndrome d’Asperger. Car en plus d’un THPI détecté à l’aube de ses trente ans, elle a également découvert - un peu par hasard - son autisme sur le tard. “Je me suis toujours sentie différente, pas en phase avec les autres durant mon enfance, mais à vrai dire je me suis toujours dit que c’était dû au fait que j’avais grandi à l’étranger, dans d’autres cultures et d’autres langues”, commence-t-elle. 

La grande découverte s’est faite via son fils. Sous l’impulsion de sa propre mère, Alexandra consulte donc un psychologue afin de vérifier ou non si son fils alors âgé de 4 ans, était reconnu comme “très haut potentiel”. Sauf que, lors de la restitution avec le spécialiste, Alexandra comprend tout de suite qu’elle aussi est concernée. Comme une évidence qui s’impose à cette jeune femme de 29 ans. 

A la lecture, je me reconnais dans tous les détails. Sans compter qu’au fil de mes lectures passées, je me rendais compte que le HPI n’expliquait pas tout

N’aimant ni le doute, ni l’autosuggestion, elle passe elle-même un bilan dans la foulée qui valide son haut potentiel. Nous sommes alors en 2009, Internet prend une ampleur sans précédent : les réseaux sociaux et les blogs deviennent des plateformes privilégiées. “Comme je ne trouvais pas vraiment de quoi satisfaire ma curiosité et répondre à mes interrogations, je décide de lancer mon blog “Les tribulations d’un petit zèbre” sur lequel je traite donc la question de la douance”, raconte-t-elle. 

Dans le même temps, elle s’abreuve de savoir en lisant des tas de livres sur le sujet : “ c’est ainsi que j’entends parler pour la première fois de la synesthésie par exemple. Je me rends compte que tout le monde ne pense pas de la même façon”, s’amuse-t-elle. Puis, un peu par hasard et pensant s’acheter un énième ouvrage sur la douance, elle tombe sur l’ouvrage de Daniel Tammet, Je suis né un jour bleu, qui traite en réalité du syndrome d’Asperger. Nouveau choc pour la jeune femme. “A la lecture, je me reconnais dans tous les détails. Sans compter qu’au fil de mes lectures passées, je me rendais compte que le HPI n’expliquait pas tout”, raconte alors Alexandra. Une fois encore, elle ne se satisfait pas d’un auto diagnostic et décide de se rapprocher d’une structure spécialisée qui établira donc en 2012, qu’elle est une “Aspie girl”. 

Cela permet d’aller au-devant de soi, comme une nouvelle carte du territoire. Une manière enfin d’être plus indulgent avec soi, que ce soit sur ses échecs et sur ses succès

Côté impact, Alexandra est claire : cette détection a changé sa vie. “Depuis, j’ai créé un blog, écrit des livres, fait des conférences sur le sujet, alors évident que l’impact est conséquent”, confie-t-elle. Mais pas dans le sens où elle-même a changé du fait de cette reconnaissance de THPI, plutôt parce que sans elle, sa vie aurait été différente. Professionnellement, du moins. Mais personnellement aussi, sans doute. 

Et puis, sans en faire une fierté, Alexandra se revendique quelque part HPI. “Je ne l’ai jamais mis en avant, mais je ne l’ai jamais caché non plus. Si on me pose la question, je préfère pouvoir en parler simplement : c’est une manière de normaliser cette spécificité, qui ne devrait jamais être source de honte”, confie-t-elle. Vraisemblablement, pour elle, la détection sert avant toute chose à se rencontrer soi, tel que l’on est. “De me découvrir THPI à 29 ans, m’a permis de revisiter mon histoire et de questionner mes incompréhensions passées. Cela permet d’aller au-devant de soi, comme une nouvelle carte du territoire. Une manière enfin d’être plus indulgent avec soi, que ce soit sur ses échecs et sur ses succès”, conclut-elle. 

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