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« Ce sont les défaillances qui ont tué mes quatre bébés »

L’Afrique, ses mères et ses enfants en ont assez de souffrir à l’hôpital (6/7). Le manque de couveuses, les sous-effectifs dans les hôpitaux publics et les négligences aggravent la mortalité infantile au Cameroun.

Par  (Bafoussam, Cameroun, envoyée spéciale)

Publié le 26 octobre 2019 à 19h00

Temps de Lecture 3 min.

Dans le service de néonatalogie de l’hôpital régional de ­Bafoussam, dans l’ouest du Cameroun, en octobre 2019.

Les photos des cinq nouveau-nés dans une couveuse défilent sur le smartphone. Annie Chendjou pointe une petite tête aux cheveux noirs. « Voici la seule survivante. » Assise sur un banc dans le service de néonatalogie de l’hôpital régional de ­Bafoussam, dans l’ouest du Cameroun, la trentenaire est encore en état de choc. Le 10 août, cette jeune maman met au monde des quintuplés, dont « quatre décèdent tour à tour en moins d’un mois », poursuit-elle, les yeux lavés par les larmes.

Pourtant, la perspective de donner le jour à cinq enfants les avait ravis, elle et son mari, Félix Tchoumo Denkeng. « Une bénédiction », se souviennent-ils. Pour éviter tout risque, Annie est allée à l’hôpital de Bafoussam, le meilleur de la région, où, après trente semaines de grossesse, elle donne naissance à trois filles et deux garçons, « tout petits, mais en bonne santé », jure le père, qui ne comprend toujours pas pourquoi, quelques heures après l’accouchement, un premier bébé est mort.

Calvaire

Quelques jours plus tard, la santé d’un deuxième se dégrade et nécessite une transfusion sanguine. Mais le nourrisson décède à son tour, saignant du nez et de la bouche. Apeurés, les parents demandent leur transfert à Yaoundé, la capitale, dans une formation hospitalière plus compétente. Mais l’hôpital refuse, arguant qu’il « n’est pas dépassé ». Pourtant, deux autres bébés décèdent en moins de deux semaines.

« Le jour du décès du quatrième, si j’avais eu une arme, j’aurais tué au moins trois infirmières. J’étais tellement en colère ! », raconte Félix, qui s’est endetté de 2 millions de francs CFA (3 048 euros) pour sauver ses petits. De peur de perdre sa dernière fille, il alerte les médias. L’affaire fait scandale au point que le ministre de la santé annonce l’ouverture d’une enquête et dépêche une équipe sur place. Mais, deux mois plus tard, le mystère de ces morts n’est pas éclairci.

Le père accuse : « C’est la négligence des infirmières et la défaillance des couveuses qui ne chauffaient pas qui ont tué mes quatre enfants. » Au service de néonatalogie, le personnel médical est en effet insuffisant, et c’est à la famille qu’il revient de nourrir les grands prématurés.

Côté administration, le professeur George Enow Orock, nouveau directeur de l’hôpital, n’a pas souhaité s’exprimer, mais la responsable du service de néonatologie, Clémentine Kouene, estime que « tout le monde s’est mobilisé », que « les nouveau-nés ont reçu tous les traitements possibles ». Assurant qu’« il n’y a pas eu de défaillance », les bébés auraient, selon elle, succombé à une infection.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié des grands prématurés meurt en raison d’un manque de soins adaptés. Une faille dans le maintien de la température, l’allaitement ou les soins de base pour traiter infections et problèmes respiratoires peuvent être fatals. Un médecin de l’hôpital, « fatigué des critiques de ceux qui ne vivent pas notre calvaire », rappelle, sous couvert d’anonymat, que « tous les hôpitaux publics du Cameroun manquent de matériel. Ce qui donne l’impression que les prématurés sont dans l’attente d’une mort programmée ». Il précise que, sur la quinzaine de couveuses disponibles dans l’hôpital de Bafoussam, seules sept sont fonctionnelles. Dans les trois régions du Nord, il n’y a que huit couveuses pour plus de 7 millions d’habitants.

« Petite survivante »

Nellie aussi a perdu son neveu quelques jours après sa naissance à l’hôpital régional de Bafoussam, au début de l’année. Là encore, l’état de la couveuse est en question. Nellie raconte, encore frissonnante, qu’il fallait faire bouillir de l’eau, remplir des bouteilles et les placer de part et d’autre de la couveuse pour la réchauffer.

Face à cette pénurie, de nombreux experts conseillent la méthode « Kangourou », qui veut que la mère garde son bébé sur elle et lui transmette sa chaleur. Serge Armel Njidjou, de l’Agence universitaire pour l’innovation technologique, a quant à lui mis sur pied une couveuse néonatale interactive, connectée au smartphone du médecin pour un suivi à distance. Après une phase d’expérimentation, il devrait passer bientôt à la fabrication en série. Mais déjà, « dans la panique, des gens m’appellent pour acheter la couveuse à titre privé afin de sauver leur bébé ». L’inventeur reste démuni face à cette souffrance, mais travaille d’arrache-pied pour équiper rapidement les hôpitaux.

Assise en tailleur sur son lit de maternité, Annie écoute de la musique religieuse et prie chaque jour, terrassée par le quadruple deuil. Son « ultime espoir » est de rentrer chez elle avec sa fille, Marie-Reine, « saine et sauve ». Pour cela, « la petite survivante » doit passer la barre des 2 kg. Plus que 350 g et Annie pourra à nouveau respirer.

Dossier réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

Sommaire de notre série « L’Afrique, ses mères et ses enfants en ont assez de souffrir à l’hôpital »

Trop longtemps taboue, la violence lors des accouchements, celle qui est faite au nouveau-né et plus largement la prise en compte de l’enfant derrière le malade devient un sujet de discussion en Afrique francophone.

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