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Climat

La France dépasse largement les limites écologiques de la biosphère

« L’état de l’environnement en France », établi tous les quatre ans, vient d’être publié par le ministère de la Transition écologique. Le bilan est très mauvais : tant pour les émissions de gaz à effet de serre que pour l’artificialisation des sols ou la biodiversité, la France détruit lourdement l’environnement.

« L’impact écologique de la France doit être examiné au-delà de ses frontières. Il est essentiel de prendre en compte les flux cachés des modèles de production et de consommation », ont souligné Christelle Larrieu et Valéry Morard, du service de la donnée et des études statistiques (Sdes) du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES), lors de la présentation du rapport 2019 « L’environnement en France » jeudi 24 octobre. Publié tous les quatre ans depuis 1994, ce document rassemble les données disponibles sur l’état des écosystèmes français : qualité de l’air et de l’eau, biodiversité, artificialisation des sols, etc. Pour la première fois, il s’intéresse à l’« empreinte écologique » de la France dans le monde — par exemple par le biais de la déforestation ou des émissions de gaz à effet de serre à l’étranger pour la production de biens destinés à la France — et à sa responsabilité dans le dépassement des « limites planétaires ».

Cette empreinte est désastreuse. Le concept de « limites planétaires » a été développé et formalisé en 2009 par une équipe internationale de vingt-six chercheurs pilotés par Johan Rockström, un chercheur suédois spécialisé dans les ressources hydriques. Ces limites sont au nombre de neuf : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation du cycle de l’azote et du cycle du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère et les entités nouvelles (nanoparticules, plastiques, polluants chimiques…) dans la biosphère. Des seuils quantitatifs ont été définis pour sept d’entre elles. La France participe activement au dépassement de quasiment toutes ces limites.

« L’objectif est de limiter le réchauffement climatique à 2 °C d’ici la fin du siècle, rappellent Mme Larrieu et M. Morard. Pour y parvenir, le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] a défini un budget carbone restant à ne pas dépasser. En France, ce budget est dépassé de 1,6 à 2,8 tonnes de CO 2 par an et par personne. » Alors que les émissions individuelles de CO 2 ne devraient pas dépasser 2,8 tonnes par personne et par an, elles étaient de 4,9 tonnes par Français en 2017, voire de 7,9 tonnes en tenant compte des importations.

La France est ainsi responsable de la déforestation de 14,8 millions d’hectares dans le monde et 56 % de ses émissions de gaz à effet de serre de 2017 provenaient de l’importation de biens et de services. « On n’a pas suffisamment conscience de l’empreinte de cette consommation, ont insisté Mme Larrieu et M. Morard. Pour fabriquer un téléphone portable de 120 grammes, il faut mobiliser 70 kilos de matières, dont 70 matériaux différents. Une voiture neuve pèse sept fois son poids en matériaux nécessaires à sa construction ! En 2016, l’empreinte matière de la France s’établissait ainsi à 846 millions de tonnes. »

Malgré tout, des progrès sont observés au niveau national. « Les émissions de gaz à effet de serre françaises ont diminué de 18 % entre 1990 et 2017, grâce à une amélioration de l’efficacité énergétique, au développement des énergies renouvelables, au remplacement du pétrole et du charbon par du gaz dans l’industrie et à une tertiarisation de l’économie », observent Mme Larrieu et M. Morard. Seul le secteur des transports a vu ses émissions augmenter de 13 %, à cause de l’augmentation de 42 % du nombre de kilomètres parcourus sur cette même période.

Pour ce qui est des disparitions d’espèces, le bilan est catastrophique. L’équipe de M. Rockström a établi à dix extinctions sur un million d’espèces le seuil d’érosion de la biodiversité à ne pas dépasser. Il a été franchi en 2009, avec cent extinctions sur un million d’espèces. En France métropolitaine, l’indice du risque d’extinction, qui s’appuie sur l’évolution du statut d’une espèce (de « vulnérable » à « en danger » voire « en danger critique d’extinction ») entre deux évaluations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), a augmenté de 138 % entre 1993 et 2019, contre 48 % au niveau mondial. En tenant compte des territoires d’outre-mer, sur les quelque 10.000 espèces évaluées par l’UICN, 18 % sont éteintes ou menacées d’extinction.

« Peut-on encore parler d’érosion alors que les indicateurs sont alarmants ? La réglementation et la mise en place de zones protégées ne peuvent pas tout, se sont inquiétés Mme Larrieu et M. Morard. Par exemple, le râle des genêts, un oiseau des prairies naturelles des plaines alluviales : 139 mâles chanteurs ont été comptabilisés en 2018, contre 655 en 2007, soit une baisse de 80 % en douze ans ! Ils sont victimes de l’intensification agricole et de la fauche précoce des prairies. »

L’artificialisation des sols fait également peser une lourde menace sur la faune et la flore françaises : « Nous perdons chaque année 0,1 % des terres agricoles et naturelles, soit un département tous les dix ans », ont alerté Mme Larrieu et M. Morard.

Néanmoins, sur certains points, la situation s’améliore, tout en restant en deçà des objectifs. Par exemple, la qualité de l’air : les rejets d’oxydes d’azote ont baissé de 49 %, ceux de particules fines PM10 de 41 % et ceux de particules ultra-fines PM2,5 de 48 %.

Les concentrations de nitrates et de phosphates ont diminué dans les rivières (- 12 % et - 37 % respectivement entre 1998 et 2017), de même que la teneur en pesticides (-19 % en métropoles et 21 % en outre-mer entre 2008 et 2017).

La situation n’est pas aussi satisfaisante en ce qui concerne les eaux souterraines, où l’on retrouve encore de fortes teneurs en nitrates et des traces de pesticides aujourd’hui interdits d’usage (atrazine présent dans 52 % des points de mesure, simazine dans 22 %, oxadixyl dans 11 %, etc.). À cause de ces pollutions, environ 2.400 captages sur 22.000 ont été abandonnés depuis 2000.

Cet examen minutieux de l’état de l’environnement se poursuit dans les 220 pages du rapport. Mais aussi sur un site internet dédié lancé jeudi 24 octobre, où toutes ces données et leur analyse sont accessibles à tous et mises à jour au fur et à mesure.

  • Source : E. M. pour Reporterre
  • Photo : Pixabay (CC0)
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